CHAPITRE 8
Accord et désaccord dans le débat

1. La construction du débat

1.1. L’organisation globale

Le débat à la radio qui constitue notre corpus se produit dans le contexte institutionnel des médias. Il se caractérise par une activité discursive formelle, c’est-à-dire une conversation publique qui se compose, d’une part, de trois participants : un animateur et deux débatteurs, et d’autre part, d’un certain nombre d’auditeurs hors du plateau du débat. Ce type d’interaction à trois a donc un cadre participatif plus ou moins complexe, avec des rôles différents pour les participants au niveau interlocutoire et interactionnel. Kerbrat-Orecchioni (1997 : 2) note à propos du rôle interlocutoire que le non-locuteur peut avoir un statut différent comme «destinataire direct (ou allocutaire)» ou comme «destinataire indirect». Ainsi, lorsque l’animateur lance ponctuellement les thèmes sous forme d’une question qui impose une réponse à l’un des débatteurs, celui qui a reçu sa question a un statut de destinateur direct, alors que l’autre débatteur reste un destinataire indirect. En ce qui concerne le rôle interactionnel, le débat met en scène des participants qui ont également une différence de statut. L’animateur contrôle le développement du thème et l’alternance des locuteurs tout au long de l’émission. A ce titre, il prend un statut dominant à un moment donné, en gérant l’interaction elle-même au niveau de la distribution des tours de parole ou de la gestion du thème. En revanche, les deux invités ont une position dominante au moment de la discussion, en donnant en tant qu’experts des opinions ou des informations sur un problème d’intérêt public.

Notre corpus, composé d’enregistrement des émissions «Tolon Madang» ou «Jipjung Tolon», est organisé en séquences selon le script propre au débat : séquence d’ouverture, séquences du corps, et séquence de clôture. La séquence d’ouverture est prise en charge par l’animateur dans un ensemble d’actions : la salutation aux auditeurs, la problématique sur le sujet du débat, la présentation de lui-même et des participants, et la salutation ou/et le remerciement des participants. L’animateur commence systématiquement cette séquence avec la salutation proprement dite, accompagnée d’un marqueur d’adressage qui désigne les auditeurs :

(1) (Tolon 2 : 001)

  • 001 Son : tchôngtchwija yôlôbun annyônghaship-nikka

  • audiences plusieurs personnes être en paix-TQ

  • (TQ : terminaison conclusive interrogative)

  • (’Bonjour, Mesdames et Messieurs’)

Ici, le terme ’yôlôbun’ est une forme déférentielle de yôlô salam (’plusieurs personnes’). Il s’utilise dans la conversation ordinaire comme une sorte d’appellatif, lorsque ceux à qui l’on parle sont nombreux. Il implique explicitement avec le mot ’tchôngtchwija’ (’auditeurs’) que c’est aux auditeurs que s’adresse d’abord l’animateur dans la séquence d’ouverture d’un long tour. L’animateur ouvre la séquence du corps en lançant le premier thème sous forme de question. La réponse des invités, qui concerne les informations demandées par l’animateur, peut être suivie, soit par d’autres questions supplémentaires ou par une question à l’autre invité, soit par l’opinion discordante et opposée de l’animateur ou de l’autre débatteur. Cette réponse peut se présenter comme un point de passage d’un module d’interview à un module de discussion et vice versa, avec un changement de cadre participatif. Le module d’interview se caractérise par un système du tour avec question et réponse, et par le ton centré sur le consensus et la coopération, alors que le module de discussion est caractérisé par une forme de tour avec l’auto-sélection et le ton centré sur la confrontation, l’expression de la divergence et la compétitivité. Le dosage de ces deux modules dans le débat est différent dans les corpus français et coréen. En effet, le module d’interview se présente comme dominant dans le corpus coréen, alors que c’est le module de discussion dans le corpus français, comme le montre le nombre de tours de parole dans les schémas du deuxième chapitre. En ce qui concerne la séquence de clôture, elle est également prise en charge par l’animateur qui annonce une rupture par rapport à un état antérieur du débat, la séquence du corps, et la fin de l’émission. Dans cette séquence, l’allocutaire de l’animateur peut être ses invités dans le cas des remerciements, mais aussi les auditeurs de l’émission avec un marqueur (yôlôbun : ’mesdames et messieurs’) dans la salutation d’adieu, et ces deux composants en même temps dans la conclusion ou le résumé du contenu de la discussion à un moment donné.