L’existence de plusieurs réponses contradictoires à une même question est une condition nécessaire de l’émergence du désaccord et du différend dans le débat radiophonique qui constitue notre corpus. La discussion commence généralement par le souhait de chercher à convaincre les interlocuteurs et l’auditoire par le biais d’une interaction. Mais elle peut avoir un caractère plus ou moins virulent dans la mise en cause des propositions des interlocuteurs, et dégénérer en affrontement d’individus plus que d’opinions. En outre, les échanges de propos peuvent être perturbés dans un espace d’agression et dans un contexte passionnel entre les interlocuteurs. L’animateur est présent en tant qu’arbitre entre les deux débatteurs, mais lorsqu’il y a un différend entre le débatteur et l’animateur, ce dernier termine la discussion en coupant abruptement la parole de son partenaire. Ceci est une forme extrême de l’expression du désaccord, dans la mesure où même le droit à la parole de l’interlocuteur est rejeté et non seulement le contenu de sa parole. C’est le cas notamment de l’exemple (5), extrait de l’émission «Jipjung Tolon» où les participants débattent sur la réduction du temps de travail avec un représentant du patronat (M. Hwang) et un représentant du syndicat (M. Yun) :
(5) (Jipjung 8 : 184-195)
184 : Yun : kû ilbon-ûi ye-lûl dûlûshin kô-nûn aju t’ûkihan ye-lûl
kû Jaôn-de exemple-SA prendre chose-SN très particulier exemple-SA
dûlûshôssnûnde,/dalûn nala-ûi kyông bot’ong 1man dollars jôn hu hêso
prendre autre pays-de cas moyenne dix mille dollars avant après
185 Tchoe : /ye
oui
186 Yun : 40 shikanje-lo kakedoep-nida. /ilbon-ûn sekyejôk-ûlo kyôngje
40 heures-SF aller-TD Japon-SN mond-SF économie
187 Tchoe : /ûm hûm
hm hm
188 Yun : dêkuk-imyônsô sênghwal binkuk ida, ilôhke kwangbômûihan bansông-i
grande nation-SF vie pauvre nation être ainsi global réflexion-SN
issô kajiko, /ô 87 nyôndo-e nodong shikan kûkôn kyôngje dantche-ka
être euh 87 année-SF travail temps cela économie association-SN
189 Tchoe :/ne
oui
190 Yun : apjangsôsô kû nodong shikan dantchuk-lûl //hêssko,
à la tête ce travail temps réduction-SA faire
191 Tchoe : //ilbon-ûi ye-lûl jakku
Japon-de exemple-SA souvent
dûnûn kôs-nûn olhji anhda-lako //malssûm hashinûn kôp-nikka ?
prendre chose-SN juste n’être pas-TS parole faire TQ
192 Hwang ://ah ilbon-ûi ye-ka animyônyo, dalûn
ah Japon-de exemple-SA n’être pas autre
nala //ye-lûl dûl-myôn Singapore-nûn jikûm 3 man dollars-ka
pays exemple-SA prendre-si Singapour-SN maintenant 30 mille dollars-SN
→ 193 : Tchoe : //dwêssûp-nida, ye ye shikan-i 30 tcho yeyo 30 tcho, 30 tcho
suffire-TD oui oui heure-SN 30 secondes être 30 secondes 30 secondes
194 Hwang : doenûnde,
devenir
→ 195 Tchoe : namassûp-nida. i munje-nûn yôkisô kyôllon-ûl nêlindanûn kôs-nûn
rester-TD ce problème-SN ici conclusion-SA tirer chose-SN
bulkanûnghadanûn sêngkak iyeyo, kûlêso Yun kukjang-nim, (...)
