3.2.2. Désaccord produit avec interruption

Le désaccord initial étant suivi par le désaccord réactif, tous deux forment tous des ’désaccords séquentiels’, désaccords sur le désaccord, où la contribution des deux participants aux tours de parole se caractérise par l’interruption. Il arrive qu’en négligeant le principe d’alternance de tours, les participants au débat entament leurs interventions au milieu du tour de leur partenaire, plutôt qu’à la place transitionnelle possible du tour de parole du locuteur en place. Il s’agit ici d’une violation du système d’alternance des tours de parole. Elle peut se faire dans l’intention de prendre la parole pour montrer le désaccord avec le tour précédent du partenaire. Dans notre corpus, les actes de désaccord se produisent souvent avec des interruptions qui s’accompagnent de chevauchements, ou qui ont lieu à la pause ’intra’ qui apparaît à l’intérieur d’un tour. En effet, étant donné que cette interruption délibérée peut être considérée comme «an intrusive, impolite, even hostile act»80, il est évident qu’elle a pour effet de renforcer le désaccord.

Un survol des émissions de radio que nous avons choisies pour ce travail nous fait constater que les actes de désaccord avec interruption accompagnée de chevauchements se manifestent plus souvent dans le corpus français qu’en coréen. Pour manifester leur désaccord avec le tour du locuteur en place, les participants essaient de prendre la parole en commençant leur intervention au milieu du tour en cours. Cette interruption peut s’accompagner d’un marqueur métadiscursif :

(1) (Répliques 5 : 090-097)

Dans l’exemple ci-dessus, le débatteur (J. Juillard) demande en 093 la parole au milieu du tour de son partenaire (D. Tilinac), c’est-à-dire qu’il exprime son intention de l’interrompre. Son interruption est en 094 ratifiée et légitimée par l’acceptation de l’animateur. Elle est suivie d’un désaccord atténué sous forme d’acceptation partielle. Mais il arrive souvent que l’interruption soit suivie d’un désaccord non atténué avec son marqueur métadiscursif :

(2) (Répliques 7 : 321-331)

Dans l’exemple (2), le débatteur (B. Debré) n’attend pas que le tour de parole de son partenaire (J.-P. Chrétien) arrive à la place transitionnelle, et, en 322, il coupe la parole en émettant le marqueur métadiscursif (’je ne vous autorise pas à dire des choses comme ça’). L’interruption de Debré, en 322, n’est pas immédiatement suivie d’un désaccord, mais celui-ci est différé jusqu’à ce que le désaccord radical apparaisse en 328. Le tour de Debré est de nouveau interrompu en 324 par son partenaire (Chrétien) qui, dans la pause ’intra’, affirme encore une fois sa proposition. Cette réaffirmation est en 325 rejetée avec force par la particule de négation et sa répétition (’non non pas du tout’). Ici, l’animateur (Alain Finkielkraut) sélectionne, en 326, B. Debré comme locuteur suivant, en vue de lui donner l’occasion de continuer son intervention interrompue en 322. Mais c’est J.-P. Chrétien qui prend la parole avec un débit rapide. Il s’agit donc d’une interruption intrusive qui se glisse dans un interstice des tours entre l’animateur et le débatteur (Debré). Enfin, celui-ci reprend, en 328, son intervention qui comporte un désaccord radical (’c’est complètement faux non seulement c’est complètement faux’) qui est renforcé par l’adverbe (’complètement’) et la formule réitérative. En 329 l’intervention de Chrétien est réactive au tour de désaccord précédent. Il s’agit ici d’un désaccord sur la reformulation (’j’ai pas dit participé’) qui n’a pas le statut de tour mais plutôt celui d’intervention, dans la mesure où il entraîne l’intervention de Debré en 331 (’mais vous l’avez dit vous-même’). Il semble difficile de le considérer comme tour, car il n’y a pas de cession du droit à la parole ou de trace du déplacement de la parole.

En tout état de cause, l’interruption constitue la partie contextuelle du désaccord. Autrement dit, les désaccords séquentiels et l’interruption mutuelle constituent la trame du module de discussion, comme le montre l’exemple (3) :

(3) (Répliques 1 : 116-134)

L’exemple ci-dessus, extrait de l’émission «Répliques (25/10/97)», montre bien que les désaccords marqués par les flèches sont souvent accompagnés par d’autres désaccords explicites et par l’interruption. En d’autres termes, les actes de désaccord sont produits dans la position initiale du tour par les particules de négation (’non non pas du tout’, ’et bien oui mais’, ’non mais’, ’non’), et avec l’interruption : dans l’exemple (3) les interruptions ont lieu en 117, 122, 127, 128, 132, et 133 où il s’agit toujours de l’apparition des désaccords, un argument étant suivi par le contre-argument. Lorsqu’il y a divergence des opinions entre les participants au débat, l’interruption peut être un moyen pour se comprendre dans la mesure où elle empêche que le partenaire aille plus loin dans le malentendu, mais elle est aussi un moyen de s’embourber de telle sorte qu’elle devient un obstacle au développement de leur opinion, par l’émotionnel qu’elle introduit.

Notes
80.

I. Hutchby, ’Confrontation talk : aspect of ’interruption’ in argument sequences on talk radio’, Text, 1992, 12-3, p. 345.