1.2. Universalité ou relativité culturelle

On sait que le langage a en général deux fonctions complémentaires : la fonction de transmettre les pensées ou les informations et celle d’établir et de renforcer la relation interpersonnelle99. Cela revient à dire que la linguistique moderne s’est édifiée sur le fond de ces différentes conceptions du langage. En ce qui concerne la première fonction, elle est une perspective qu’on peut retrouver chez des linguistes traditionnels ou chez Grice, Sperber et Wilson, etc. Quant à la deuxième fonction du langage, c’est l’approche interactionniste qui est au coeur de ce travail. Elle est retrouvée dans un certain nombre d’études «qui depuis deux décennies s’emploient à décrire comment se construit, dans et par l’interaction, une certaine relation entre les participants (de distance ou familiarité, d’égalité ou de hiérarchie, de connivence ou de conflit...)»100. En effet, comme le notent Brown et Levinson (1978 : 60), la façon dont on construit le message ou maîtrise la langue nous fournit une donnée cruciale de l’expression d’une relation sociale. Découvrir le principe qui gouverne le comportement communicatif, c’est donc découvrir un principe selon lequel la relation interpersonnelle se construit dans l’interaction verbale. Ce principe est fonction des valeurs culturelles d’une société qui sont omniprésentes dans le mode de comportement quotidien. Il apparaît que ce sont la tradition, les conventions et l’expérience plutôt que la nature humaine qui varient d’une culture à l’autre. En ce sens, il est évident qu’il existe à la fois l’universalité et la différenciation dans le comportement humain, comme principe abstrait et global, et comme détails spécifiques à une culture.

En ce qui concerne la théorie de l’universalité, il faudrait mentionner en première ligne les travaux de Brown et Levinson (1978 et 1987). Ils tentent d’expliquer le phénomène de la politesse linguistique à partir des trois «universaux» suivantes :

  1. The universality of face, describable as two kinds of wants.

  2. The potential universality of rational action devoted to satisfying others’ face wants.

  3. The universality of the mutual knowledge between interactants of (i) and (ii).101

Ces trois universalités sont démontrées paradoxalement par bien des études consacrées à les critiquer et elles développent la relativité culturelle en prenant les exemples de différences de la notion de «face» dans la communauté asiatique. Cela manifeste par ricochet qu’en dépit des différences du concept de face, cette dernière est un facteur dynamique du comportement langagier entre les membres d’une société donnée. Par conséquent, ces trois éléments ci-dessus sont suffisants pour constituer un principe général, transcendant les variations culturelles auxquelles nous nous intéressons dans ce travail.

Notes
99.

Il s’agit de la distinction entre le niveau du «contenu» et le niveau de la «relation», qui repose à l’origine sur la proposition des théoriciens de Palo Alto, et surtout à la suite de Bateson. Sur cette distinction, voir :

- P. Watzlawick et al., Une logique de la communication, Paris, Seuil [rééd. «Points», 1979], 1972, pp. 49-59.

Sur le problème du niveau de la relation, voir :

- C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, tome 2, Paris, A. Colin, 1992, pp. 9-139.

100.

C. Kerbrat-Orecchioni, ’La notion d’interaction en linguistique : origines, apports, bilan’, Langue française, 1998, n° 117, p. 59.

101.

Brown et Levinson, Politeness. Some univerals in language use, Cambrige, C.U.P., 1987, p. 244.