2. Procédés d’évaluation dans la discussion

Dans notre corpus, la question et la réponse sont le principal moyen d’enchaîner le débat entre les participants. Ceux-ci accompagnent souvent leur réponse d’un acte d’évaluation ou de commentaire. Ainsi, le locuteur (L2) présente une évaluation dans la réponse à la proposition ou l’assertion de son interlocuteur (L1). Cette première évaluation peut être suivie d’une seconde évaluation produite par le destinataire (L1) de la première évaluation sur le même référent. L’assertion initiative vient donc fournir une pertinence pour l’évaluation qui peut concerner l’accord (évaluation positive) et le désaccord (évaluation négative). L’accord et le désaccord peuvent être considérés fondamentalement comme un produit du procédé d’évaluation sur le tour, alterné entre deux (ou plusieurs) interlocuteurs. Ils résultent donc d’une production interactive.

Les interlocuteurs introduisent au cours de telle ou telle évaluation sur le tour précédent l’«acte de reformulation». Kotschi (1986 : 213) le définit comme «un énoncé complexe de la forme xRy, où x et y sont deux segments de la structure propositionnelle du texte et où R est une relation sémantique». Les deux segments (x et y) sont appelés l’«énoncé-source» et l’«énoncé-reformulateur» respectivement. Gülich et Kotschi (1987) le comprennent dans un sens plus ou moins large, en prenant le rephrasage, la paraphrase, et la correction pour des sous-catégories de cet acte. En revanche, Vion (1992 : 219) propose une définition au sens strict de la reformulation comme «une reprise avec modification(s) de propos antérieurement tenus», en la divisant en «auto-reformulation» et en «hétéro-reformulation» selon que les reformulations s’effectuent sur la parole du locuteur lui-même ou sur celle du partenaire. Ici, nous nous intéressons aux hétéro-reformulations qui constituent souvent un point de départ de l’argumentation dans une intervention, en donnant à l’interlocuteur un ensemble d’évaluations positives ou négatives à propos de la parole du partenaire. En effet, dans notre corpus, lorsque les interlocuteurs introduisent, dans leur propre discours, une partie de l’argument du partenaire, ils peuvent la répéter simplement dans l’évaluation positive en montrant qu’ils l’ont écoutée attentivement et comprise, et qu’ils recherchent le consensus dans un certain sens. Ils peuvent également tenter, par cette reformulation, d’introduire la divergence pour critiquer, refuser ou s’opposer, comme dans les exemples ci-dessous :

(1) (Tolon 10 : 174)

(2) (Tolon 1 : 077)

Les exemples (1) et (2) comprennent des hétéro-reformulations qui sont marquées par des locutions spécialisées qui comportent souvent le verbe malhada (’dire’) ou jijôkhada (’remarquer’). Dans l’exemple (1), la reformulation a pour but de mettre en accord avec l’argument précédent. Elle est accompagnée de marqueurs du type : X-ka malssûmhasin kôstchôlom (’comme X a dit’) ou X-ka jikôkhashin kôstchôlom (’comme X a remarqué’), -e-ttalûmyôn (’selon’) etc. Par contre, quand elle concerne le désaccord comme dans l’exemple (2), elle est mise en scène en fixant de façon plus ou moins précise la frontière de l’énoncé cité. Ce type de reformulation est marqué explicitement par les procédés verbaux : X malssûm-e (’selon X’)...ilôhke jijôk-ûl hêju-shôss-nûnde (’il a fait une remarque comme cela’) , X-lako (ou X-dako) malssûm hashinûnde (’vous dites que X’), Y-ka X-ida, ilôhke malssumhashinûnde (’Y être X, dire comme ça’). A côté du marquage, les locuteurs, dans les exemples (1) et (2), font entendre des «voix» distinctes de celle de l’auteur de l’énoncé, voix qui peuvent être associées à l’allocutaire du discours. Il s’agit du phénomène de «diaphonie» et d’«une reprise diaphonique». Ainsi, la voix de l’interlocuteur dans l’exemple (1) (hôlkaps mêkak : ’la vente à vil prix’) est identique à celle du locuteur (Jo) dans la recherche d’un consensus, alors que dans l’exemple (2) la voix de l’interlocuteur est explicite et effective, dans la mesure où le locuteur (Hwang) mentionne le point de vue de son allocutaire pour en corriger la portée argumentative. Ce phénomène de pluralité des voix (polyphonie et diaphonie) est saillant dans notre corpus qui se caractérise par des échanges argumentés et par la confrontation de différents points de vue. Lorsqu’un locuteur met en scène dans son tour de parole une partie de l’argument du partenaire, il peut s’identifier à celui-ci ou au contraire s’en distinguer.