ANNEXES

REPLIQUES 1 (le 25/10/97) : ’vie et mort des paysages’

  • F : Alain Finkielkraut, Animateur.

  • R : Alain Roger.

  • T : Jean-Louis Trassard.

  • 001 F : (...), jubilatoires, il dénonce les pleureuses écologistes et contre tous les conservatismes il affirme peut constituer ou générer un nouveau paysage aussi fort sinon plus que l’ancien. Jean Louis Trassard l’un de nos grands écrivains de la terre est-il une pleureuse ? C’est ce que nous verrons en nous interrogeant à propos du paysage, sur la légitimité de la nostalgie. Et pour commencer Alain Roger voici une belle proie, pour votre ironie cinglante, Paul Cézanne, dans une conversation avec Emile Bernard, le peintre de la Sainte Victoire disait ceci que je vous demanderai de commenter : je me souviens parfaitement de l’Estaque blanc et des bords si pittoresques de l’Estaque. Malheureusement, ce que l’on appelle le progrès n’est que l’invasion des bipèdes qui n’ont de cesse qu’ils n’aient tout mais formé en de becs de gaz et ce qui est pis encore avec l’éclairage électrique. En quels temps vivons-nous ? On doit se hâter si on veut encore voir quelque chose, tout disparaît ! que vous évoque Alain Roger cette poignante inquiétude.

  • 002 R : pour nous c’est un Cézanne très passionnant, il y en a un autre, c’est plutôt à l’autre que je me suis référé dans mon livre euh, je pourrais opposer à cette déclaration qu’il adresse à Emile Bernard, une autre déclaration à son ami Gasquet, où justement il constate qu’à son époque on ne voyait pas la Sainte Victoire, hein, les paysans dit-il, les paysans ne la voient pas, c’est grâce à Cézanne qu’on l’a vue. Donc il y a un Cézanne qui bien sûr éprouve une sorte de nostalgie pour l’estaque il a tout à fait raison, je partage un peu ça son inquiétude, on peut un siècle après dire exactement la même chose pour d’autres paysages méditerranéens euh, il y a aussi un donc un Cézanne qui sait ou qui soupçonne déjà qu’il va être l’inventeur d’un grand paysage c’est [...] faut les regarder encore qu’on nous a dit que Sainte Victoire bon, cette Sainte Victoire qui vous le savez a été abîmée par un incendie il y a quelques années et qu’on envisageait je ne sais pas si on pourra le faire de restaurer à la Cézanne ce qui montre que cette invention de la Sainte Victoire par Cézanne comme on la lui doit, cette invention aujourd’hui, elle se traduit par des performances technologiques extrêmes puisqu’on est en train de la refaire, telle qu’en elle-même euh Cézanne non pas l’a changée, telle qu’il l’a inventée pour, pour le monde occidental et pour les Japonais qui viennent à la Sainte Victoire pour voir Cézanne

  • 003 F : donc le progrès dont se plaignait Cézanne sert aujourd’hui à la préservation de ce que Cézanne nous aurait donné à voir

  • 004 R : oui parce que c’est un exemple et on peut les multiplier euh, les paysages ne sont pas des réalités naturelles, c’est nous oublions toujours que c’est vraiment c’est que j’ai essayé de démontrer dans mon livre nous oublions toujours que pendant des siècles l’Europe occidentale n’a pas perçu ce que nous appelons les paysages que la montagne, la mer et d’autres paysages la campagne elle-même, ce qui nous paraissait naturel ce sont des acquisitions récentes, pour nous le paysage occidental a été inventé au XVe siècle par les peintres

  • 005 F : oui alors, oui nous reviendrons sur ce mot d’invention tout à l’heure mais justement vous dites, les paysages ont une histoire, ce n’est pas une réalité culturelle, c’est une réalité naturelle et vous, vous forgez en tout cas vous reprenez un mot de Montaigne pour en faire le concept central de votre livre, c’est l’artialisation alors de quoi s’agit-il c’est, c’est et comment comprendre l’idée selon laquelle, les paysages sont les résultats d’une artialisation

  • 006 R : euh, le mot effectivement je l’ai trouvé d’abord chez Charles Lallot qui est un esthéticien un peu oublié aujourd’hui, qui écrivait au début du siècle qui l’a emprunté lui même à Montaigne. On se vole on s’entrevole mais Montaigne lui même /passait son

  • 007 F : /ben oui

  • 008 R : temps à chaparder hein, il s’en vantait maquignonnait volontiers. Ah bon j’ai repris

  • //en gros...

