5.2.2. Conjugaisons du verbe et niveaux de langage

Il n’est sans doute pas exagéré de dire que les études sur les honorifiques sont orientées en grande partie vers le problème du niveau de langage qui est marqué dans les conjugaisons du verbe par les degrés variables d’honorifiques que le locuteur utilise vis-à-vis de son allocutaire. Les niveaux de langage dont le système est sophistiqué sont classés en différents degrés (de 4 à 6) selon les linguistes coréens112. Nous allons examiner les niveaux de langage dans le système d’opposition des honorifiques et des neutres, à partir du modèle de H. B. Tchoe (1971 : 252) qui en propose quatre :

Niveau de langage Déclaratif Impératif
Honorifiques Très Haut (D 4) Hasipnita Hasipsiyo
Haut (D 3) Haeyo/hapnita Haseyo
Neutres Bas (D 2) Hane Hake
Très Bas (D 1) Hanta Hêra

Pour choisir le niveau de langage, il est indispensable de savoir quel est le type de relation interpersonnelle. Ces différents niveaux de langage peuvent être utilisés d’une façon symétrique ou asymétrique. C’est-à-dire qu’on peut distinguer les honorifiques symétriques et asymétriques envers l’allocutaire selon la relation interpersonnelle. Nous allons examiner les types de relations entre des interlocuteurs coréens, en corrélation avec les types d’honorifiques. Pour les types de relations, il peut y avoir celles de hiérarchie (H), d’égalité (E), et de solidarité (S) au sens de Kerbrat-Orecchioni (1992) :

  1. Relation hiérarchique : elle se caractérise par la hiérarchie et la solidarité. Cette relation est basée sur une nette différence d’âge et/ou de statut social entre les participants. Il s’agit de la relation entre le supérieur et l’inférieur (L>A ou L<<A), dont les niveaux de langage sont asymétriques. Dans le cas où c’est le locuteur qui est inférieur (L<<A), il choisit le niveau de langage (D4 ou D3), et son partenaire, D2 ou D1, en retour :
    1. L (D4/D3) (D2) A

    2. L (D4/D3) (D1) A
      Les locuteurs en (i) et (ii) montrent leur déférence envers l’allocutaire, envers le supérieur, alors que celui-ci peut choisir D2 afin de ne pas faire perdre ouvertement la face à l’inférieur, quand ce dernier est un adulte ayant une position sociale. Or le niveau de langage (D2) se présente dans cette relation hiérarchique comme une considération du supérieur envers l’inférieur. Dans la mesure où l’âge ou le statut social de L est plus élevé, D2 peut être considéré comme une forme d’honorifique envers l’inférieur avec l’ajout du suffixe honorifique ’shi’ au radical du verbe. Ici, les honorifiques sont asymétriques : honorifique envers le supérieur (D4 ou D3) et envers l’inférieur (D2).

  2. Relation égale : elle se caractérise par l’égalité et la solidarité. Cette relation repose sur la base de l’égalité de l’âge ou du statut social entre les participants dont la solidarité se renforce par certains facteurs tels que le lien scolaire et la région dont ils sont originaires. Elle est marquée par deux façons de parler :
    1. L (D2) (D2) A

    2. L (D1) (D1) A
      Les niveaux de langage (D2 et D1) n’ont aucun marqueur honorifique, et ils se distinguent l’un de l’autre, dans la mesure où D2 est un style utilisé entre participants égaux et âgés, et D1 entre interlocuteurs égaux dans une relation d’intimité.

  3. Relation neutre : elle se caractérise par l’insuffisance de la solidarité et par une hiérarchie plus ou moins neutralisée. Cette relation s’établit entre participants, exerçant une même activité sociale, ayant une interaction professionnelle ou formelle. Elle porte sur le principe du respect mutuel, malgré la différence d’âge et de statut, entraînant l’usage d’un même niveau de langage.
    1. L (D4/D3) (D4/D3) A

Les niveaux de langage, que L et A emploient l’un envers l’autre, fonctionnent comme un honorifique symétrique qui marque le type de leur relation. Mais, il arrive qu’ils ne soient pas respectés, à cause de la nature de la relation plus ou moins neutralisée et du décalage potentiel du statut social. C’est-à-dire que les participants se haussent ou/et s’abaissent en utilisant alternativement D3 et D2, ce qui cause quelquefois un conflit entre eux.

Notes
112.

- Nam et Ko, Pyojun Kukô Munbôplon [La grammaire standard coréenne], Séoul, Tap Tchul Pan Sa, 1993, p. 332. - J.-T. Kim, Kukô hwayonglon [La pragmatique coréenne], Séoul, Hyông Sôl Tchul Pan Sa, 1984, pp. 103-104.