3.3. L’accord dans le contexte de désaccord

L’accord peut s’employer, d’une part, comme soutien de l’argument du locuteur précédent, par une élaboration ou justification de l’opinion précédemment émise. Il y a alors une coalition au-delà du simple accord. D’autre part, l’accord peut être utilisé en position initiale de tour et suivi d’un désaccord. Il s’agit alors de l’accord initial produit dans le contexte d’«accord + désaccord», qui a pour effet d’annoncer à l’interlocuteur un désaccord à venir. Cette manière de préfacer le désaccord est considérée comme une stratégie de politesse destinée à atténuer la menace pour la face de l’interlocuteur. Dans notre corpus, l’accord se produit souvent dans deux formats : format d’«accord + support» et format d’«accord + désaccord» que nous allons étudier dans le paragraphe suivant.

L’accord surgissant dans le contexte de désaccord se situe au début du tour de parole dans lequel se développe l’argument de désaccord. En d’autres termes, il est une sorte d’évaluation positive sur le tour du partenaire, qui est toutefois suivie d’une évaluation négative. L’accord ayant un caractère d’indice de l’apparition du désaccord dans le format d’accord + désaccord, il est inévitable qu’il soit limité, bien qu’il s’agisse d’une évaluation positive, comme le dit Debyser (1980 : 45) :

‘«Dire ’je suis d’accord’ est une forme marquée d’approbation ou encore un procédé d’identification dans une discussion de groupe. Il arrive même que l’expression de l’accord ne soit qu’une feinte 129 permettant d’introduire précisément l’expression du désaccord : ’je suis d’accord (bon, soit, oui, peut-être bien), mais...». ’

En ce sens, Pomerantz (1984 : 68) montre également que c’est l’accord ’baissé’ (downgraded), opposé à l’accord ’élevé’ (upgraded), qui constitue souvent la séquence de désaccord. Cet accord initial prend généralement la forme de l’expression d’un accord partiel avec l’opinion d’autrui, comme le montre l’exemple suivant :

(1) (Tolon 1 : 075)

L’expression de l’accord ’olûshin malssûijiyo’, qui contient les marqueurs honorifiques ’-shi-’ et ’malssûm’, est une évaluation positive sans aucune mention de l’objet et du contenu de l’accord, qui est suivie d’un désaccord par son marqueur kûlôna (’mais’). Elle est donc une action préliminaire qui prépare une condition favorable à l’apparition d’un acte de langage tel que le désaccord. Lorsque l’on dit que le locuteur exprime son accord, cela ne veut pas dire pour autant qu’il est d’accord car ce peut être un accord réel ou un «pseudo-accord». On peut dire que le locuteur est en pseudo-accord avec son interlocuteur, s’il dit être en accord avec lui, bien qu’en réalité il soit en désaccord. En revanche, on peut dire que l’accord réel indique la vérité d’une assertion que le locuteur attribue à un énoncé, comme dans le cas de la coalition. Quand ces comportements sont produits dans le débat par les interlocuteurs, ils sont souvent accompagnés d’une justification évidente.

Examinons encore les accords qui se produisent dans le format d’accord + désaccord. L’exemple (2) est un segment de discussion, extrait de l’émission «Tolon Madang», où l’animateur (M. Park) pose au professeur (M. Tchoe), en 017, un problème de définition du terme ’jêbôl’ (’un groupe d’entreprises’). Il lui attribue un caractère très particulier, affirmant qu’il n’existe pas à l’étranger, car ce terme figure tel quel dans le dictionnaire ’Oxford’. Son partenaire commence son tour avec un accord tiède, c’est-à-dire qu’il l’accepte à regret :

(2) (Tolon 3 : 018)

En 018, le locuteur commence son tour de parole par une évaluation positive : ye mwô kûlôn t’ûksông-do issû-pnida-man (’oui il y a aussi cette caractéristique’). La présence de l’adverbial ne (’oui’) indique que son propos s’oriente vers un accord avec le partenaire, et que le tour a plutôt la caractéristique de l’organisation ’non préférée’, indiquée par le marqueur de l’hésitation (’mwô’) et le ton allongé. Il apparaît que cet accord initial, suivi d’un marqueur d’opposition (’-man’ : le suffixe du verbe), a un caractère restreint. Ce tour comprend également un autre marqueur : le suffixe de nom ’-do’ (’aussi’), qui contribue à rendre l’accord partiel. Ce suffixe, qui peut s’employer comme marqueur des cas nominatif, accusatif, etc., présuppose qu’il existe un ou plusieurs autres éléments130. Ainsi, dans la partie kûlôn tûksông-do (’cette caractéristique aussi’) du tour en question, le terme ’kûlon’, qui correspond en français à une forme anaphorique (’ce’), fait référence à l’argument du locuteur précédent. En revanche, la particule ’-do’ indique qu’il y a aussi une autre caractéristique que celle déjà posée par l’interlocuteur. Ce suffixe implique que son auteur a une opinion plus ou moins différente et qu’il a l’intention de la développer dans son tour. On peut donc dire qu’il indique le désaccord à venir même dans le segment d’accord.

