2.3. Formulation contradictoire

Dans notre corpus, la formulation contradictoire renvoie à un énoncé qui ne comporte pas lui-même de marqueurs de désaccord mais qui, dans le contexte où elle se produit, manifeste une contradiction avec le tour précédent. Les interlocuteurs la reconnaissent comme un désaccord qui ne respecte pas la maxime de «relation» de Grice, dans la mesure où ils coopèrent à construire le sens de la discussion, à la suite des principes conversationnels ou du contrat de conversation. La formulation contradictoire qui n’est pas explicitement pertinente avec l’argument précédent permet à l’interlocuteur de comprendre par ricochet la contradiction par rapport à l’argument précédent. Ainsi, dans l’exemple (1), extrait de l’émission «Tolon Madang» où les interlocuteurs discutent sur le problème du système nominatif des comptes bancaires.

(1) (Tolon 2 : 252-255)

Dans l’exemple ci-dessus, le débatteur (M. Kim) se trouve dans une prise de position selon laquelle il faut abolir le système nominatif des comptes bancaires. Il rejette en 252 une remarque de l’animateur concernant les fraudes fiscales des industriels, en disant que c’est le problème des fonctionnaires du fisc et que n’est pas la peine de trop nous en inquiéter. Ce tour implique que les fonctionnaires en question peuvent surprendre les fraudes sans ce système. A ce propos, l’autre débatteur (M. An) exprime en 255 sa propre opinion sans attaquer ou disqualifier directement l’argument de son partenaire et sans aucun marqueur explicite. Son argument montre en fait l’impossibilité de découvrir les dessous-de-table, lorsqu’ils sont placés sur un compte bancaire sous un faux nom. Il fournit ainsi une information contradictoire avec celle du tour précédent. Dans ce contexte, le tour de M. An implique qu’il contredit l’argument précédent de son partenaire (Kim), dans la mesure où en mettant l’accent sur cet inconvénient grave, il tente de montrer par contrecoup l’efficacité du système nominatif des comptes bancaires pour déceler les fraudes fiscales, et il affirme sa position qu’il faut garder ce système. M. Kim, de son côté, reconnaît le tour en question comme un désaccord, à tel point qu’il fournit de nouveau une opposition dans les échanges subséquents. Il apparaît donc que cette formulation contradictoire, qui se réalise par la coordination d’une opinion différente juste après le tour du précédent locuteur, exprime souvent dans notre corpus une opinion discordante ou opposée à celle qui la précède.

Il arrive également que les participants au débat construisent leur intervention de désaccord sans utiliser de morphème de négation. Ce désaccord ne comporte quelquefois qu’une correction par une comparaison mettant les deux tours en relation contradictoire. C’est le cas notamment de l’exemple (2) qui est extrait de l’émission «Tolon Madang». Les participants s’opposent sur les conséquences négatives qui peuvent surgir dans le cas où des obligations au porteur seraient émises après avoir supprimé le système nominatif des comptes bancaires. La discussion commence en 136 par l’interruption de M. Kim qui manifeste son désaccord avec Mme Son qui s’inquiète de l’héritage illégale de la fortune. Son désaccord est indiqué au début du tour, en 138, par le marqueur d’opposition et en 140 par l’expression d’opposition à la fin. A ce propos, le débatteur (An) en 141 commence son tour qui ne comporte pas d’expression de désaccord, mais qui pose, dans un premier temps, un argument contradictoire avec le tour précédent :

(2) (Tolon 2 : 136-147)

L’exemple (2) montre la confrontation des opinions sur le problème des fraudes fiscales entre M. An et M. Kim : celui-ci met l’accent sur la moralité, tandis que celui-là insiste sur le système de l’imposition basée sur une assiette. L’opinion contradictoire apparaît en 143 dans le tour de M. An, par la comparaison de deux points de vues différents, à savoir par l’énoncé ’semu kongmuwôndûl-ûi jajilboda’ (’plutôt que la qualité des fonctionnaires d’une administration fiscale’). Dans cet énoncé, la relation contradictoire des deux éléments est révélée par la présence de la particule auxiliaire de comparaison (’-boda’) qui correspond en français au terme ’plutôt que’, à la fin ou, plus souvent, au début d’une phrase. La proposition qui suit immédiatement cette particule est niée par son auteur. Enfin, le débatteur (M. An) manifeste son désaccord du fait qu’il corrige et rejette l’argument de l’adversaire (M. Kim), en reformulant une partie de ce qu’il a dit dans son tour précédent (jôngshin jase : ’moralié’).