4.3. Rebuffade

L’existence de plusieurs réponses contradictoires à une même question est une condition nécessaire de l’émergence du désaccord et du différend dans le débat radiophonique qui constitue notre corpus. La discussion commence généralement par le souhait de chercher à convaincre les interlocuteurs et l’auditoire par le biais d’une interaction. Mais elle peut avoir un caractère plus ou moins virulent dans la mise en cause des propositions des interlocuteurs, et dégénérer en affrontement d’individus plus que d’opinions. En outre, les échanges de propos peuvent être perturbés dans un espace d’agression et dans un contexte passionnel entre les interlocuteurs. L’animateur est présent en tant qu’arbitre entre les deux débatteurs, mais lorsqu’il y a un différend entre le débatteur et l’animateur, ce dernier termine la discussion en coupant abruptement la parole de son partenaire. Ceci est une forme extrême de l’expression du désaccord, dans la mesure où même le droit à la parole de l’interlocuteur est rejeté et non seulement le contenu de sa parole. C’est le cas notamment de l’exemple (5), extrait de l’émission «Jipjung Tolon» où les participants débattent sur la réduction du temps de travail avec un représentant du patronat (M. Hwang) et un représentant du syndicat (M. Yun) :

(5) (Jipjung 8 : 184-195)

Dans l’extrait ci-dessus, le débatteur (Yun) réfute en 184, 186, 188, et 190 l’argument de son adversaire (Hwang), en disant que l’exemple du Japon qu’il a pris pour montrer la corrélation entre le temps de travail et le PNB est un cas particulier et exceptionnel. L’animateur (Tchoe), émettant des régulateurs tels que ’hm hm’ et ’oui’ au cours de l’intervention de Yun, interrompt son tour en 191 par recours à la forme de question de confirmation. Son interruption n’est pas conflictuelle, mais plutôt coopérative, dans la mesure où il reformule le contenu de l’énoncé de Yun dans une paraphrase au sens de Gülich et Kotschi (1987). Autrement dit, il reprend l’énoncé-source dans son propre énoncé interrogatif, question-reformulée, qui comporte un marqueur de la reformulation ’-lako157, pour mettre, de façon plus concrète et plus précise, le contenu de l’assertion dans une forme de question : ilbon-ûi ye-lûl jakku dûnûn kôs-nûn olhji anhda (’il n’est pas juste de prendre à plusieurs reprises l’exemple du Japon’). Cette concrétisation dans la forme de reformulation défie directement l’opinion de Hwang. Ainsi, celui-ci en 192, interrompt, par chevauchement, l’intervention de l’animateur pour justifier sa propre position avec l’autre exemple et l’autre cas qu’il a déjà évoqué dans le tour précédent. Mais l’animateur, par l’interruption accompagnée du chevauchement, refuse en 193 l’intervention de Hwang et sa parole, en raison de la limite de temps de cette émission, sans aucun adoucisseur : dwêssûp-nida, ye ye shikan-i 30 tcho yeyo 30 tcho, 30 tcho namassûp-nida (’cela suffit, oui oui, c’est l’heure, 30 secondes, 30 secondes, il reste 30 secondes’). Le refus est renforcé encore une fois par la répétition, à trois reprises, de ce qu’il ne reste que 30 secondes, accompagné d’éléments para-verbaux tels qu’augmentation du volume vocal, accent d’intensité, et ton méprisant, etc. De plus, il nous semble que cette rebuffade du droit à la parole n’est pas conforme à l’attitude d’un hôte qui accueille son invité, dans la mesure où elle n’est atténuée par aucun adoucisseur, bien que l’acte de refus soit en général menaçant.

Il apparaît donc que le procédé de renforcement de FTAs peut mobiliser un certain nombre d’éléments verbaux et/para-verbaux cumulables dans un énoncé ou une intervention, au même title que les procédés d’atténuation. On constate également que, s’agissant de la distinction ternaire des réactions (’poli’, ’apoli’, et ’impoli’), le type de désaccords renforcés ne correspond pas toujours à l’attitude ’impolie’, mais que les types de désaccords renforcés au niveau du contenu, exemples (1) et (3) ci-dessus, sont ’apolis’ (ou ’non-polis’) dans le contexte du débat. En revanche, les exemples (2) et (4) semblent être ’impolis’, dans la mesure où ils ne sont pas conformes au système d’attente dans le contexte du débat.

Notes
157.

En coréen, la particule ’-ko’, qui est un marqueur de la terminaison de subordination, correspond souvent en français à la fonction de la conjonction ’que’.