2.3. Accord suivi par le désaccord

Dans notre corpus, il arrive que l’accord surgisse dans le contexte d’«accord-plus-désaccord», c’est-à-dire que les participants au débat mettent un accord en position initiale de tour, suivi d’un désaccord. Selon Pomerantz (1984) et Kotthoff (1993), l’accord qui se produit dans ce contexte a pour effet de préfacer le désaccord à venir : Pomerantz caractérise cet accord par l’adjectif ’affaibli’ (’agreement downgraded’) et Kotthoff (1993 : 204) accentue encore la dévalorisation de cet accord :

‘«We know that in heated disputes speakers use upgraded assent, such as wonderful or you are absolutely right 77, and we do not think that this means an acknowledgement of the opponent’s point – on the contrary.»’

Cette perte par l’accord de son caractère propre n’arrive, nous semble-t-il, que lorsqu’il s’agit d’un cas d’ironie ou de l’accord, en quelque sorte, ’ritualisé’. On trouve peu d’exemples de ces cas dans notre corpus sauf sous la forme ’oui mais’ et encore sont-ils fonction du type d’interaction. On peut admettre avec Debyser (1980 : 45) que, dans le cas d’«accord + désaccord», l’expression de l’accord n’est généralement qu’une ’feinte’ permettant d’introduire l’expression du désaccord.

En tout état de cause, il est évident que dans le débat radiophonique qui constitue notre corpus, l’accord qui surgit dans le contexte de l’«accord + désaccord» conserve son caractère, de sorte qu’il permet au locuteur d’atténuer la menace pour la face de son interlocuteur, comme le montre l’exemple suivant :

(1) (Répliques 1 : 165-168)

L’exemple (1) est extrait de l’émission «Répliques (25/10/97)» sur le problème de ’paysage’. Avant que le tour du débatteur (Alain Roger) arrive à une place transitionnelle, l’autre débatteur (Jean-Louis Trassard) commence en 166 son tour de parole avec une expression d’accord (’je suis, je suis bien d’accord avec vous’) qui n’est ni ritualisé, ni ironique. Ici, cet accord est réitéré dans un premier temps par le chevauchement, et renforcé par l’adverbe ’bien’. Cependant, la force de l’accord est restreinte par la présence du désaccord qui suit et dont le commencement est indiqué par le marqueur discursif d’opposition ’néanmoins’. Un autre cas d’expression de l’accord focalisé sur le jugement du locuteur lui-même ainsi que sur l’interlocuteur et son opinion, nous est donné dans l’exemple (2) :

(2) (Répliques 2 : 025-028)

L’exemple (2) est extrait de l’émission «Répliques (08/11/97)» où l’animateur (Alain Finkielkraut) et le débatteur (Evelyne Pisier) s’opposent sur la représentation politique des femmes. Après le tour assez long de l’animateur, le débatteur commence en 026 son tour de parole, dans lequel il exprime en début de tour un accord accompagné du marqueur ’oui bien sûr’. Cet accord (’vous avez, vous avez parfaitement raison’) se caractérise par le fait qu’il est centré sur l’interlocuteur (Alain Finkielkraut) et son discours, et renforcé par l’adverbe superlatif ’parfaitement’.

Au lieu d’être renforcée par un superlatif, la force assertive de l’acte d’accord peut être atténuée par un modalisateur tel que ’je crois que’ ou ’je trouve que’, comme dans l’exemple suivant :

(3) (Répliques 7 : 115-118)

L’exemple (3) est extrait de l’émission «Répliques (18/07/98) où les participants débattent sur le problème du génocide au Rwanda. La discussion a lieu entre les deux débatteurs (Bernard Debré et Jean-Pierre Chrétien). De même que dans l’exemple (2), le tour de Bernard Debré est introduit par un accord suivi de désaccord dont le passage est marqué par le connecteur ’mais’. Cet accord se focalise également sur l’interlocuteur (Jean-Pierre Chrétien) et son discours dont l’appréciation est valorisée par l’adverbe ’tout à fait’. Etant donné que la force assertive d’accord est en contradiction avec le désaccord à venir, il nous semble que cette contradiction est atténuée et prend donc une «allure moins péremptoire» par l’utilisation du modalisateur, ’je crois que’, dont la présence a pour effet de réduire la force d’assertion, et donc de rendre l’accord ’baissé’ et ’partiel’.

Notes
77.

Souligné par l’auteur.