3.2. La coalition et l’accord

Dans une discussion menée par trois participants, l’expression de l’accord tend à la coalition qui se présente, d’après Caplow (1984), comme «la caractéristique essentielle de la triade»127 et comme «l’union de deux ou plusieurs acteurs qui adoptent une stratégie commune pour faire échec à d’autres acteurs dans le même système»128. Dans notre corpus, la coalition est formée entre l’un des deux débatteurs qui ont des opinions opposées sur le sujet donné, et l’animateur qui joue normalement un rôle de tiers au cours de l’interaction. L’animateur peut donc refuser, en tant que témoin, de prendre position par rapport à des opinions discordantes ou opposées. Cependant, il peut également exprimer son ralliement avec l’un des deux interactants. Lorsque l’animateur prend position contre un débatteur, l’autre débatteur tente une coalition avec l’animateur en manifestant son accord explicite. Ainsi, l’exemple (1) montre le phénomène de coalition entre l’animateur et l’un de ses deux invités. Cet exemple est extrait de la discussion «Jipjung Tolon (12/11/99)» où les interlocuteurs s’opposent sur les fonds employés par un parti politique. Alors que les deux débatteurs soutiennent une opinion opposée, l’animateur (Tchoe) exprime en 107 son désaccord avec le débatteur (Soo), et immédiatement, dans son tour, l’autre débatteur (Kim) approuve l’animateur :

(1) (Jipjung 9 : 107-110)

  • 107 Tchoe : ani kûlônde, Kim kyosu-nim-do malssûm ha-shy-ôss-sûmnida-man

  • non mais Kim professeur-SD-aussi parole faire-SD-Pa-TD-mais

  • ikô-nûn chôngmal i 1 pôssent’-man ne-ko amulôn don-ûl

  • cela-SN vraiment 1 %-seulement donner-et aucun argent-SA

  • dô isang neji anhû-myôn kû boda dô

  • plus plus de donner ne pas-si ku plus que plus

  • chohûl //bangbôp-ûn ôsp kess-nûnde, uli nala jôntchi

  • content manière-SN n’être pas être (F)-mais notre pays politique

  • 108 Kim : //kûlôhjiyo, majsûp-nida ye ye

  • être comme cela avoir raison-TD oui oui

  • 109 Tchoe : hyônsil-i sasil kûlô-nûnya ikôjyo.

  • réalité-SN en effet comme cela-TQ être cela

  • 110 Kim : ye majsûpnida. yelûl dûlôsô jikûm jôngtchi jakûm bôp-do-yo,

  • oui avoir raison exemple prendre maintenant politique fonds loi-aussi-SD

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; TQ : terminaison conclusive interrogative ; SA : suffixe de cas accusatif ; SD : suffixe déférentiel ; SN : suffixe de cas nominatif ; F : futur ; Pa : passé)

  • Traduction

  • 107 Tchoe : non mais, comme le dit aussi le professeur Kim, si l’on

  • paye seulement 1% et qu’on ne paye plus rien, il n’y aura pas

  • de //meilleure méthode que cela, mais la réalité politique

  • 108 Kim : //c’est ça vous avez raison oui oui

  • 109 Tchoe : dans notre pays est-elle comme ça ? c’est ça

  • 110 Kim : oui vous avez raison, par exemple concernant la loi des fonds employés par un parti politique,

Dans l’exemple ci-dessus, l’animateur (Tchoe) refuse en 107 l’argument du débatteur (Soo), en invoquant l’irréalité du projet de loi en question. Il introduit, au début de son tour, une forme d’hétéro-reformulation : Kim kyosu-nim-do malssûm hashyôsssûmnidaman (’comme le dit le professeur Kim’). Cela revient à dire que son désaccord, citant l’argument de Kim, suppose que celui-ci a proposé une opinion opposée à celle de l’autre débatteur (Soo), et que son argument, par cette citation, va dans la même direction que celui de Kim. De même, en 108, le débatteur (Kim) acquiesce immédiatement, en émettant des régulateurs verbaux d’approbation, tels que kûlôhjiyo (’c’est ça’) et majsûpnida (’vous avez raison’). A la place transitionnelle du tour de l’autre débatteur (Soo), il prend son tour en 110 pour exprimer explicitement son accord par ye majsûpnida (’oui vous avez raison’) sous forme d’«auto-répétition». Par cette approbation, l’animateur (Tchoe) et le débatteur (Kim) entrent en coalition à un moment donné sur un sujet donné. La coalition peut donc se décrire à l’aide du schéma suivant :

  • (A)T1 - D1 : proposer l’argument (P1)

  • T2 - D2 : contre-argument (P2)

  • T3 - A : accord avec D1 (ou D2)

  • T4 - D1 (ou D2) : accord avec A

ou

  • (B)T1 - D1 : proposer l’argument

  • T2 - D2 : contre-argument

  • T3 - A : désaccord avec D2 (ou D1)

  • T4 - D1 (ou D2) : accord avec A

Le schéma ci-dessus montre que la coalition peut se réaliser sous deux formes : (A) est une coalition explicite, alors que (B) est une coalition implicite, selon que le locuteur en T3 manifeste son ralliement par l’accord ou par le désaccord. L’exemple (1) que nous venons de voir est une forme de coalition qui se produit par le type (A), accompagné de la phase T4 qui se présente comme une ratification. Par conséquent, la coalition s’établit par la prise de position du locuteur en T3, ce locuteur étant souvent l’animateur du débat. L’union de deux interactants, dans une coalition de deux contre un, varie au cours de l’interaction en fonction du glissement du thème de discussion, et d’un moment à l’autre de l’interaction. On peut dire qu’il s’agit d’une ’micro-coalition’. En revanche, il existe d’autres cas où le type d’union ne change pas et est réitératif au cours de l’interaction. Il s’agit de la ’macro-coalition’ qui se retrouve dans trois émissions coréennes, «Tolon Madang (17/11/97)», «Jipjung Tolon (11/10/99)» et «Jipjung Tolon (19/10/99)». Enfin, l’accord produit dans la coalition en T3 etT4 est souvent renforcé dans l’intention de montrer le soutien ou la solidarité par la répétition ou la paraphrase de l’argument précédent. En ce sens, on peut dire que ces types d’accord s’opposent à ceux qui se produisent dans le contexte de désaccord.

Notes
127.

T. Caplow, Deux contre un. Les coalitions dans les triades, Paris, ESF., 1984, p. 10.

128.

Ibid., p. 175.