6.1. Actes de langage directs et indirects

D’après Austin (1970) et Searle (1982), tous les énoncés transmettent non seulement un contenu propositionnel, mais aussi accomplissent une action particulière à travers la force de l’énoncé. Austin montre que les actes de langage exécutent simultanément trois actions : acte locutoire, acte illocutoire, et acte perlocutoire. Le terme d’acte de langage renvoie généralement à l’acte illocutoire qui est conventionnellement lié à un type d’acte de langage. Or l’acte de langage est par nature une action sociale qui est gouvernée par certaines règles telles que la grammaire ou la norme sociale. Ces contraintes grammaticales et/ou sociales rendent le discours compréhensible et généralement acceptable. Ainsi, dans l’interaction coréenne où la contrainte sociale est bien lexico-grammaticalisée, même si les interlocuteurs respectent cette contrainte dans leur énoncé, leur comportement peut être considéré comme impoli par leur partenaire, contrairement à leur intention. C’est le cas notamment du choix de l’acte de langage direct ou indirect, où la clarté du contenu d’un message peut être perçue comme polie ou impolie. Cela nous conduit à envisager le rapport entre la stratégie de politesse et le type d’acte de langage.

En effet, même si les formes indirectes sont motivées d’après Searle (1982 : 77) par la politesse, elles ne s’appliquent pas nécessairement à tous les types d’actes de langage, puisqu’elles peuvent n’être plus polies dans certains cas. Afin de déterminer quel type d’acte de langage est approprié, il est salutaire de prendre en considération la direction du ’bénéfice’ d’une action à venir. Ainsi, quand cette dernière est favorable à l’allocutaire, c’est l’acte de langage direct qui est plus poli que l’acte de langage indirect, comme le remarque Lakoff (1973 : 297). Car dans ce cas, les actes de langage directs ont pour effet de renforcer ou maximiser le bénéfice du partenaire, comme le montre l’exemple suivant :

  1. Dô dû-si-kessôyo ? (’Voulez-vous en prendre encore ?)

  2. Dô dû-se-yo.(’Prenez en encore’)

Ces deux phrases concernent les actes d’offre qui peuvent s’utiliser dans le cas où l’hôte proposerait à son invité de manger plus. La suggestion en (1) est produite indirectement par la forme interrogative, alors qu’elle se réalise en (2) directement par la forme impérative. Au niveau de la force illocutoire des actes de langage en question, il apparaît que l’énoncé (2) est plus poli que l’énoncé (1), dans la mesure où l’hôte en (1) laisse à son partenaire l’option de choisir ce qu’il veut. En réalité, ce qui est plus poli c’est la deuxième formule où le désir de l’hôte que l’invité prenne davantage du plat qu’il a préparé, est exprimé plus manifestement avec l’impératif. En ce sens, l’acte de langage indirect est moins poli.

Cependant, les formes directes ne sont pas appropriées dans le cas d’un message favorable au locuteur ou/et défavorable à l’allocutaire, car alors, l’acte illocutoire est menaçant pour les faces du partenaire. De plus, la forme de l’énoncé a pour effet de renforcer ce FTA. Dans ce cas, les formes indirectes sont les plus convenables pour diminuer ou ménager une force illocutoire menaçante. De ce fait, les actes de langage indirects ont intéressé bien des linguistes ou philosophes dans les années 70. Searle (1982) considère les actes de langage indirects comme le cas où un acte illocutoire primaire serait accompli indirectement par l’accomplissement d’un autre acte illocutoire secondaire. Le passage de la compréhension de l’acte illocutoire secondaire littéral à la compréhension de l’acte illocutoire primaire non littéral se fait par une stratégie inférentielle du locuteur, qui consiste en dix étapes à partir des actes de langage conventionnels qui appartiennent à la catégorie ’directive’. Voici l’exemple que Searle (1982 : 74) prend pour cas typique du phénomène général d’indirectivité :

X : Allons au cinéma ce soir.

Y : Je dois travailler pour mon examen.

Ce qui nous intéresse ici, c’est la réponse d’Y, même s’il n’est pas facile de savoir si elle est un refus, car elle peut signifier : ’Je dois travailler à mon examen, mais allons tout de même au cinéma’, comme le remarque Searle lui-même. Si toutefois l’énoncé d’Y est une réponse qui suppose un refus de la proposition de X, il est évident qu’elle constitue un acte de langage indirect, n’ayant pas le marqueur de refus. Dans ce cas, l’indirectivité s’accomplit par le passage de l’acte illocutoire secondaire (’affirmation’), qui est accompli par le sens littéral (’je dois travailler pour mon examen’), à l’acte primaire (le refus de la proposition). Le comportement d’Y est ici motivé par le principe de politesse, comme le dit Searle (1982 : 77) :

‘«c’est la politesse qui constitue la principale motivation en faveur de l’indirectivité» ’

En fait, la réponse d’Y, à la différence de l’acte de langage indirect conventionnel, n’appartient pas au système déférentiel dans la mesure où elle ne comporte aucun appareil linguistique de politesse. Mais la réponse d’Y étant fonction du contexte conversationnel, il est évident qu’elle fait allusion à l’indirectivité. Celle-ci s’utilise comme moyen d’atténuer l’acte illocutoire primaire menaçant pour les faces de l’allocutaire, et de défendre la relation harmonieuse au détriment de la maxime de modalité : ’Soyez clair’, ’Evitez de vous exprimer avec obscurité’, ou ’Evitez d’être ambigu’116. En ce sens, l’acte de langage indirect est un procédé de face-work. Il se peut donc que l’opposition de la forme directe et indirecte soit moins significative dans la catégorie d’actes de langage ’assertifs’, tels que refus, critique, ou désaccord, que dans les actes ’directifs’, puisque l’intervention du locuteur se caractérise souvent par la co-existence d’actes de langage direct et indirect. Dans le cas de l’apparition d’un contenu pointu dit ’menaçant’, les interlocuteurs ajoutent, après ou avant cette action, d’autres actes de langage tels que justification, excuse, etc., afin de ménager la face.

Notes
116.

P. Grice, ’Logique et conversation’, in Communication, 1979, n° 30, p. 61.