2.1. Désaccord explicite

L’acte de désaccord est très fréquent dans notre corpus français où le locuteur prend une position sur un sujet donné, et son interlocuteur s’y oppose. Il se réalise explicitement d’une part par certaines locutions adverbiales (’non’, ’pas du tout’, absolument pas’, ’certainement non’, ’jamais’, ’mais non’, etc.). Ces adverbes et particules peuvent être émis au cours du déroulement du tour du locuteur où elles sont une tentative de l’interlocuteur pour prendre la parole au locuteur actuel, lorsqu’il n’est pas d’accord avec lui. Dans ce cas, elles se caractérisent par la répétition des mêmes éléments (’non non’, ’mais non mais non’, ’pas du tout pas du tout’) et/ou par la combinaison de différents éléments (’non non pas du tout’). La particule de négation (’non’) qui apparaît comme noyau de ces types d’expressions discordantes est observée dans une repris six fois maximum (’non non non non non non’) dans notre corpus, au cours de cet extrait de l’émission «Répliques (18/07/98)» :

(1) (Répliques 7 : 208-212)

  • 208 C : majoritaires je termine que vous aviez décrites tout à l’heure, sont obtenues dans un contexte de violence, de changement de pouvoir préalable,

  • //qui fait que euh la mobilisation des gens se fait selon ce que souhaitent

  • → 209 D : //ah ben écoutez non non non non non non

  • 210 C : ceux qui //tirent la corde le plus possible //dans le sens d’extrémisme

  • 211 D : //alors //non non là là vous

  • 212 F : Bernard Debré

L’exemple ci-dessus est une partie de la discussion entre les deux débatteurs (J.-P. Chrétien et B. Debré). Le premier consacre son tour en 208 au développement de son opinion sur la cause du génocide au Rwanda, et l’autre essaye en 209 de prendre la parole à travers l’usage réitératif de la particule de négation (’non’) pour manifester son désaccord. D’autre part, l’acte de désaccord se produit également dans notre corpus français par des formules explicites :

(2) (Répliques 2 : 060)

  • 058 D : ’j’ai eu de la chance à un moment de ma vie j’ai eu de la chance’

  • elles l’ont //[inaudible]

  • 059 F : //pensez que les hommes ne parleraient pas comme ça

  • 060 D : non, je suis sûr que non, je pense que les hommes diraient euh, j’ai voulu aussi cette carrière, il y a une //une volonté

(3) (Répliques 3 : 017)

  • 017 G : alors là, je ne suis pas du tout d’accord. Parce que on va venir à Internet par exemple à titre d’exemple, en quoi Internet peut être utilisé dans un établissement tel qu’un collège, par exemple, pour le niveau des enfants, dix quinze ans, grosso modo ; (...)

(4) (Répliques 3 : 119)

  • 119 G : ce n’est pas du tout ça c’est-à-dire que c’est un élève qui est en échec du fait qu’il est en échec en lecture les choses sont simples il est en échec partout. C’est-à-dire il est en échec en biologie il est est en échec en histoire-géographie on va pas faire le tour, il est en échec partout. (...)

(5) (Répliques 4 : 062)

  • 061 C : Exactement de leurs propres traditions, de leurs propres sources, de leurs propres cultures

  • 062 D : D’une part je ne crois pas que le comparatisme d’un pays à l’autre soit nécessairement

(6) (Répliques 6 : 006)

  • 006 M : là je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, parce que je crois que euh quand on se place du point de vue du connaisseur, c’est un point un un un point de vue qui me semble aujourd’hui devoir être, être de nouveau revendiqué (...)

(7) (Répliques 4 : 168-170)

  • 168 C : dans le même temps on a acheté 40 ou 50 Lavier, c’est-à-dire des frigidaires sur

  • //des [inaudible], bon 30 ou 40 Boltanski, on a au bout de 20 ans alors que

  • → 169 D : //non ce n’est pas vrai

  • 170 C: l’artiste avait déjà été reconnu de partout internationalement et venait de recevoir le grand prix la Biennale de Venise de peinture on a acheté un Kitay au bout de 20 ans d’efforts et moi je n’ai jamais réussi à faire acheter un Freud au musée, au centre Pompidou

Les exemples ci-dessus ne sont pas un inventaire exhaustif des expressions de désaccord, mais montrent d’une façon explicite un «manque d’accord»86 au début des tours de parole dans notre corpus. Ces expressions se caractérisent par la présence d’un morphème de négation dans l’énoncé. Il est vrai que la négation permet aux interlocuteurs d’interpréter souvent un énoncé négatif comme une réfutation. Mais les énoncés qui comportent le morphème de négation ne sont pas nécessairement liés aux idées discordantes des interlocuteurs, car ils peuvent être fonction du type d’action initiative ou ils peuvent avoir «une valeur de simple assertion»87. Le désaccord explicite peut se composer d’un ensemble de formules ’métalinguistiques’ telles que ’je ne suis pas d’accord avec vous’, ’c’est faux’, ’ce n’est pas vrai’.

Notes
86.

Le Petit Robert, 1991.

87.

J. Moeschler, Dire et contredire. Pragmatique de la négation et acte de réfutation dans la conversation, Berne/Fracfort, Per Lang., 1982, p. 81.