  • 009 F : //alors vous n’êtes pas un voleur //puisque...

  • 010 R : // non non non je le dis je le dis c’est un très beau mot, il parlait de nature artialisée alors j’ai donné à cette formule sa forme substantive euh, je pense qu’il y a une double artialisation que tout paysage peut-être, est une artialisation ça suppose une activité artistique soit que l’activité artistique s’exerce directement, sur le socle naturel in situ comme on le dit,

  • /c’est les jardins, les jardins, les Land-art enfin là intégrons les paysagistes

  • 011 F : /hm hm

  • 012 R : modernes et puis il y a une artialisation évidemment qui m’intéresse un peu plus parce qu’elle est plus difficile évidemment à conceptualiser, c’est le fait que nos grands paysages qui nous paraissent naturels, ces paysages supposent inconsciemment, la plupart du temps l’opération s’effectue à notre insu, supposent une intervention artistique et les artistes nous fournissent des modèles

  • 013 F : ils nous aident à regarder encore...

  • 014 R : ils nous fournissent j’appelle artialisation in visu, /pour montrer que c’est

  • 015 F : /oui voilà c’est ça

  • 016 R : dans le regard /que s’effectue le plus souvent inconsciemment cette

  • 017 F : /hm hm

  • 018 R : transformation d’un pays naturel en paysage qui est culturel

  • 019 F : d’où le recours au paradoxe d’Oscar Wilde : ce n’est pas l’art qui imite la nature au fond c’est la nature qui imite l’art puisque la nature nous la voilons, nous la voyons telle que les artistes nous la dévoilent

  • 020 R : voilà chez Oscar Wilde ça prend un tour espiègle dans la décadence du mensonge il y a un siècle c’est très drôle parce qu’il montre par exemple que les impressionnistes ont inventé les brouillards londoniens, ils les ont pas inventés simplement, on les a vus autrement grâce à eux

  • 021 F : alors Jean-Louis Trassard justement comment vous vous réagissez à cette histoire du paysage d’une part et puis d’autre part aussi, à l’inquiétude de Cézanne

  • 022 T : je crois que la déclaration de Cézanne apporte de l’eau au moulin de ceux qui veulent détruire les paysages donc elle ne me plaît pas énormément, elle est intéressante parce qu’elle vient de Cézanne mais, //elle...

  • 023 F : //elle vous plaît pas parce qu’elle est trop elle est trop trop //réactionnaire...

  • 024 T : //c’est très facile de ridiculiser /et c’est là le problème euh d’autre part il ne s’agit pas

  • 025 F : /oui c’est ça

  • 026 T : du tout de nostalgie comme vous l’évoquiez tout à l’heure car la nostalgie serait souhaiter de retourner à des paysages anciens. Or euh ce pourquoi je me bats personnellement c’est pour au moins conserver dans une certaine mesure les paysans actuels et non point du tout, pour retourner en arrière

  • 027 F : hm hm, oui donc, oui mais vous, vous pensez que vous pouvez peut-être avoir la nostalgie du présent d’une certaine manière dans la mesure où ce présent tous semble très menacé où la préservation ne vous paraît pas simplement un acte de conservatisme frileux mais une nécessité impérieuse de la liberté

  • 028 T : absolument

  • 029 F : mais pourquoi alors qu’est-ce que qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Qu’est-ce qui vous fait accueillir avec tant de d’inquiétude justement les mutations que connaît le paysage contemporain