impossible pensée être alors Yun directeur-SD
(TD : terminaison conclusive declarative ; TQ : terminaison conclusive interrogative ; TS : terminaison de subordination ; SA : suffixe de cas accusatif ; SD : suffixe déférentiel ; SF : suffixe fonctionnel spécial ; SN : suffixe de cas nominatif)
Traduction
184 Yun : vous prenez l’exemple du Japon qui est particulier, /puisqu’il s’agit d’un
185 Tchoe : /oui
186 Yun : autre pays, il a introduit les 40 heures de travail lorsqu’il a atteint les dix mille dollars (de PNB) à peu près. /’Le Japon est un grand pays
187 Tchoe : /hm hm
188 Yun : économique, mais par contre la vie n’est pas comme cela’. Avec cette
réflexion, /euh dans l’année 87, l’association économique est à la tête
189 Tchoe : /oui
190 Yun : pour conduire à réduire le temps de //travail,
191 Tchoe : //il n’est pas juste de prendre à plusieurs reprises l’exemple du Japon, vous //dites cela ?
192 Hwang : //ah si l’exemple du Japon n’est pas convenable, prenons l’exemple
d’un autre //pays, Singapour est maintenant de
→ 193 Tchoe : //cela suffit, oui oui, c’est l’heure, 30
194 Hwang : 30 mille dollars,
→ 195 Tchoe : secondes, 30 secondes, il reste 30 secondes. Je pense qu’il est impossible de tirer ici une conclusion de ce problème, donc le Directeur Yun, (...)
Dans l’extrait ci-dessus, le débatteur (Yun) réfute en 184, 186, 188, et 190 l’argument de son adversaire (Hwang), en disant que l’exemple du Japon qu’il a pris pour montrer la corrélation entre le temps de travail et le PNB est un cas particulier et exceptionnel. L’animateur (Tchoe), émettant des régulateurs tels que ’hm hm’ et ’oui’ au cours de l’intervention de Yun, interrompt son tour en 191 par recours à la forme de question de confirmation. Son interruption n’est pas conflictuelle, mais plutôt coopérative, dans la mesure où il reformule le contenu de l’énoncé de Yun dans une paraphrase au sens de Gülich et Kotschi (1987). Autrement dit, il reprend l’énoncé-source dans son propre énoncé interrogatif, question-reformulée, qui comporte un marqueur de la reformulation ’-lako’157, pour mettre, de façon plus concrète et plus précise, le contenu de l’assertion dans une forme de question : ilbon-ûi ye-lûl jakku dûnûn kôs-nûn olhji anhda (’il n’est pas juste de prendre à plusieurs reprises l’exemple du Japon’). Cette concrétisation dans la forme de reformulation défie directement l’opinion de Hwang. Ainsi, celui-ci en 192, interrompt, par chevauchement, l’intervention de l’animateur pour justifier sa propre position avec l’autre exemple et l’autre cas qu’il a déjà évoqué dans le tour précédent. Mais l’animateur, par l’interruption accompagnée du chevauchement, refuse en 193 l’intervention de Hwang et sa parole, en raison de la limite de temps de cette émission, sans aucun adoucisseur : dwêssûp-nida, ye ye shikan-i 30 tcho yeyo 30 tcho, 30 tcho namassûp-nida (’cela suffit, oui oui, c’est l’heure, 30 secondes, 30 secondes, il reste 30 secondes’). Le refus est renforcé encore une fois par la répétition, à trois reprises, de ce qu’il ne reste que 30 secondes, accompagné d’éléments para-verbaux tels qu’augmentation du volume vocal, accent d’intensité, et ton méprisant, etc. De plus, il nous semble que cette rebuffade du droit à la parole n’est pas conforme à l’attitude d’un hôte qui accueille son invité, dans la mesure où elle n’est atténuée par aucun adoucisseur, bien que l’acte de refus soit en général menaçant.
Il apparaît donc que le procédé de renforcement de FTAs peut mobiliser un certain nombre d’éléments verbaux et/para-verbaux cumulables dans un énoncé ou une intervention, au même title que les procédés d’atténuation. On constate également que, s’agissant de la distinction ternaire des réactions (’poli’, ’apoli’, et ’impoli’), le type de désaccords renforcés ne correspond pas toujours à l’attitude ’impolie’, mais que les types de désaccords renforcés au niveau du contenu, exemples (1) et (3) ci-dessus, sont ’apolis’ (ou ’non-polis’) dans le contexte du débat. En revanche, les exemples (2) et (4) semblent être ’impolis’, dans la mesure où ils ne sont pas conformes au système d’attente dans le contexte du débat.
En coréen, la particule ’-ko’, qui est un marqueur de la terminaison de subordination, correspond souvent en français à la fonction de la conjonction ’que’.