TROISIEME PARTIE / Accord et Désaccord en coréen

CHAPITRE 7
Un survol de la politesse en coréen

1. Remarques préliminaires

1.1. La communication interculturelle

Avec l’évolution spectaculaire des sciences et de la technologie, les échanges internationaux sont fréquents de nos jours dans les domaines politique, économique, social et culturel. Nous avons donc de multiples occasions de contact avec des personnes de différentes cultures. Ces contacts, initiés par la curiosité de mieux connaître et comprendre nos interlocuteurs, sont propices au développement de la communication interculturelle. Mais cette première approche aboutit souvent au malentendu et à l’échec de l’intercompréhension. La cause de cet échec est à rechercher moins dans la connaissance insuffisante des structures linguistiques, que dans le manque de reconnaissance socio-culturelle. En effet, les membres d’une communauté interprètent le message et le comportement de l’auteur à partir de leur propre système socio-culturel. Pour une communication interculturelle heureuse, il serait nécessaire de connaître non seulement les contraintes «systémiques» au sens de Goffman, mais aussi les contraintes «rituelles», socio-culturelles et les valeurs de base. En effet, l’échec pragmatique est plus sérieux que l’échec systémique ou grammatical, parce que l’erreur grammaticale peut être tolérée par l’allocutaire, bien qu’elle opère comme obstacle de la communication, alors que l’échec pragmatique peut engendrer un véritable problème relationnel, quand on attribue les violations normatives commises par le locuteur à la grossièreté, à l’insolence, ou à l’impolitesse etc.

Ainsi, une réponse motivée par la politesse dans une société peut être prise, dans une autre société, pour une réponse équivoque. C’est le cas de la réponse indirecte en Coréen où les interlocuteurs choisissent pour une réponse négative une stratégie implicite, plutôt que de répondre ’non’ d’une manière explicite. Cette stratégie indirecte étant comprise par les occidentaux comme une réponse positive (’oui’) leur impose la difficulté de l’interprétation et le risque de prendre ’non’ pour ’oui’. L’anecdote présentée par Takahashi et Beebe (1987)97 montre bien ce conflit. Dans la conférence au sommet entre les Etats-Unis et le Japon, Nixon, ancien Président, demandait à Sato, ancien Premier ministre, s’il voulait accepter de réduire l’exportation des produits japonais vers les Etats-Unis. Sato a répondu ’Zensho shimasu’, qui signifie littéralement en français ’Je vais examiner cette question’. Sur cette réponse, Nixon a cru qu’il avait reçu l’engagement de Sato et il a été furieux lorsque Sato s’est abstenu de prendre une mesure effective. Mais du point de vue de Sato, il n’a pas eu le sentiment d’avoir pris un engagement, car ce genre de réponse dans la culture japonaise peut n’être rien d’autre qu’une forme de refus poli. Il nous semble qu’il s’agit d’un malentendu interculturel, dû à l’interprétation sans compréhension du système de valeurs propre à la communauté japonaise.

Bien qu’il soit inévitable de comprendre les contraintes socio-culturelles pour la communication interculturelle, on voit que lorsque l’investigation se focalise sur ces contraintes, elle provoque la discussion sur le problème de la frontière des sciences du langage, comme le souligne Kerbrat-Orecchioni (1998b : 65) :

‘«on est en linguistique dès lors que l’investigation se focalise sur les faits langagiers (dès lors par exemple que l’on recourt au contexte social pour élucider le fonctionnement des énoncés, et non l’inverse)». ’

En ce sens, nous nous intéressons aux aspects socio-culturels de la communication française et coréenne, d’un point de vue comparatif où on suppose qu’il existe au sein des deux communautés des «tendances générales communes, qui transcendent les variations internes à ladite communauté»98. En effet, les membres de ces deux cultures catégorisent les expériences et l’environnement d’une façon différente, mais la généralisation de la tendance culturelle ne serait pas significative sans comparaison interculturelle, c’est-à-dire qu’elle n’a qu’une valeur relative.

Notes
97.

Cf. I. Lyuh, The art of refusal : Comparison of Korean and American cultures, Thèse de Doctorat, Université d’Indiana, 1992, pp. 2-3.

98.

C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, tome 3, Paris, A. Colin, 1994, p. 9.