  • 030 T : c’est difficile à résumer en trois mots [rire]

  • 031 F : alors ne résumez pas en trois mots, donnez des exemples

  • 032 T : euh, les paysages qu’on nous propose à la place de ceux de l’agriculture qu’il faut bien appeler agriculture traditionnelle, moi, je m’occupe plutôt des paysages de campagne et pas des paysages urbains. Il faut déjà le dire au départ, mais ces paysages qu’on nous propose à la place de ceux de l’agriculture traditionnelle sont euh, d’une nature tellement différente que je considère pour ma part qu’il ne s’agit pas du tout d’évolution sur la nécessité de laquelle nous sommes tous d’accord, évolution oui,

  • destruction non / //euh je pense que là, les transformations opérées grâce au

  • 033 F : /vous pensez //qu’on a ...

  • 034 T : machinisme et l’ambition humaine actuelle euh opèrent un changement d’échelle qui changeant les proportions dans le, dans le, assez gravement en arrivent à un changement de nature

  • 035 F : hm hm est-ce que vous pouvez donner un exemple par, justement de

  • cette //situation

  • 036 T : //disons que quand on passait de la petite route à la route nationale, il y avait tout de même moins de ruptures que quand on passe à l’autoroute,

  • /par exemple/ //l’autoroute dont il va être question

  • 037 F :/hm hm /par exemple //oui

  • 038 T : j’espère,/donc/ je crois que là tout d’un

  • 039 F : /oui [rire] alors /oui

  • 040 T : coup le saut euh, quantitatif entraîne un saut qualitatif /et je crains

  • 041 F : /hm hm

  • 042 T : énormément pour les paysages de l’agriculture traditionnelle qui est celle que j’apprécie particulièrement euh, d’autre part euh, ces paysages nouveaux euh, mettent l’homme dans une position tout à fait différente par rapport à l’espace et je pense que de là vient la gêne de ceux qui luttent un petit peu ou regrettent l’évolution euh, parce que euh, un paysage n’est pas seulement une vue que l’on pourrait dire esthétique, c’est aussi un être dedans, c’est aussi une façon //d’être dans l’espace

  • 043 F : //d’habiter

  • 044 T : d’habiter /et je crois que là, tout d’un coup on propose des proportions qui

  • 045 F : /hm hm

  • 046 T : sont différentes et qui entraînent pour certains et à certains moments en tout cas, un certain malaise. /Alors quand on emprunte les autoroutes et qu’on est dessus alors que

  • 047 F : /hm hm

  • 048 T : ça n’est pas votre propre paysage euh on peut apprécier ou non, c’est une autre affaire. Mais quand il s’agit de de son propre paysage, le paysage où l’on est né du paysage où l’on va se reposer, du paysage où on travaille, là tout de même, le rapport à l’espace est différent /et on ne supporte pas que nous tombe d’en haut une obligation

  • 049 F : /hm hm

  • 050 T : d’éradiquer /ce paysage et de changer notre être au monde euh, dans le rapport de

  • 051 F : /hm

  • 052 T : dimension du corps et de l’environnement

  • 053 F : alors, alors, Alain Roger y a-t-il aujourd’hui une violence faite au paysage selon vous ou simplement une mutation normale dans une histoire diverse du paysage ?

