3.3. Désaccord accompagné de divers adoucisseurs

3.3.1. Enoncé «préliminaire» et minimisateurs

Lorsque les participants au débat radiophonique qui constitue notre corpus ont une opinion différente de celle de leur partenaire, ils ont tendance à exprimer souvent des désaccords par recours aux adoucisseurs, tels qu’un énoncé «préliminaire» ou des minimisateurs. Parmi ces procédés «accompagnateurs», on trouve un énoncé préliminaire qui annonce et amortit un acte menaçant comme une critique, une réfutation, une objection, etc.

Dans notre corpus coréen, la parole des débatteurs est souvent distribuée par l’animateur, pour qu’ils puissent discuter le sujet donné et participer à la discussion de façon ordonnée. Le désaccord se produit en cours de réponse à la question par laquelle l’animateur demande un commentaire sur ce qui vient d’être posé par un autre débatteur. Mais il arrive, en certain cas, que le débatteur se sélectionne lui-même comme locuteur suivant pour défendre sa propre opinion, et pour critiquer ou réfuter l’argument de son adversaire. Dans ce cas, il prend la parole en affirmant qu’il doit dire un mot ou faire une remarque à propos de ce que son partenaire a déclaré dans le tour précédent, comme le montrent les exemples suivants :

(1) (Tolon 2 : 192)

  • 192 Kim : An kyosu-nim yêki-e dêhêsô nê-ka han malssûm dûlyôya doekessnûnde,

  • An professeur-SD parole-à sur je-SN un parole donner devoir

  • Traduction

  • 192 Kim : à propos de ce que le professeur a dit, je dois lui dire un seul mot, (...)

(2) (Tolon 3 : 047)

  • 047 Kong : je-ka jamsi hana jom jijôkhako nômôkaya doel kôs-nûn, (...)

  • je-SN un instant un un peu remarquer passer chose-SN

  • Traduction

  • 049 Kong : le fait est que je dois faire une petite remarque un instant sur une seule chose, (...)

(3) (Jipjung 8 : 105)

  • 105 Yun : ye kû bubun-ûn mwô jôkja munje malssûm ha-shi-nikka,

  • oui cette partie-SN mwô déficit problème parole faire-SD-conjonctif

  • tto hal mal-i manhajinûndeyo, (...)

  • et faire parole-SN être beaucoup

  • Traduction

  • 105 Yun : oui, sur cette partie, j’ai encore beaucoup de choses à dire si vous parlez d’un problème de déficit, (...)

  • (SD : suffixe déférentiel ; SN : suffixe de cas nominatif)

En effet, les interlocuteurs prenant la parole par l’auto-sélection pour indiquer, faire une remarque, ou simplement dire un mot concernant l’argument de leur partenaire, peuvent indiquer systématiquement dans le contexte de discussion que leur tour ne porte que sur l’opposition à l’adversaire. Ainsi les énoncés ci-dessus annoncent à celui auquel ils s’adressent les désaccords à venir. Ils peuvent signaler qu’il y a quelque chose à dire comme dans les exemples (1) et (3), ou faire une remarque comme dans l’exemple (2). Ces énoncés qu’on retrouve dans 10 tours sur les 139 tours de désaccords, jouent un rôle d’annonce des désaccords à venir qui permet de les classer dans la catégorie des désaccords atténués. Et en même temps, ils sont eux-mêmes adoucis, comme le montrent les exemples ci-dessus, par certains minimisateurs, tels que ’han, hana, et ’jôm’. En ce qui concerne la particule ’han’, elle fonctionne à la fois comme préfixe pouvant donner le sens ’être grand(e)’ (ex. han kil : ’un grand chemin’), et comme une sorte d’adjectif ayant le même sens que hana, qui signifie ’un seul’, ’unique’ ou ’simple’ (ex. han kûlûs : ’un seul bol’)152. Avec ce dernier sens, il joue un rôle de minimisateur. Ainsi, dans l’exemple (1) ci-dessus, le locuteur adoucit son énoncé préliminaire avec le terme han malssûm (’un seul mot’), de même que dans l’exemple (2) le locuteur l’atténue en ajoutant, au verbe ’faire une remarque’, ’jamsi’ (’un instant’), ’hana’ (’une seule chose’) et ’jom’ (’un peu’).

La particule ’jom153 (’s’il vous (te) plaît’ ou ’un peu’) est sans conteste un des minimisateurs le plus souvent utilisé dans notre corpus et dans l’intervention de désaccord. L’usage de ’jom’ est considéré dans le dictionnaire coréen154 comme une forme contractée de ’jokûm’ qui désigne littéralement ’un peu’ en français. La particule ’jom’ ne donne pas seulement le même sens que ’jokûm’, mais elle se définit aussi comme une particule qui a un sens correspondant à l’expression française, ’s’il vous (ou te) plaît’. Ce sens se réalise souvent dans bien des actes de requêtes, comme le note Cho (1982 : 148). Dans le type d’interaction qui constitue notre corpus, ’jom’ et ’jokûm’ ne gardent que le sens ’un peu’ :

(4) (Jipjung 7 : 058)

  • 058 Yun : (...) ikô-nûn ildan jôm majji anhnûn mal-ida, ilôhke

  • cela en tout cas un peu juste ne pas parole-être tel

  • malssûmdûliko, (...)

  • dire

  • Traduction

  • 058 Yun : (...), c’est un argument un peu injuste, je vous dis comme cela en tout cas (...)

Dans l’exemple (4) ci-dessus, le débatteur (Yun) exprime une évaluation négative sur l’opinion de son adversaire. Son tour diminue le degré de l’assertion compris dans l’adjectif axiologique ’majji anhnûn’ (’injuste’) par recours à la particule ’jom’ précédant avec son sens ’un peu’. En ce sens, les particules ’jom’ et ’jokûm’ ont pour fonction de minimiser l’action plus ou moins menaçante exprimée par l’adjectif, le verbe ou l’adverbe.

Notes
152.

Cf. Lee (H.-S.), Kukô Sajôn [Dictionnaire de la langue coréenne], Séoul, Min Jung Sôlim, 1991.

153.

Cho (C.-H.), A study of Korean Pragmatics : Deixis and politeness, Séoul, Han Shin Publishing Co., 1982. : Il choisit la translittération ’com’ à propos de la prononciation [зom].

154.

Cf. Lee (H.-S.), op. cit.,