2.1. La correction

Le désaccord direct est exprimé d’une façon différente. L’usage de ye (’oui’) et ani (’non’) est un moyen commun de manifester une contradiction avec l’opinion du précédent locuteur. La présence du morphème de négation (ne~pas) convoque obligatoirement, comme le dit Moeschler (1982 : 18), une relation de contradiction. Dans le débat, les débatteurs contredisent d’une façon négative ou positive la proposition de leur partenaire :

  • T1 - L1 : une proposition positive (P)

  • T2 - L2 : une proposition négative (non-P)

ou

  • T1 - L1 : une proposition négative (non-P)

  • T2 - L2 : une proposition positive (P)

Les tours de parole de L1 et L2 se trouvent dans une relation contradictoire, dans la mesure où les tours de L2 manifestent le désaccord avec chaque tour de L1 en indiquant que la contradiction en T1 est vraie. La contradiction contenant les marqueurs de «contradiction négative» (’non’) ou de «contradiction positive»140 (’si’), est souvent expansée par la correction, comme le montre l’exemple suivant :

(1) (Tolon 1 : 195-196)

  • 195 Park : jô-nûn ilôn ûimun-lûl kajike doeyo, bokjêyang ’Dolly’ yôngkuk-eso

  • je-SN cette question-SA avoir copié mouton Dolly Angleterre-en

  • balp’yodoeôssûl jôke ônjedûn-kayo, 2 nyôn jônidôn-kayo,

  • se publier lorsque quand-TQ 2 ans il y a-TQ

  • → 196 Hwang : anipnida, olhê 2 wôl 24 ilip-nida

  • non, cette année 2 moi 24 jour-TD

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; TQ : terminaison conclusive interrogative ; SA : suffixe de cas accusatif ; SN : suffixe de cas nominatif)

  • Traduction

  • 195 Park : je me pose cette question : lorsque la naissance par clonage de la brebis ’Dolly’ a été annoncée en Angleterre, c’était quand, c’était il y a deux ans,

  • → 196 Hwang : non, c’était le 24 février de cette année.

L’exemple ci-dessus est extrait de l’émission «Tolon Madang» sur la biotechnologie et ses problèmes. Avant de poser la question sur le fait que les biotechnologues effectuent leurs recherches en secret, l’animateur (M. Park) s’interroge en 195 simplement sur la date de naissance de ’Dolly’ : 2 nyôn jônidôn-kayo (’c’était il y a deux ans’). Cette demande de confirmation est en 196 contredite (’anipnida’) et corrigée (’olhê 2wôl 24ilipnida’) par M. Hwang. Il s’agit ici d’un type de désaccord qui se produit à la fois par la contradiction et par la correction. Dans le contexte de discussion, les corrections par recours à la contradiction sont acceptées dans un premier temps par l’interlocuteur, comme dans l’exemple (1). Sinon elles se prolongent dans une discussion sur la vérité ou la fausseté, comme le montre l’extrait suivant :

(2) (Jipjung 7 : 072-077)

  • 072 Kwôn : jamkkanman jô jayôngjadûl-i shinkohan sodûk sujun-i kûnlojadûl-ûi kû

  • attendez jô commerçants-SN déclarer revenu degré-SN travailleurs-de kû

  • p’yôngkyun kû kûmêk-boda nopda-koyo ?

  • moyenne kû montant-plutôt que élever-TQ

  • 073 Yun : ye kûlôh-jiyo

  • oui être cela-TD

  • → 074 Kwôn : ah kûlôhji an//-ssup-nida

  • ah être cela non être pas-TD

  • → 075 Yun : //anip-nida //kûkônûn

  • non-TD c’est

  • 076 Kwôn : //je-ka bunmyônghake alko

  • je-SN manifestement savoir

  • issnûn //ba inde, malssûmdûlilkkeyo

  • fait dire

  • 077 Yun : //aniyo, ani kûlikoyo, ani je yêki-lûl jom dûlôboseyo,

  • non non et non moi parole-SA un peu écouter

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; TQ : terminaison conclusive interrogative ; SN : suffixe de cas nominatif ; SA : suffixe de cas accusatif)

  • Traduction

  • 072 Kwôn : attendez euh est-ce que le degré des revenus que les commerçants ont déclarés dépasse le montant moyen de ceux des travailleurs ?