Dans le contexte d’accord + désaccord, il n’est pas difficile de trouver un accord élevé ou renforcé par certains adverbiaux, mais cet accord reste toutefois ’partiel’, même s’il est renforcé par certains adverbes. C’est le cas de l’exemple (3), extrait de l’émission «Tolon Madang», où les interlocuteurs s’opposent sur

l’ajournement de l’élection régionale. L’animateur (Park) demande l’opinion du débatteur (Yu), en résumant le point de vue de l’autre débatteur (Son), selon lequel il ne faut pas changer à volonté la date de l’élection qui est fixée par la loi pour empêcher que le parti au pouvoir la change à volonté. A ce propos, Yu exprime l’accord avec son débatteur, en le renforçant au moyen de certains intensifs :

(3) (Tolon 4 : 158)

L’intervention de Yu dans l’exemple (3) se divise en deux parties articulées autour du marqueur d’opposition (kûlôhjiman) : accord et désaccord. La partie d’accord comporte l’expression de l’accord explicite par l’énoncé (jidangha-shin malssûmikuyo : ’ce que vous avez dit, c’est très raisonnable’) et par les intensifs qui ont pour fonction de renforcer l’énoncé dont il s’agit : tcham (’vraiment’), wônlonjôk-ûlo (’théoriquement’), aju (’très’), qui n’ont pas ici la même nature ni la même fonction. Et comme autre élément qui souligne l’accord, l’auteur choisit l’adjectif renforcé jidanghashin (’très raisonnable’) au lieu de olhûn (’raisonnable’). Cet adjectif est de nouveau accentué par les adverbes (’aju’). Quant à l’adverbe wônlonjôk-ûlo (’théoriquement’) ou wôntchikjôk-ûlo (’principalement’) trouvé dans l’autre émission («Jipjung Tolon 12/11/99 : 060»), il restreint l’argument de son partenaire dans des limites plus étroites. Il exprime un sens figuré qui peut être interprété comme le manque de souplesse ou une perspective très étroite. C’est la raison pour laquelle la présence de cet adverbe dans le tour permet à l’interlocuteur de rendre l’accord partiel, bien que le locuteur accepte l’argument de son partenaire. Autrement dit, son acceptation apparaît comme un accord renforcé et élevé, mais elle se présente en réalité comme partielle, car l’auteur considère l’argument du partenaire comme un point de vue qui ne porte que sur un principe ou une théorie inapplicable.

Examinons maintenant un autre élément qui, comme les adverbes (’wônlonjôk-ûlo’ et wôntchikjôk-ûlo’), a pour fonction de diminuer la portée de l’accord dans le format d’accord + désaccord. Dans l’exemple (4), extrait de l’émission «Jipjung Tolon», les interactants s’opposent sur le projet de loi relatif au système des fonds employés par un parti politique et à la réforme de l’ancien système pour collecter les fonds politiques. L’animateur exprime, dans son tour, une position négative, en ajoutant qu’actuellement, le peuple coréen n’est pas du tout content de la politique et des politiciens. A ce propos, son invité en 189 commence son tour de parole avec l’accord dans le format accord + désaccord :

(4) (Jipjung 9 : 189)

Dans l’exemple (4), l’accord est répété par le locuteur lui-même : ihê-nûn hapnida, jôngsôjôk-ûlo ihê-lûl hajiman. Dans l’interaction verbale, le locuteur peut répéter une partie de ce qui a été dit, soit par lui-même (’auto-répétition’), soit par son interlocuteur (’hétéro-répétition’), pour la renforcer131. Ici, il s’agit bien d’une auto-répétition. Mais cet accord est répété d’une façon différente par la modification syntaxique du terme ihê-nûn hapnida en ihê-lûl hapnida, qui sont dérivés d’une forme de base ihê hada (’je comprends’). La différence de ces deux formes repose sur le suffixe de cas accusatif (-lûl) et sur le suffixe de cas nominatif (-nûn)132. Le sujet de l’action est ici celui qui parle, le débatteur (Soo). A la différence de ihê-lûl hapnida (’je comprends’), l’expression ihê-nûn hapnida (’je comprends’) peut avoir un sens un peu plus nuancé grâce au suffixe (’-nûn’). Nous pouvons mieux percevoir ce sens pragmatique dans les exemples suivants :

  1. na-nûn sakwa-lûl môknûn-da
    je-SN pomme-SA manger-TD (’je mange une pomme’)

  2. na-nûn sakwa- nûn môknûn-da
    je-SN pomme-SN manger-TD (’je mange seulement une pomme’)
    (SN : le suffixe de cas nominatif ; SA : le suffixe de cas accusatif ; TD : la terminaison conclusive déclarative)

Dans les exemples ci-dessus, (a) et (b) sont des phrases correctes au niveau de la grammaire coréenne, mais elles ont un sens différent selon que le complément d’objet (sakwa) est accompagné ou non du suffixe (’-nûn’). Avec ce suffixe, la phrase (b) peut signifier ’je mange seulement une pomme, mais pas d’autres choses’, dans la mesure où le suffixe ’-nûn’ introduit la notion de restriction d’un objet, et qu’il exclut par là-même tout autre chose que ce qui est mentionné. En ce sens, ’ihê-nûn hapnida’ peut être interprété avec le mot jôngsôjôk-ûlo (’sentimentalement’) de la façon suivante : ’je comprends seulement le sentiment du peuple contre la politique et les politiciens, mais il faut adopter le projet de loi dont il s’agit’. Par conséquent, au même titre que les adverbes wônlonjôk-ûlo (’théoriquement’) et wôntchikjôk-ûlo (’principalement’), le suffixe ’-nûn’ restreint l’objet de compréhension et pose dans une partie de l’accord, la possibilité du désaccord, avant d’arriver à un marqueur d’opposition explicite tel que ’kûlôna’ (’mais’).

Notes
129.

Souligné par nous

130.

Cf. H.-S. Lee, Kukô sajôn [Dictionnaire de la langue coréenne], Séoul, Min jung sôlim, 1991, p. 556.

131.

Cf. Brown et Levinson, Politeness. Some universals in language use, Cambridge, C.U.P., 1987, p. 112.

132.

H.-S. Lee, Kukô sajôn [Dictionnaire de la langue coréenne], Séoul, Min jung sôlim, 1991, p. 471.