2.3. Désaccord sur la reformulation

Dans notre corpus, il arrive que la négation polémique puisse porter non seulement sur la proposition énoncée, mais aussi sur le fait que cette proposition a été ou non énoncée par le partenaire, que ce soit dans son tour immédiat ou différé :

(1) (Répliques 5 : 069-070)

L’exemple ci-dessus est extrait de l’émission «Répliques (13/12/97)» où les participants débattent sur le divorce des élites et du peuple. Les deux débatteurs s’opposent sur la vision simplifiée, désignée ici comme ’populiste’ qui, à partir de la corruption des élites, se généralise en ’tous pourris’. C’est J. Juilliard qui introduit ce mot ’populiste’ en s’en démarquant alors qu’il l’associe à la position de D. Tilinac. Celui-ci riposte aussitôt en 041 : ’non non non je n’ai pas dit ça j’ai dit que c’est ainsi que l’opinion a tendance à le percevoir’. En commençant son tour avec l’utilisation réitérative du morphème de négation, M. Tilinac montre l’opposition explicite avec l’opinion de son partenaire. La formule de désaccord se compose d’une contestation sur la reformulation (’je n’ai pas dit ça’) et d’une proposition révisée (’j’ai dit que c’est ainsi que l’opinion a tendance à le percevoir’). C’est-à-dire que son désaccord peut être considéré comme une sorte de ’rectification’ et repose également sur le fait qu’il présuppose que M. Tilinac s’est déjà exprimé de cette façon ’populiste’. Le désaccord semble dans cet exemple glisser vers la résolution positive en faveur du débatteur (Juilliard), qui, en 045, fait évoluer la discussion par le format «accord + désaccord».

Dans le contexte de discussion, il arrive que le désaccord sur la reformulation ait lieu de façon plus explicite, et se prolonge dans le conflit, comme dans l’exemple (2) :

(2) (Réplique 1 : 075-087)

L’exemple ci-dessus est extrait de l’émission «Répliques (25/10/97) où les participants s’opposent sur le problème du paysage. Il est une partie de la discussion entre Jean-Louis Trassard et Alain Roger sur le mot ’paysage obsolète’. Il est évident que leur discussion ne repose pas sur le propos posé dans le débat actuel, mais plutôt sur le fait que M. Roger l’a dit dans une émission à la radio. Elle est entamée en 076 par l’accusation de M. Trassard sur l’idée de M. Roger de laisser détruire les paysages ruraux, en introduisant le marqueur de reformulation (’vous dites que’). Dans la réponse à cette accusation, en 081, le débatteur (Roger) nie l’avoir dit : ’j’ai jamais dit qu’il fallait raser les villages en France’. Cela implique que son intervention est un désaccord sur la reformulation. En revanche, J.-L. Trassard réfute en 082, 084, et 086 l’intervention de Roger et réaffirme que son partenaire l’a dit en soutenant son affirmation du témoignage : ’je vous ai entendu à la radio’. A. Roger conteste encore une fois en 085 : ’non je n’ai pas dit ça’. On peut parler ici véritablement de désaccords sur la reformulation, puisque l’un reformule le propos de l’autre qui le conteste. La discussion glisse vers un cercle vicieux de la vérité et de la fausseté, dans lequel l’expression du désaccord dépend de la négation polémique qui repose elle-même sur la relation contradictoire entre les tours de parole de deux interlocuteurs. Le désaccord est résolu par l’intercession de l’animateur qui, dans cette situation, change le sujet en cours.