3.2. Désaccord précédé par l’accord

Il arrive que les participants au débat adoucissent le désaccord en l’accompagnant d’une formule d’accord qui le précède. Il s’agit de procédés d’atténuation, les ’désarmeurs’, «par lesquels on anticipe une réaction négative possible de la part du destinataire de l’acte, et tente de la désamorcer»150. L’expression du désaccord par les désarmeurs est une des formes d’atténuation le plus souvent mise en oeuvre dans notre corpus coréen. Sur 139 tours de parole exprimant des désaccords, on la trouve dans 22 tours (16%) où les interlocuteurs l’emploient pour montrer leur compréhension ou leur reconnaissance du problème, avant de produire des actes de langage qui sont menaçants pour la face du partenaire. Dans ce format, le passage des accords aux désaccords est assuré par la présence des marqueurs discursifs d’opposition, tels que kûlôna, kûlôhjiman, kûlêsô qui correspondent grosso modo au terme français ’mais’. Ainsi, l’exemple (1) ci-dessous est un exemple qui montre bien cette forme de désaccord précédé par l’accord, extrait de l’émission «Tolon Madang» où les participants s’opposent sur le problème des biotechnologies. Le débatteur (Hwang) répond, grâce au relais de l’animateur, à la critique de son partenaire (Kim) qui affirme que les scientifiques ne peuvent anticiper eux-mêmes quelles conséquences apporteront leurs recherches en biotechnologie quand elles seront appliquées dans la société.

(1) (Tolon 1 : 067)

En 067 Hwang préface le désaccord avec l’accord, en reliant ces deux éléments par recours au conjonctif (’kûlôna’) qui établit un rapport contrastif. Il exprime, au début de son tour, la compréhension de la position du partenaire, et reconnaît comme sérieux le problème que celui-ci a posé dans son tour précédent, avant d’émettre son désaccord à la fin du tour : kûlôhke k’ûn munje-nun anilako bopnida (’il me semble que ce n’est pas un problème si grave’). A travers cette acceptation du point de vue critique, il montre son intention d’éviter une confrontation immédiate et brutale, de diminuer l’impact d’une réponse non préférée, et de désamorcer la réaction négative possible de la part du partenaire. Ici, l’expression de désaccord est donc adoucie par la combinaison des divers dispositifs verbaux d’atténuation : l’accord précédent, le délai151 de l’acte en question, et la modalisation d’assertion.

Il va sans dire que la manifestation d’accord, étant un des actes de langage qui ont intrinsèquement un caractère anti-menaçant (’FFA’), est une des formes de politesse positive au sens de Kerbrat-Orecchioni (1992, 1996), qui consiste à produire des FFAs pour la face positive. De même, l’accord suivi par le désaccord est un acte qui montre, note Schiffrin (1985 : 43), «a willingness to acknowledge the other’s point of view before attacking that point», et qui attribue au désaccord suivant un caractère ’partiel’ au sens de Pomerantz (1984 : 74) :

‘«Co-occurring with agreements, the disagreement components are formed as partial agreements/partial disagreements : as qualifications, exceptions, additions, and the like.» ’

Dans notre corpus, l’accord initial est exprimé par la compréhension de la position du partenaire, une reconnaissance identique du problème, ou l’acceptation de son point de vue, du fait que son adversaire a théoriquement raison et que ce qu’il a dit est naturel. Il est pourtant partiel, dans la mesure où il est mis dans le contexte de désaccord. En effet, ces accords, exprimés sur une position ’principale’, sont renversés dans l’acte de désaccord suivant par la manifestation d’un point de vue différent, d’une interprétation différente, d’un ajout, d’une exception, etc. Il nous semble qu’une fois que le locuteur (Hwang) a dit dans l’exemple ci-dessus : ye tchungbunhi jikûm Kim kyosu-nim-i malssûmhanûn kôs yômlyôsûlôn baikuyo (’oui, ce que dit le professeur Kim est un problème suffisamment inquiétant’), il lui est difficile de continuer à dire dans le contexte de désaccord : ’mais je pense aussi que ce que dit le professeur Kim n’est pas définitivement un problème inquiétant’. Pour lui l’éventail des réponses est orienté par le fait qu’il lui serait difficile d’exprimer un désaccord extrêmement fort et contradictoire avec sa précédente expression d’accord. Donc, son désaccord kûlôhke k’ûn munje-nûn anilako bop-nida (’il me semble que ce n’est pas un problème si grave’) se produit sous forme d’assertion partielle et moins péremptoire, dans la mesure où il présuppose une condition particulière pour refuser son accord initial : kûlôn munje-nûn ô modu sahoejôkûlo, yunlijôkûlo tto kwahakjôkûlo kat’i ônû iljônghan kyuje-ûi t’ûl ane-man jal ikôs-i nohyôjinda-myôn (’si ce problème est bien posé dans le cadre d’une contrainte fixée socialement, moralement, et scientifiquement’). C’est la raison pour laquelle le désaccord préfacé par l’accord a tendance à recouvrir une formulation discordante relativement douce.

Notes
150.

C. Kerbrat-Orecchioni, La conversation, Seuil, coll. «Mémo», 1996, p. 58.

151.

Levinson (1983) et Pomerantz (1984) considèrent ce délai comme une des caractéristiques structurales des échanges non préférés.