  • 054 R : non je suis tout à fait d’accord avec Jean-Louis Trassard je veux dire, il y a actuellement un gâchis, je, je ne cautionne pas, je n’essaie pas de cautionner un seule instance de ce qui se fait il se trouve que j’ai eu quelques fonctions au ministère de l’équipement euh, dans un comité d’experts à la direction des routes et que j’ai bien vu qu’il faut se méfier que, il ne fait pas faire n’importe quoi. Je ne cautionnerai pas euh un certain nombre d’interventions scandaleuses, il y a de moins en moins les choses ont évolué grâce aux écologistes car là aussi, je suis tout à fait favorable à l’écologie en tant que science là où effectivement il y a peut-être je crois même un désaccord, peut-être des nuances d’interprétation c’est que, euh, j’essaie de voir ce qu’on peut sauver ou ce qu’on ne doit pas à tout prix sauver euh, je connais un certain nombre d’écologistes qui considèrent qu’il faudrait pratiquement transformer le territoire national en une sorte de sanctuaire et de ne plus toucher. Euh, entre cette position extrême et puis celle qui consiste à dire qu’il faut que les paysages évoluent parce qu’ils ont toujours évolué et que le paysage dont nous avons bénéficié, dont nous avons hérité au XIXe siècle ce paysage est lui-même le fait de siècles de travail, de labeur des paysans. Bon, il y a toute une série de transitions possibles cela dit je me bats incessamment contre le, la dévastation, la dévastation et en particulier je suis pour le maintien autant qu’il se peut du paysage rural

  • 055 F : alors, vous vous battez contre la dévastation mais dans votre titre vous vous battez un peu plus contre toute forme justement de crispation que vous jugez frileuse sur l’acquis et notamment à propos de l’autoroute. Parce que vous dites que la dénonciation du caractère criminel de l’autoroute ça c’est un des lieux communs de notre époque et vous ajoutez ceci : ’il convient me semble-t-il d’abandonner cette vision honteuse de l’autoroute non seulement celle-ci constitue en elle-même un authentique paysage mais comme le TGV d’ailleurs, elle en produit de nouveaux’ hein, et donc vous vous vous prenez vraiment les choses, comment dire de plein fouet et vous ne craignez pas de vous affronter directement avec tous ceux qui ont un, qui voient l’autoroute comme une sorte de violence de blessure infligée au paysage

  • 056 R : oui c’est /ce que j’ai appelé le complexe de la balafre qui avait gagné //les

  • 057 F: : /Alain Roger //voilà la balafre

  • 058 R : ingénieurs, d’ailleurs, la balafre euh, euh, il y a des autoroutes qui sont effectivement des scandales bon il y en a qui sont magnifiques il y a en France des autoroutes de toute beauté l’A72 est de toute beauté, je dénonce ceux qui sont contre

  • l’autoroute /ça c’est un scandale économique et ça je crois qu’il faut en tenir

  • 059 F : /en elle-même, oui c’est ça

  • 060 R : compte et c’est un scandale esthétique //[inaudible]

  • 061 F : //oui c’est ça vous en parlez aujourd’hui

  • 062 R : il y a des gens par exemple aujourd’hui qui vous vantent le viaduc de Garabit. Ils oublient bon, les gens du XIXe siècle étaient certainement beaucoup plus accueillants que nous ils n’ont jamais protesté contre le viaduc de Garabit qui est une chose magnifique bon, c’est technologiquement si on voulait faire aujourd’hui le viaduc de Garabit euh, en métal il y aurait probablement des ligues qui se constitueraient dans cette région pour empêcher cette construction. /Or, aujourd’hui c’est un des lieux visités

  • 063 F : /hm hm

  • 064 R : comme étant une des beautés technologiques de nos grands ingénieurs et nous avons les meilleurs ingénieurs du monde, il ne faut pas l’oublier.

  • 065 F : alors Jean-//Louis Trassard

  • 066 T : //le dernier livre d’Alain Roger euh, assis sur une étude dans les arts, euh, et qui lui permet de montrer comment est née la notion de paysage euh, dévie assez rapidement sur une intention polémique hein, et c’est là où les choses se gâtent à mon avis car euh, quand on est polémiste, la première des méthodes à employer est évidemment de ridiculiser la thèse des adversaires et c’est ce que vous ne manquez pas de faire. Alors euh, pourquoi les pleureuses écologistes, pourquoi euh, toujours considérer que ceux qui veulent protéger sont ridicules, que c’est la campagne arcadienne que c’est bucolique et archaïque, vous le dites plusieurs fois là, c’est une façon de de mettre l’autre en position difficile euh, par des affirmations euh, qui vont euh je vous cite le ministère est toujours euh euh, empreint du conservatisme le plus étroit, le ministère de l’environnement euh, tout essai de garder la campagne ne sera que bucolique cher aux écologiques, écologistes euh, et vous en arrivez jusqu’à, oui, euh, à propos des photos de la Datar euh, ce constat que vous faites, oui mort du paysage traditionnel l’anti-chromo, l’anti-Corot