  • 073 Yun : oui c’est ça

  • → 074 Kwôn : ah ce n’est pas //ça

  • → 075 Yun : //non //c’est

  • 076 Kwôn : //je le sais //parfaitement, je vous dirai

  • 077 Yun : //non, non, et, non écoutez-moi un peu

Il s’agit ici du désaccord qui repose sur le décalage d’une valeur numérique entre M. Yun et M. Kwôn, concernant le degré de la déclaration de revenus des commerçants et des travailleurs. Le débatteur (Yun) dit que le montant déclaré par les commerçants est un peu plus élevé que celui des travailleurs, mais l’autre débatteur (Kwôn) n’est pas d’accord avec lui. En 072, il demande d’abord la confirmation en interrompant le tour de son adversaire. Et puis, il le contredit en 074 en énonçant la proposition négative (’ah kûlôhji an-ssûpnida’) qui nie directement la proposition de Yun. Sa contradiction, qui repose sur la réponse (’ye kûlôhji-yo’), utilise une structure syntaxique similaire, en ajoutant le morphème de négation (’an’), et en remplaçant la forme honorifique (’yo’) par une autre forme d’assertion plus forte (’ssûpnida’). Enfin, elle est suivie par une autre contradiction de son adversaire. Et les interlocuteurs finissent par tomber dans la prise de parole compétitive à travers la contradiction et la contre-contradiction. Dans la mesure où le débatteur (Yun) arrive à reprendre la parole après plusieurs interruptions et continue de développer son intervention interrompue, les deux débatteurs parviennent à éviter les menaces potentielles et graves de cette discussion sur la vérité ou la fausseté qui peut donner lieu à une mise en cause des personnes (’une accusation de mensonge’).

Nous avons observé, dans les exemples ci-dessus, la relation contradictoire entre deux tours de parole, qui est exprimée par le morphème de négation (anipnida). La contradiction débouche souvent sur une correction dont la structure formelle en coréen peut se caractériser souvent par la forme «p aniko q». C’est le cas notamment de l’exemple (3), extrait de l’émission «Tolon Madang», où l’animateur (Park) pose à son invité (Hwang) la question suivante :

(3) (Tolon 1 : 171-172)

  • 171 Park : Hwang Woo Sôk kyosu-nim-i ônjekkaji ôttôhke yangsik-lûl jiki-shil

  • Hwang Woo Sôk professeur-SD-SN jusqu’à quand comment bon sens-SN garder-SD

  • su issû-nya kôki-e dêhan ûimun-ûl jekihako kye-shi-nûnde,

  • pouvoir être-TQ cela-à sur question-SA poser être-SD

  • ôttôhssûpnikka

  • comment penser

  • → 172 Hwang : ye jikûm Kim kyosu-nim malssûm jung-esô, soûi

  • oui maintenant Kim professeur-SD parole milieu-à comment on dit

  • t’êa-ûi sông kambyôl-ûn maliyo, yujônkong kisul-i ani-ko

  • foetus-de sexe discernement-SN génétique technique-SN n’être pas-et

  • sowi bbittulôjin ûilyo kisulil ppun-ip-nida.

  • comme on dit mal tourné traitement médical technique seulement-être-TD

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; TQ : terminaison conclusive interrogative ; SD : suffixe déférentiel ; SA : suffixe de cas accusatif ; SN : suffixe de cas nominatif)

  • Traduction

  • 171 Park : Il pose la question de savoir jusqu’à quand, et comment le professeur Hwang Woo Sôk peut garder sa conscience comme scientifique, qu’est-ce que vous en pensez ?

  • → 172 Hwang : oui maintenant quant à ce que dit le professeur Kim, ce qu’on appelle le discernement du sexe du foetus n’appartient pas à la technique génétique, mais ce n’est que, comme on dit, la technique du traitement médical qui est détournée.

