4. Politesse et déférence

Il n’est pas facile de répondre à la question : ’qu’est-ce que la politesse en Corée ?’ puisque la politesse est avant tout un phénomène complexe, social et linguistique, dont l’origine remonte aux sources philosophiques, historiques, et socio-culturelles d’un pays. Cette question nous oriente donc vers une réflexion philosophique sur la politesse coréenne : le confucianisme, sur lequel elle est fondée en grande partie.

Lorsque l’on considère le terme «politesse» d’un point de vue étymologique, le mot français ’politesse’ correspond à plusieurs mots coréens tels que ’yejôl’, ’yeûi’, et ’kongson’. Selon le dictionnaire coréen107, les deux premiers termes renvoient à la loi ou à l’honneur relatif aux comportements humains verbaux et non-verbaux, qui doivent être inévitablement respectés. En revanche, le dernier terme laisse entendre ce que ces comportements signifient plus concrètement. Ainsi, le mot ’kongson’ est composé de ’kong’ et ’son’ : ’kong’ signifie ’respect’, et ’son’, ’modestie’. En ce sens, la politesse peut passer pour une combinaison de respect et de modestie. En considérant ces mots coréens, on peut arriver sans difficulté à une définition ordinaire de la politesse comme norme sociale relative au respect et à la modestie. Il s’agit donc d’une définition au sens strict à partir de la relation interpersonnelle hiérarchique. Par conséquent, le concept de politesse en coréen repose sur le principe d’inégalité dans lequel la politesse concerne les attitudes de l’inférieur, qui élève le supérieur, en s’abaissant soi-même, d’une façon à la fois verbale et non-verbale. En effet, les aspects non-verbaux sont saillants dans l’interaction coréenne au point qu’ils déterminent visiblement les attitudes du locuteur envers son interlocuteur. Ils permettent donc aux interlocuteurs, dans bien des cas, de saisir le type de relation interpersonnelle établie entre eux, notamment par le comportement, lors de la salutation, ou à partir du regard, de la posture, etc. au cours de l’interaction. Mais, nous ne nous intéresserons dans le présent travail qu’au comportement verbal de politesse.

En ce qui concerne les aspects verbaux, il convient d’examiner d’abord la définition étymologique afin de voir si elle permet d’expliquer le phénomène de politesse linguistique dans la vie quotidienne, et comment se manifestent le respect et la modestie. La grammaire coréenne nous montre que le respect se réalise par le système des ’honorifiques’, et que la modestie s’accomplit par des ’formes humbles (humiliatifs)’, qui correspondent respectivement aux catégories de «A-orienté» et de «L-orienté» au sens de Kerbrat-Orecchioni. Cela ne signifie pas que l’honorifique et l’humiliatif sont une option que les interlocuteurs peuvent choisir arbitrairement. Ils sont au contraire obligatoires, au point que leur inobservation, consciente ou inconsciente, risque de provoquer l’embarras ou des sanctions sociales négatives.

Nous allons examiner le problème du rapport entre ces deux éléments : honorifique et humiliatif, pour vérifier s’ils sont une condition nécessaire et suffisante pour la politesse. Etant donné qu’ils sont fondamentalement codifiés dans le système linguistique, il est indispensable de respecter le code pour qu’il y ait communication. En ce sens, ils sont nécessaires et primordiaux pour la politesse. Mais on peut admettre avec Cho (1982 : 147-153) qu’ils ne sont pas suffisants, car il existe d’autres facteurs contextuels qui jouent un rôle aussi important pour déterminer le comportement poli. Ainsi, l’usage des particules telles que ’jom’ (sens littéral : ’un peu’, ou ’s’il te plaît / s’il vous plaît’) et ’jokûm’ (’un peu’ ou ’juste’) a pour effet d’atténuer la force illocutoire, et ils sont reconnus comme marqueurs de politesse. Le choix du type d’acte de langage approprié dans un contexte donné constitue un autre marqueur de politesse. Un acte de langage indirect est considéré comme une forme plus polie qu’un acte de langage direct dans les situations de discussion que nous allons examiner plus loin. On en déduit que la politesse en coréen est constituée tout d’abord par le système des honorifiques et des formes humbles, que nous appellerons ’déférentiels’ (ou procédés de la déférence) dans le présent travail, et aussi par les stratégies de politesse : l’usage de certaines particules, les types d’actes de langage, et les catégories qui appartiennent à la politesse négative et positive ou aux procédés d’atténuation au sens de C. Kerbrat-Orecchioni.

La politesse en coréen apparaît ainsi comme un concept complexe qui comprend à la fois un composant de déférence qui est une des caractéristiques des langues asiatiques telles que le japonais, le chinois, et le coréen, et un composant de diverses stratégies avancées par certains théoriciens de la politesse, tels que Brown et Levinson (1987).

Notes
107.

H.-S. Lee, Kukô sajôn [Dictionnaire de la langue coréenne], Séoul, Min Jung Sôlim, 1991.