2. La notion de face en coréen

Le modèle théorique de Brown et Levinson est, semble-il, construit sur la base de la notion de face occidentale. La distinction entre face négative (’le territoire du moi’) et face positive (le souci de ’faire bonne figure’) est un de leurs apports très utile pour éclairer le concept de face. Mais, d’un point de vue interculturel, il nous semble que chaque communauté culturelle met un accent différent sur la face, soit négative, soit positive. Ainsi, s’agissant de la tradition culturelle japonaise, Matsumoto (1989 : 218) la décrit de la façon suivante :

‘«A person’s main concern is not to claim and preserve his/her own territory by expressing him/herself clearly, but rather to become and remain accepted by the other members of the group».’

Par contre, il nous semble que la société française s’enracine profondément dans la notion de face négative. Car dans une société individualiste, le «moi» est à la fois le point de départ et le centre de la pensée. La différenciation entre les membres du groupe repose sur la notion du «moi» ’indépendant’ au niveau d’abord physique et mental. En revanche, la notion de face en coréen est plutôt fonction de la face positive, car les membres de cette société collectiviste ont une notion du «moi» ’interdépendant’ des autres. C’est-à-dire que les Coréens ont une conscience très vive de la manière dont les autres les considèrent, et cette conscience donne lieu à l’extension de la notion de face positive. C’est en ce sens que Lim (1994 : 208) la décrit dans son article sur la structure de la face et sur les facteurs décisifs du désir de cette face positive :

‘«Alors que les occidentaux cherchent la face dans certains domaines limités tels que l’autonomie ou la personnalité, les Coréens sont attentifs à la face dans tous les domaines tels que l’achat de vêtements, de maison et de voiture, le choix d’amis, l’entrée dans une école célèbre ou dans une profession appréciée, les bonnes notes scolaires, la promotion à un poste plus élevé, le choix de cadeaux, etc. Tout ce qui peut attirer l’attention des autres, tel que le comportement et les objets de la vie quotidienne, est en rapport avec la face. Comme celle-ci occupe une grande partie de la vie quotidienne, les Coréens ont tous tendance à réagir à la face de manière très sensible. Ils préfèrent mourir que de ’perdre la face’, et en cas de nécessité ils essaient de sauver la face au risque de perdre des avantages.» ’

Plus les catégories de la face sont nombreuses, plus les possibilités de menace pour la face sont nombreuses. Par conséquent, les actes de langage ou les ménagements qui considèrent la face des interlocuteurs doivent être variés. Ainsi, critiquer l’autre, acte menaçant pour sa face positive, est en Corée un comportement très délicat, qui a besoin d’une atténuation. Sinon, il serait inévitable que les interlocuteurs entrent en conflit émotionnel et il leur serait difficile d’atteindre l’objectif de leur rencontre. Pour éviter une telle situation, on conseille d’avoir recours aux procédés de ménagement tels que d’éviter les critiques. Si la critique est inévitable, il faut un savoir-faire minutieux, en utilisant la critique indirecte par exemple. La critique ayant pour effet de rabaisser les compétences d’autrui, elle menace le désir de face, désir d’être apprécié d’autrui.