1.4. L’héritage langagier

Il va sans dire que les valeurs socio-culturelles sont reflétées dans les pratiques de chaque langue. Il serait intéressant d’examiner les marqueurs linguistiques référant au sujet parlant dans les cultures «moi-centrique» et «nous-centrique». Ainsi, alors que pour les langues occidentales, le pronom personnel de première personne («je») est généralement exprimé dans la phrase, il n’est en général pas exprimé en coréen, étant compris dans le contexte. Ce phénomène d’effacement du «je» qui caractérise l’habitude linguistique coréenne est illustré dans le cas du pronom possessif : les Coréens disent ’notre’ pays au lieu de ’mon’ pays, ’notre’ maison au lieu de ’ma’ maison, voire ’notre’ femme au lieu de ’ma’ femme, etc. Etant donné qu’utiliser les variants possessifs du «je» tels que ’mon’ ou ’ma’ peut donner aux autres une image négative que le locuteur est trop égocentrique, voire arrogant, les locuteurs coréens préfèrent en fait employer les formes langagières appartenant aux catégories de «nous» plutôt que «je»105. Dans cette société, la notion de ’possession’ par le «moi» ou de territoire cède grosso-modo la place à celle de la solidarité du «nous», dont le premier pas est la manifestation de l’intérêt envers les autres membres du groupe et l’homogénéité des opinions et du comportement. La méconnaissance de la différence du rapport interne à chaque société du «je» et du «nous» opère comme un obstacle à la communication interculturelle. C’est le cas notamment de la salutation complémentaire qui consistent, pour les Coréens, à poser des questions ’personnelles’ telles que ’où allez-vous ?’, ’qu’est-ce que vous faites ?’, ’avez-vous mangé ?’, etc. Ces actes de langage qui soulignent en coréen l’engagement ou l’intérêt mutuel peuvent être quelquefois inacceptables pour les Français qui mettent un grand accent sur la vie privée. Par conséquent, cela peut être déduit de la différence dans la reconnaissance du «moi» et du «nous». En Corée, la notion de vie privée est plus étroite et moins sensible qu’en France. En revanche, la considération envers autrui et le besoin de son approbation sont d’autant plus sensibles.

En ce qui concerne la considération envers l’autre, il convient d’évoquer le problème de la réponse à une question. Ainsi, le français dispose d’un système ternaire de réponse à la question, (’oui’, ’si’, et ’non’), alors que le coréen a un système binaire (’ye’ (’oui’) et ’aniyo’ (’non’)). Ce qui donne les possibilités suivantes pour les questions négatives :

Dans une situation de communication interculturelle la réponse coréenne à une question négative peut être le contraire de celle du français. En ce qui concerne ces problèmes, on peut dire qu’en français la réponse de F2, ’si’ ou ’non’, à la question de F1 se construit sur la propre action du locuteur (F2) lui-même, alors qu’en C2 la réponse, ’oui’ ou ’non’, est déterminée par l’accord ou le désaccord avec le contenu de la question du locuteur (C1)106. Cela revient à dire que la réponse française est fonction de l’état de choses qui correspond au contenu de l’énoncé du locuteur lui-même tandis que la réponse coréenne est orientée vers autrui. Cette considération pour l’autre occupe une place importante dans l’expression de la politesse en coréen.

En ce sens, la tendance accordant de l’importance à la notion de «nous» forge en fait la conscience de groupe et la solidarité dans chaque groupe. Mais d’un autre côté, elle produit un phénomène de politesse particulier, l’indifférence envers quelqu’un d’autre hors d’un groupe. Il nous semble que, d’une manière générale, la politesse en Corée ne s’applique pas aux relations entre inconnus, mais seulement entre personnes connues, alors qu’en France la politesse ne repose pas sur cette même distinction. On voit fréquemment des Français qui sont prêts à parler à des étrangers même s’ils ne les connaissent pas bien. Souvent, ils échangent des salutations accompagnées d’un sourire avec des inconnus, croisés dans un couloir par exemple, en disant simplement ’Bonjour’. En revanche, les Coréens ont tendance à ne saluer que les personnes connues, mais non les étrangers, ainsi que le remarque Sohn (1986 : 451) : «Koreans never smile to strangers but greet only their acquaintances».

Notes
105.

H.-M. Sohn, Linguistic expeditions, Séoul, Hanshin Publishing Co., 1986, p. 447.

106.

- H.-M. Sohn, Linguistic expeditions, Séoul, Hanshin Publishing Co., 1986, p. 448.

- M.-S. Park, Communication styles in two different cultures : Korean and American, Séoul, Hanshin Publishing Co., 1979, pp. 87-88.