3.1.2. Question confirmative

En ce qui concerne les types de questions, McHoul (1987) en distingue deux : «Q-type de question» et «N-type de question». Le premier sollicite directement l’information, alors que le second exprime indirectement une réaction ’négative’, telle que le doute, le désaccord, le défi, etc. Ainsi, dans le contexte de débat, la question occupe une place privilégiée au sein du rôle de l’animateur, dans la mesure où celui-ci a pour tâche de la lancer et relancer au cours de la discussion, afin de développer efficacement le débat et d’informer au bout du compte «un tiers, témoin de l’échange». Il s’agit ici du Q-type de question qui sollicite tout d’abord une réponse verbale : une demande d’information, de confirmation et d’assentiment147. Il n’est toutefois pas rare de trouver le N-type de question dans des tours de parole échangés entre les participants au débat. Ce type de question se réalise souvent au cours de la discussion sous forme de question rhétorique pour traduire une opinion discordante d’une manière adoucie.

Quant au Q-type de question, il est dans la plupart des cas le monopole de l’animateur, et il est rare de trouver ce type de questions posées par les débatteurs. L’acte de question opère dans le contexte de discussion comme la première phase d’un ensemble d’actions orientées vers le désaccord qui, à travers l’interrogation, ont en vue de miner et/ou défier la proposition opposée.

Ce procédé commence avec une demande de confirmation sur l’opinion que le partenaire a proposée dans son précédent tour de parole ; ainsi dans l’exemple (2), extrait de l’émission «Jipjung Tolon», où la discussion se développe entre deux débatteurs (Yun et Kwôn) sur le montant de déclaration des revenus. Dès que le débatteur (M. Yun) dit en 071 que le montant des revenus déclarés par les commerçants est plus haut que la moyenne des salaires des employés, son partenaire exprime en 072 le doute à travers la question de confirmation :

(2) (Jipjung 7 : 071-077)

  • 071 Yun : (...),jayôngôpja-dûl jôntche-ka nên kû shinkohan sôdûk sujun-i

  • commerçant-MP total-SN mettre ku déclarer revenu degré-SN

  • nodongja-dûl p’yôngkyun imkûm p’yôngkyun sujun-bodanûn yakkan

  • travailleur-MP moyen salaire moyen degré-plutôt assez

  • nopssûmp-nida, hyônje-nûn.

  • augmenter-TD présent-SN

  • kûlôhda-myôn //sodûk ani anio, kûkô-nun mwô

  • être cela-si revenu non non cela-SN mwô

  • 072 Kwôn : //jamkkanman jô jayôngjadûl-i shinkohan sodûk sujun-i

  • attendez euh commerçants-SN déclarer revenu degré-SN

  • kûnlojadûl-ûi kû p’yôngkyun kû kûmêk-boda nopda-ko-yo ?

  • travailleurs-de kû moyen le montant-plutôt que élever-TS-TQ

  • 073 Yun : ye kûlôh-jiyo

  • oui être cela-TD

  • 074 Kwôn : ah kûlôhji an//-ssupnida

  • ah être cela non être pas-TD

  • 075 Yun : //anip-nida //kûkô-nûn

  • n’être pas-TD cela-SN

  • 076 Kwôn : //je-ka bunmyônghake alko

  • je-SN manifestement savoir

  • issnûn //ba inde, malssûmdûlil-kkeyo

  • dire-TD

  • 077 Yun : //ani-yo, ani kûliko-yo, ani je yêki-lûl jom dûlôbo-seyo,

  • non-SD non et-SD non moi parole-SA un peu écouter-TI

  • (TD : terminaison conclusive déclarative ; TQ : terminaison conclusive interrogative ; TI : terminaison conclusive impérative ; TS : terminaison de subordination ; SN : suffixe de cas nominatif ; SA : suffixe de cas accusatif ; SD : suffixe déférentiel ; MP : marque du pluriel des noms)

  • Traduction

  • 071 Yun : (...) le niveau des revenus que les commerçants ont déclarés dépasse un peu la moyenne des salaires des travailleurs, en ce moment,

  • si c’est cela //non non c’est

  • 072 Kwôn : //attendez euh vous dites que le niveau des revenus que les commerçants ont déclarés dépasse le montant moyen de ceux des travailleurs ?

  • 073 Yun : oui c’est ça

  • 074 Kwôn : ah ce n’est pas //ça

  • 075 Yun : //non //c’est

  • 076 Kwôn : //je le sais //parfaitement, je vous dirai

  • 077 Yun : //non, non, et, non écoutez-moi un peu

Dans l’exemple ci-dessus, Kwôn prend en 072 le tour de parole avant que le tour de son partenaire arrive à une place transitionnelle possible, en émettant le régulateur verbal jamkkanman (’attendez’) : jamkkanman jô jayôngjadûl-i shinkohan sodûk sujun-i kûnlojadûl-ûi kû p’yôngkyun kû kûmêk-boda nopdako-yo ? (’Attendez euh vous dites que le niveau des revenus que les commerçants ont déclarés dépasse le montant moyen de ceux des travailleurs ?’). Il est important d’attirer l’attention sur une partie de cet énoncé : Xda-ko-yo ? (’vous dites que X’). Ici, ’-da’ est une particule finale d’une phrase ; ’-ko’, terminaison conjonctive qui fonctionne souvent comme marqueur de reprise du discours d’autrui148 ; ’-yo’, marqueur de déférence. Le groupe verbal en coréen nous fournit souvent des informations fondamentales et décisives pour juger du type de phrase et du rapport entre les interlocuteurs. Dans un groupe verbal donné, c’est l’intonation ascendante qui confère donc la modalité d’énonciation d’une question totale. La particule ’-ko’ marque la reprise de l’énoncé du locuteur précédent, sous forme interrogative. Autrement dit, ce groupe verbal a le caractère d’une «question reformulée», dans laquelle, en répétant une partie de l’énoncé de son allocutaire (Yun) sous forme de question, le locuteur (Kwôn) vise à lui en demander confirmation. Par conséquent, dans l’exemple ci-dessus, le débatteur (Kwôn) mine en 072 l’assertion de Yun sous prétexte de la corriger, en demandant confirmation sur la partie douteuse, et exprime en 074 et 076 son désaccord avec lui. Cela implique que ce type de question, fréquent dans notre corpus, a dans un certain sens le caractère d’un pré-désaccord, et fonctionne comme une opposition atténuée, dans la mesure où les interlocuteurs minent la proposition du partenaire, retardent le désaccord direct, et diminuent donc le risque menaçant pour la face de l’interlocuteur.

Notes
147.

Sur le problème de la distinction des cas de ’demande de confirmation’ de ceux de ’demande d’assentiment’, voir C. Kerbrat-Orecchioni, La question, Lyon, P.U.L., 1991, pp. 107-108.

148.

Sur la fonction de ’-Ko’ en coréen, voir I.-B. Chang, ’Marqueur de représentation d’un discours autre’, in SCOLIA, n° 2, 1994, pp. 93-117.