Dans l’exemple ci-dessus, avant de répondre à la question de l’animateur (Park), le débatteur (Hwang), reformulant une partie de l’argument de l’autre débatteur (Kim), thématise avec t’êa-ûi sông kambyôl (’le discernement du sexe du foetus’) et se met en désaccord avec Kim par une correction dans laquelle aniko (ou anila) fonctionne toujours comme marqueur de correction. Ces morphèmes dérivés de anida (’n’être pas’) ne définissent que la relation contradictoire entre deux arguments, en niant l’élément (yujônkonghak kisul) qui est situé devant ces morphèmes, et en thématisant l’autre (bbittulôjin ûilyo kisul) qui n’est pas précédé systématiquement d’un marqueur d’opposition. Enfin, il est évident que le désaccord direct se réalise dans une forme de correction, dans la mesure où la correction a pour but de corriger, comme dans les exemples ci-dessus, un contenu précédemment asserté. Mais elle peut s’utiliser également pour rectifier un contenu présupposé dans le tour du précédent locuteur. C’est le cas notamment de l’exemple (3), extrait de l’émission «Tolon Madang», où les participants s’opposent sur le problème des groupes d’entreprises.

(3) (Tolon 3 : 248-251)

  • 248 Park : Kong Byông Woo sojang-nim, /kûlôm IMF-esô jêbôl hêtche-lûl yokuhako

  • Kong Byông Woo directeur-SD eh bien MFI-à ’jebôl’ division-SA demander

  • 249 Kong : /ye

  • oui

  • 250 Park : nasônûn kôs-ûn jalmosdoen p’andanilako boshinûn-jiyo ?

  • chose-SN injuste jugement voir-TQ

  • 251 Kong : IMF-nûn hanbôn-do hêtchelan yongô-lûl sayong-ûl an

  • IMF-SN une fois-seulement démantèlement terme-SA utilisation-SA ne pas

  • hêssûp-nida, kongsik-ûlo. IMF-ka uli jôngbuhako hapûihan kos-nun

  • faire-TD officiellement-SF MFI-SN notre gouvernement négocier chose-SN

  • sanghojikûpbojûng, sanhotchulja, ô yônkyôljêmujep’yo i se kajijodûnyo.

  • fonds communs euh bulletins financiers ces trois être

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; TQ : terminaison conclusive interrogative ; SA : suffixe de cas accusatif ; SD : suffixe déférentiel ; SF : suffixe fonctionnel spécial ; SN ; suffixe de cas nominatif)

  • Traduction

  • 248 Park : Directeur Kong Byông Woo, /eh bien vous croyez que c’est un mauvais

  • 249 Kong : /oui

  • 250 Park : jugement le fait que le fonds monétaire ait demandé de démanteler les groupes d’entreprises ?

  • →251 Kong : le fonds monétaire international n’a pas officiellement utilisé, même une seule fois, le terme ’démantèlement’ lorsqu’il a négocié avec notre gouvernement, (...)

Dans l’extrait (3) ci-dessus, l’animateur (Park) demande à l’allocutaire son opinion sur le fait que le Fonds Monétaire International (FMI) a exigé de démanteler les groupes d’entreprises coréennes (jêbôl). Sa question laisse supposer que le FMI a utilisé le terme hêtche (’démantèlement’). Dans l’intervention réactive, en 251, Kong montre son désaccord direct, en rectifiant d’abord le contenu présupposé dans la question de l’animateur. Il affirme ensuite que le FMI n’a négocié avec notre gouvernement que sur trois éléments, mais qu’il n’a jamais demandé le démantèlement des groupes industriels. En ce sens, le désaccord de Kong est «métacommunicatif» au sens de Moeschler (1982), dans la mesure où il ne vise pas à refuser le contenu d’un acte d’assertion antérieur, mais plutôt l’acte associé à l’énonciation du partenaire.

Notes
140.

Muntigl et Turnbull, ’Conversational structure and facework in arguing’, in Journal of Pragmatics, 1998, n°29, p. 231.