4. Acte de désaccord

4.1. L’expression du désaccord

L’acte de désaccord est monnaie courante dans le contexte de discussion où l’un des participants prend une position sur le thème donné, et l’autre s’y oppose. Il peut se définir tout d’abord comme un «manque d’accord» et comme une action interactive et complexe, dans la mesure où il est à la fois un acte réactif à l’intervention précédente (’rétroactif’) et un acte initiatif (’proactif’) qui entraîne une autre réaction, en menaçant le partenaire et son discours.

Pour examiner la dimension des expressions de désaccord surgissant dans le contexte de débat qui constitue notre corpus, nous avons repéré, sur le nombre total des tours de notre corpus (724 tours), 139 tours de parole (19%) dans lesquels se retrouvent des actes de désaccords. Ceux-ci sont réalisés souvent au début du tour, dans le format «accord + désaccord», et sous forme de contre-argument comportant des actes discordants avec le tour précédent, tels que l’opposition, la reproche, la réfutation, la dénégation, la correction, le refus, etc. Le contre-argument est exprimé dans 117 tours (84%) parmi lesquels 44 tours sont repérés en début de tour par les marqueurs de négation (’ani’) et d’opposition ; les désaccords exprimés dans le format ’accord + désaccord’ se trouvant dans 22 tours (16%).

C’est tout d’abord sur le début de tour que se porte notre attention afin d’observer s’il comprend des expressions indiquant que le tour du locuteur va s’orienter explicitement vers le désaccord. Il peut être marqué soit par certaines expressions de désaccord, soit par les marqueurs discursifs d’opposition souvent

suivis par des contre-arguments. Les expressions de désaccord en début de tour sont identifiées dans 5 tours et les marqueurs d’opposition, dans 44 tours.

En ce qui concerne les expressions de désaccord qui se réalisent au début du tour, nous constatons que notre corpus ne comporte pas systématiquement d’expressions explicites de désaccord telles que ’je ne suis pas du tout d’accord avec vous’, ’non, c’est pas vrai’ ou ’c’est faux’, comme en français. L’acte de désaccord a tendance d’être exprimé au contraire par des formules implicite qui comporte le morphème de négation manifestant la contradiction et/ou l’évaluation négative, comme dans les exemples suivants :

(1) (Tolon 7 : 074)

  • 074 Kwôn : ah kûlôhji anhssûp-nida

  • ah comme cela n’être pas-TD

  • (’ah ce n’est pas ça’)

(2) (Tolon 3 : 324)

  • 324 Tchoe : ô jô-nûn mwô kûlôhke jom jôki dalûn sêngkak-ûl hakoissûp-nida

  • euh je-SN mwô ainsi un peu jôki différent pensée-SA faire-TD

  • (’euh je pense différemment’)

(3) (Tolon 4 : 132)

  • 132 Son : kô jom munje-ka issûn kô kat’ûndeyo

  • kô un peu problème-SN être semble

  • (’il me semble qu’il y a un problème’)

(4) (Tolon 4 : 275)

  • 235 Yu : ne kûlêsô jokûm jô bowanhêsô malssûm-ûl dûliko shipssûp-nida

  • oui alors un peu jô ajouter parole-SA donner vouloir-TD

  • (’oui alors je voudrais ajouter un mot’)

(5) (Jipjung 7 : 071)

  • 071 Yun : ye kû tcham nu-ka kukmin-ûl hodohanûn kônji ihêhaki ôlyôpssûpnida-man,

  • oui kû vraiment qui-SN peuple-SA tromper chose comprendre être difficile-TD

  • (’il est difficile de comprendre vraiment qui trompe le peuple’)

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; SA : suffixe de cas accusatif ; SN : suffixe de cas nominatif)

Dans le contexte de discussion, les expressions ci-dessus sont observées au début du tour de parole dans lequel le locuteur les utilise pour montrer son désaccord avec le partenaire. Il est évident pourtant qu’elles n’expriment pas explicitement le fait que leur auteur ne soit pas en accord avec son interlocuteur. Mais elles sont plutôt destinées à donner, d’une façon implicite ou indirecte, le sens contradictoire dans l’exemple (1) ou l’idée du locuteur qui n’est pas du même avis, par des termes tels que dalûn sêngkak (’pensée différente’), munjeka issda (’il y un problème’), bowanhêsô (’en supplément’), et ihêhaki ôlyôpda (’être difficile de comprendre’). On peut donc dire qu’il est difficile de trouver dans notre corpus une expression de désaccord explicite au début du tour. Mais il est beaucoup moins difficile d’y identifier des marqueurs discursifs d’opposition tels que ani (’non’) ou kûlônde (’mais’) qui sont souvent suivis de contre-arguments. En fait, cela revient à dire que les participants coréens les emploient comme marqueurs de désaccord en début de tour.

Le désaccord qui se produit en milieu de tour, quant à lui, se traduit par le contre-argument. Il est formulé à l’aide d’expressions d’opposition plus ou moins fortes de la façon suivante :

(1) (Tolon 4 : 248)

  • 248 Son : kûkôn mal-i an doenûn kôjiyo.

  • Cela parole-SN ne pas être constitué

  • (’ce n’est pas logique ou c’est absurde’)

(2) (Jipjung 7 : 064)

  • 064 Kwôn : mwônka kû k’ûke jal mos alko kyeshin kôs katssûp-nida

  • chose très bien ne pas savoir être (H) chose semble-TD

  • (’il me semble que vous connaissez très mal une chose’)

(3) (Jipjung 6 : 183)

  • 183 Kim : kûnde sangsikjôk-ûlo ihê-ka an kanûnke, bwabayo

  • mais sens commun-SF compréhension-SN ne pas être regarder

  • (’mais ce n’est pas compris par le sens commun, regardez’)

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; SF : suffixe fonctionnel spécial ; SN : suffixe de cas nominatif ; H : honorifique)

Dans le contexte de débat, il nous semble impossible d’établir un inventaire exhaustif des expressions de désaccord, dans la mesure où l’évaluation négative peut reposer souvent sur la valeur axiologique d’un certain nombre d’éléments linguistiques. Les exemples ci-dessus peuvent donner un sens discordant hors du contexte à cause du caractère négatif d’expressions telles que mal-i an doenda (’la parole n’est pas constituée’), jal mos alko issda (’mal connaître’), ihê-ka an kanûnke (’n’être pas compris’). Malgré tout, ces expressions ne peuvent pas être considérées comme explicites, mais elles peuvent être renforcées par certains éléments verbaux, paraverbaux, et non verbaux. De là, nous pouvons dire que les participants coréens au débat n’utilisent pas de formules explicites pour marquer le désaccord avec leur partenaire. Il n’est pas fréquent, en effet, d’entendre un équivalent coréen de la formule française ’je ne suis pas d’accord avec vous’, dans la conversation ordinaire ou même dans le contexte du débat radiophonique. Cette formule ferait ressentir aux interlocuteurs de l’antipathie et de l’hostilité, comme le remarque Sohn (1986 : 460) :

‘«Americans frequently say ’I disagree’, ’I have a different view on that’, or ’I cannot agree with you’ in meetings, regardless of rank or status difference. Such expressions are avoided in Korean meetings unless the speaker feels animosity toward the addressee. That is, any open and direct disagreement implies hostility in Korea.»’

En raison de caractère négatif du désaccord, les interlocuteurs coréens évitent de l’exprimer d’une façon directe et explicite, et celui-ci est effectivement remplacé, comme dans les exemples ci-dessus, par diverses expressions indirectes.