3.2.1. Désaccord séquentiel

Les actes de désaccord qui se réalisent dans ce schéma proviennent de la réponse d’un débatteur qui a été sélectionné par l’animateur comme locuteur suivant. Ils se produisent dans l’échange à trois participants qu’on peut schématiser de la façon suivante :

T1 - A : question : intervention initiative

T2 – D1 : réponse : intervention réactive et initiative

T3 – D2 : évaluation négative : intervention réactive (et initiative)

A la différence de l’échange à deux participants où l’auteur de l’évaluation en T3 sur l’intervention en T2 est identique à celui de l’intervention en T1, dans l’échange à trois participants le désaccord surgit souvent dans l’évaluation en T3, qui porte sur l’intervention réactive à la question de l’animateur. Le désaccord avec l’intervention réactive en T2 donne lieu à un autre désaccord en appelant la réaction de l’autre débatteur ou de l’animateur.

(1) (Répliques 7 : 055-061)

  • 055 F : véhiculée par les Tutsis mais //qui était qui a été //qui a été qui a été promulguée

  • 056 D : //mais //qui était simplification

  • 057 F : qui a été édictée par //qui

  • 058 D : //comprenez elle a été édictée par les Tutsis eux-mêmes

  • 059 C : non, en aucun cas

  • 060 F : elle vient d’où alors à vous //Jean-Pierre Chrétien

  • 061 C : //mais vous croyez qu’un simple paysan rwandais ou burundais j’ai fait des enquêtes pendant 20 ans au Burundi [rire] connaît l’Ethiopie

  • et //l’Egypte sinon depuis qu’il y a des journaux et des informations

L’exemple ci-dessus est extrait de l’émission «Répliques (18/07/98)». Il montre le cours du déroulement de la discussion entre les participants : en 055 l’animateur (Alain Finkielkraut) demande une information à son débatteur (Bernard Debré) par une ’auto-répétition’ en raison d’une tentative d’interruption produite dans un chevauchement. En 058 le débatteur (Debré) répond à la question de l’animateur, et cette intervention réactive est en 059 l’objet de l’évaluation de l’autre débatteur (Jean-Pierre Chrétien). Ce type d’échange qui a une structure triadique avec trois participants est souvent suivi d’un échange à deux débatteurs, ce qui implique le glissement dans le module de discussion :

T1 – L1 : assertion (A)

T2 – L2 : désaccord avec L1

T3 – L1 : désaccord avec L2

La plupart des échanges ouverts après l’apparition d’une assertion en T1 sont accrochés thématiquement à la divergence des opinions entre les participants, et ceux-ci entrent en général dans une discussion conflictuelle. Les échanges peuvent comporter un ’désaccord ponctuel’ quand ils ne consistent qu’en une assertion et un seul désaccord ou bien ils peuvent constituer un ’désaccord séquentiel’ qui se caractérise par des désaccords consécutifs. Dans ce cas, le désaccord initial d’un locuteur est suivi par d’autres désaccords réactifs des interlocuteurs.

(1) (Répliques 7 : 043-054)

  • 043 C : avec précision je vais publier quelque chose là-dessus bientôt les récits d’origine les récits d’origine ne sont pas strictement racials raciaux pardon il s’agit d’une interprétation. Donc la société était complexe et là-dessus quand les Européens sont arrivés ils connaissaient si j’ose dire les Hamites et les Bantous c’est le langage employé avant de connaître le Rwanda et le Burundi, la mythologie hamitique avait déjà fonctionné ailleurs, ils l’ont plaquée telle quelle, ils ont inventé que tous les Tutsis venaient d’Ethiopie ou d’Egypte, que c’est une race supérieure,

  • et //c’est une chose qu’il faut se rappeler

  • 044 D : //euh non non non ne mettez pas ne //mettez pas ne mettez pas

  • 045 C : //je termine je termine monsieur

  • 046 D : attendez ne mettez pas //sur le dos des Européens //une réalité qui existait pas alors

  • 047 F : //Bernard Debré

  • 048 C : //non mais

  • 049 C : non non ça n’existait pas il y a pas de tradition Tutsi sur une origine égyptienne

  • //ou éthiopienne

  • 050 D : //non non pas du tout non attendez ça c’est vous qui le mettez, c’est vrai euh il y a eu une espèce de légende absurde qui les //les les font descendre qui les font

  • 051 C : //ce n’est pas une légende absurde

  • 052 D : //descendre

  • 053 C : //c’est une propagande, et une idéologie

  • 054 D : oui tout à fait, mais tout à fait c’est une propagande et une idéologie véhiculée par les Tutsis eux-mêmes, qui est une propagande

L’exemple ci-dessus, extrait de l’émission «Répliques (18/07/98), est une partie de la discussion entre les deux débatteurs (Bernard Debré et Jean-Pierre Chrétien) sur les récits d’origine des Tutsis. C’est une séquence de désaccords :

  • 043 C : proposition d’une interprétation

  • 044-046 D : désaccord avec cette interprétation + proposition (P1)

  • 049 C : accord avec P1 + proposition (P2)

  • 050 D : désaccord avec P2 + proposition (P3)

  • 051-053 C : correction de P3 (C1)

  • 054 D : accord avec C1 + proposition (P4).

En 043 le débatteur (J.-P. Chrétien) propose son interprétation des récits d’origine : ’ils l’ont plaquée telle quelle, ils ont inventé que tous les Tutsis venaient d’Ethiopie ou d’Egypte’. En 044 et 046 l’autre débatteur (Debré) coupe la parole du partenaire en milieu de tour en émettant une auto-répétition pour manifester son opposition à l’interprétation (’ne mettez pas sur le dos des Européens’), et sa proposition (’une réalité qui existait pas’). En 049 le locuteur se met en accord avec cette proposition par l’hétéro-répétition, et propose son opinion à travers l’auto-répétition différée. En 050 son interlocuteur (Debré) réfutant le tour de Chrétien affirme qu’il y a eu une espèce de légende absurde, et cette proposition est en 051-053 corrigée par Chrétien (’ce n’est pas une légende absurde, c’est une propagande, et une idéologie’). Cette proposition corrigée est en 045 d’abord acceptée par le débatteur (Debré) et ensuite complétée par l’autre argument (’c’est une propagande et une idéologie véhiculée par les Tutsis eux-mêmes’). Enfin, ces deux débatteurs ne s’en tiennent pas au désaccord ponctuel, mais ils enchaînent leurs tours par un ensemble de désaccords. Il convient d’examiner également dans ce qui suit la configuration de ces tours dans lesquels se retrouvent les actes de désaccords.