3. La notion de FTA

Le modèle de Brown et Levinson suppose que les locuteurs ont le désir (ou face-want) de préserver mutuellement les faces positive et négative de leurs interlocuteurs, et qu’il existe des actes de langage qui menacent intrinsèquement leurs faces, tels que l’ordre, la requête, la promesse, ou la critique, le désaccord, etc. Quand il existe un risque d’accomplir un FTA dans un contexte donné, des locuteurs rationnels essayeront de minimiser et réparer la face menacée, tout en choisissant des stratégies appropriées à la relation interpersonnelle et à la situation donnée. Ces stratégies supposent l’apparition de FTAs qui sont essentiellement reliés à la force illocutoire de ces actes. L’ensemble de ces processus de face-work est suivi par les locuteurs français aussi bien que coréens.

Mais, il nous semble que la notion de FTA qui ne se définit qu’à partir de la force illocutoire d’un acte de langage ne peut plus, comme le remarque Matsumoto (1989), être valable dans certaines communautés. C’est le cas notamment des interactions japonaise et coréenne où le système des honorifiques grammaticalisés passe avant tout. Ces phénomènes sont considérés par Brown et Levinson comme une stratégie pour désamorcer l’action menaçante, mais il est évident qu’ils ne sont pas, dans ces sociétés, un objet de choix facultatif des locuteurs. Ils sont inscrits fondamentalement dans tous les actes de langage coréens, que ceux-ci soient menaçants ou non. L’irrespect de ce système serait considéré dès lors comme l’acte le plus menaçant. A cet égard, il nous semble que les honorifiques que Brown et Levinson définissent comme une stratégie de politesse, ainsi que la notion de FTAs ne peuvent être ni efficaces, ni convaincantes pour expliquer leur usage en coréen.

La notion de FTA doit être, nous semble-t-il, considérée non seulement au niveau de la force illocutoire d’un acte de langage, mais aussi au niveau de son codage à travers le système des honorifiques. Ce second niveau a en coréen la priorité sur le premier qui le présuppose. Le système des honorifiques est donc une condition essentielle des échanges verbaux. Ainsi un énoncé orienté vers un FFA, qui ne serait pas codifié par un appareil approprié du système des honorifiques, ne serait rien d’autre qu’un acte gravement menaçant pour la face de l’interlocuteur. Or les actes de langage qui sont catégorisés sous le nom d’’actes directifs’ au sens de Searle sont plus acceptables pour les Coréens que les cas déviants du système des honorifiques. Il arrive qu’une bagarre dans la vie quotidienne soit amplifiée par des échanges qui n’ont plus d’honorifiques. De là, nous pouvons affirmer que la communication coréenne suppose la connaissance et la maîtrise des honorifiques appropriés dans chaque énoncé et dans chaque situation donnée, dont l’échec rend un acte de langage impoli même s’il ne contient pas de FTA. Les formes des honorifiques inadéquats peuvent donc offusquer les auditeurs, dans la mesure où les énoncés transmettent dans la conversation coréenne une information sur le contexte social, tels que les aspects de la relation interpersonnelle ou la considération d’autrui.