3.1.2. L’opposition sur la gestion du thème

Lorsque l’animateur participe au débat comme débatteur, l’un des deux débatteurs peut exprimer une évaluation positive ou négative de son intervention. La discussion entre l’animateur et le débatteur ne glisse pas dans la séquence d’échanges conflictuels, mais elle se caractérise par le fait que leur désaccord est plutôt ponctuel, à la différence de la discussion entre les deux débatteurs. Il n’est donc pas sans intérêt d’examiner les désaccords que les débatteurs expriment sur les activités langagières de l’animateur, tels que le cas du refus sur la gestion du thème et l’opposition sur la citation de l’animateur.

Voyons d’abord le refus sur la gestion du thème du débat. Bien que cette gestion soit une des attributions essentielles du meneur, il arrive que le débatteur freine l’accélération ou le changement de direction de développement du thème, proposé par l’animateur. Dans ce cas, l’auto-sélection et l’interruption accompagnée de chevauchement sont les principaux moyens pour s’opposer à la volonté de l’animateur.

(1) (Répliques 7 : 126-131)

L’exemple (1) est extrait de l’émission «Répliques (18/07/98)» où les participants débattent sur le problème du génocide au Rwanda. L’animateur (Alain Finkielkraut) propose en 126 une direction thématique de discussion. Cette proposition est immédiatement refusée par le débatteur (Bernard Debré) qui l’interrompt en 129, sous prétexte que l’animateur se hâte d’entrer dans le problème essentiel du débat (’l’intervention, tout d’un coup, de la France’). Mais son interruption, qui est soulignée à la fois par le chevauchement et par le marqueur verbal de la prise de parole (’attendez attendez’), n’entraîne pas de négociation, dans la mesure où l’animateur accepte immédiatement son argument. Ce refus du débatteur (Debré) concernant la gestion du thème par l’animateur semble reposer sur le fait qu’il est meilleur expert que lui sur le sujet en question.

D’autre part, les débatteurs peuvent être en désaccord sur une citation de l’animateur, lorsque celui-ci cite l’analyse ou les hypothèses d’autres experts extérieurs. C’est une opposition simple mais explicite que l’un de deux débatteurs adresse à l’animateur. Mais le véritable destinataire ne peut être l’animateur, dans la mesure où le contenu de la citation rejoint le point de vue de l’autre débatteur. Dans ce cas, l’opposition vise deux cibles : les deux participants (l’animateur et l’autre débatteur), comme le montre l’exemple (2) :

(2) (Répliques 7 : 030-031)

Dans l’exemple ci-dessus qui est extrait de l’émission «Répliques (18/07/98)», l’animateur (Alain Finkielkraut) introduit en 031 l’argument du délocuté, qui comporte un marqueur de discours rapporté en style indirect (’un certain nombre de gens parmi les chercheurs disent’) : ’au fond c’est la colonisation qui a créé l’opposition raciale ou ethnique dans la société rwandaise en plaquant sur cette société un schéma d’interprétation raciste venu d’Europe, venu de Belgique, venu de France’. Le débatteur (Bernard Debré) s’oppose immédiatement et avec le chevauchement à cet argument. Il appartient au camp de ceux qui n’affirment pas la responsabilité politique française sur le génocide au Rwanda, à la différence de son partenaire (Jean-Pierre Chrétien) qui partage plutôt l’opinion de ceux qui affirment cette responsabilité. En ce sens, en 032, le désaccord de Bernard Debré s’adresse directement à l’animateur et indirectement à l’autre débatteur (Jean-Pierre Chrétien). On peut donc dire qu’il s’agit d’un double adressage. Au niveau de son contenu, le désaccord ci-dessus est renforcé également par un double volet : au niveau de la forme concernant l’interruption accompagnée de chevauchement, et au niveau de la formulation avec l’intensif (’totalement’). Bien qu’il soit explicite et plus ou moins renforcé, il serait difficile de le considérer comme menaçant pour la face du meneur ou de l’autre invité, dans la mesure où il vise deux interlocuteurs, et son effet menaçant en est réduit d’autant.