3.2. Désaccord accompagnant l’accord

Lorsque les actes de désaccord sont accompagnés d’une formule d’approbation, leur force perlocutoire peut être atténuée, puisque la manifestation d’accord est, comme le note Kerbrat-Orecchioni (1992 : 227), considérée comme un des «actes qui a intrinsèquement un caractère anti-menaçant», et donc comme une des formes de politesse positive qui consistent à «effectuer quelque FFA pour la face négative (ex. : cadeau) et positive (ex. : compliment) du destinataire»90. Dans le corpus français, les désaccords accompagnant l’accord sont produits dans 14 tours de parole (7%) sur 206 tours de désaccord. Ils sont beaucoup moins fréquents que dans le corpus coréen dans lequel ils sont identifiés dans 22 tours (16%) sur 139 tours de désaccord. Les interlocuteurs tant français que coréens utilisent la construction de tour dans laquelle l’acte de désaccord suit l’accord :

(1) (Répliques 7 : 118)

(2) (Répliques 1 : 166)

Dans les exemples ci-dessus, les débatteurs (B. Debré et J.-L. Trassard) expriment d’abord leur accord avec leur interlocuteur (J.-P. Chrétien ou A. Roger) et ensuite développent leur propre point de vue. Leurs tours, marqués par les flèches, montrent le format «accord + désaccord» dans lequel le passage de l’accord au désaccord est assuré par la présence des marqueurs discursifs d’opposition (’mais’ et ’néanmoins’). Ces marqueurs discursifs ont pour effet de préfacer le désaccord à venir. En effet, le locuteur permet ainsi à l’interlocuteur de connaître la direction de l’argument orienté vers le désaccord avec l’opinion de son partenaire. Mais ces marqueurs peuvent être absents dans certaines conditions, parmi lesquelles nous allons envisager deux contextes : lorsqu’il existe dans le tour d’autres mots qui peuvent également transmettre le fait que le locuteur s’oppose à son interlocuteur, et lorsque le désaccord précède l’accord :

(3) (Répliques 6 : 050-052)

(4) (Répliques 5 : 095-097)

Les exemples (3) et (4) montrent des cas de désaccord accompagné de l’accord, et l’absence du marqueur discursif d’opposition. Dans l’exemple (3), après le long tour de l’animateur en 049, l’intervention du débatteur (Yves Michaux) est marquée par l’existence de la locution ’à la fois’ dans son énoncé : ’je suis à //la fois profondément d’accord avec vous [rire] et profondément en désaccord tout simplement [rire]’. Ce terme (’à la fois’) présuppose la co-existence dans un objet de deux caractères opposés. La première partie de cet énoncé (’je suis à la fois profondément d’accord avec vous [rire]’) permet à l’interlocuteur d’anticiper le désaccord à venir. Dans l’exemple (4), l’intervention du débatteur (Jacques Juillard) comporte également l’expression contrastive : ’moi, je trouve que vous avez eu tort et raison ou plutôt raison et tort’. Ce contraste court (’tort et raison’ ou ’raison et tort’) est suffisant pour démontrer l’idée discordante du locuteur.

En ce qui concerne le positionnement du désaccord et de l’accord dans les tours, le corpus coréen se caractérise systématiquement par le format ’accord + désaccord’, c’est-à-dire que c’est toujours l’acte d’accord qui précède le désaccord. En revanche, on trouve dans le corpus français l’inversion de cet ordre entre l’accord et le désaccord, comme le montre l’exemple suivant :

(5) (Répliques 1 : 158-161)

L’exemple ci-dessus, extrait de l’émission «Répliques (25/10/97)» où les participants s’opposent sur le paysage, est une partie de la discussion entre l’animateur (Alain Finkielkraut) et le débatteur (Alain Roger). A propos de l’opinion proposée en 158 par l’animateur, son partenaire montre en début de tour le désaccord explicite à travers le marqueur d’opposition (’mais non’) et au moment suivant recherche une adhésion avec leur argument précédent. Il nous semble qu’il s’agit d’une véritable structure concessive dans la mesure où l’argument a une forme qui passe du désaccord à l’accord. De même que dans le format «accord + désaccord», les accords initiaux dans ce format sont renforcés par des adverbiaux (’tout à fait’, ’bien’, ’complètement’, etc.). Ils peuvent également être considérés comme ’partiels’ par Pomerantz (1984), et comme ’feints’ par Debyser (1980 : 45). Ici, il s’agit moins d’une stratégie permettant d’adresser à l’interlocuteur l’opposition à venir que d’une stratégie visant à réparer le désaccord menaçant déjà réalisé et à convaincre le partenaire qu’il cherche un point commun.

Notes
90.

C. Kerbrat-Orecchioni, La conversation, Seuil, coll. «Mémo», 1996, p. 54.