  • 067 F : ah //alors

  • 068 R : //oui vous faites allusion à ce volume//[inaudible]

  • 069 F : //Alain Roger

  • 070 T : oui que je connais

  • 071 R : oui, qui est un volume qui a fait couler beaucoup d’encre, moi-même quand je l’ai consulté pour la première fois j’ai été assez indigné euh, pensant qu’on avait présenté une vision du paysage français, c’était un bilan. On voulait montrer euh les paysages français des années 80. Et vous avez vu la proportion de paysages négatifs ou d’anti-paysage comme on dirait aujourd’hui était considérable, et il y avait des décharges des usines désaffectées etc. et dans un 2e temps je me suis dit bon ben, il faut voir ce qu’ils ont voulu faire, bon d’abord c’est un constat il est vrai qu’aujourd’hui ces paysages envahissent hélas notre paysage au sens le plus large du terme. D’autre part je n’ai pas dit qu’il fallait supprimer le paysage rural loin s’en faut, j’y suis très attaché comme tout un chacun, j’ai dit qu’il ne fallait pas que ce modèle-là deviennent un modèle d’unique référence, il y a bien entendu mille autres paysages possibles

  • 072 F : Jean-Louis //Trassard

  • 073 T : //je vous ai entendu chez Gilles Lapouge vous avez dit il ne faut pas conserver les paysages obsolètes alors je voudrais vous me disiez ce qu’est pour vous un paysage obsolète, d’où nous tombe cet adjectif

  • 074 R : il y a des paysages qui sont obsolètes, je vais vous donner un exemple tout à fait précis et qui est emprunté à une actualité électorale assez récente puisqu’il s’agissait de la campagne de 1981, j’avais été très frappé que le candidat François Mitterand ait tenu il avait tout à fait raison, bien conseillé par M. Séguéla, il avait mis sur son affiche vous le savez un petit village avec un clocher etc. Bon on sait très bien que pour 90% des français sinon 95, ce paysage n’existe plus en tout cas, ces paysages de village rurale on peut on peut les regretter, il se trouve dans les faits, ils ne représentent plus le paysage. Je pense à la majorité de ceux qui vivent dans les villes et les banlieues c’est pas ce paysage qui est le leur, alors ils peuvent éprouver une sorte de nostalgie pour ce petit village avec son clocher ça a très bien marché pour le candidat François Mitterand, probablement, mais je dis que voilà une affiche qui d’une certaine façon pour tranquilliser les Français, leur représenter ce qu’ils avaient envie de voir mais qui ne constitue plus le paysage majoritaire des Français

  • 075 F : Jean-Louis Trassard

  • 076 T : c’est pas la question n’est pas là, il ne s’agit pas de l’affiche, vous dites que vous êtes pour la conservation des paysages sauf les paysages obsolètes alors on est pas sur une affiche là, on est sur l’idée de laisser détruire les paysages que

  • vous vous estimez obsolète,// [inaudible]

  • 077 R : //je n’ai jamais je n’ai jamais, non Jean-Louis Trassard

  • vous me prêtez une intention /

  • 078 T : /esthétique, agricole, /économique qu’est-ce que vous

  • 079 R : /non non non

  • 080 T : appelez un paysage obsolète

  • 081 R : vous me prêtez, vous me prêtez avec véhémence [rire] une une intention qui n’est pas la mienne j’ai jamais dit qu’il fallait raser les villages en France enfin

  • 082 T : non

  • 083 F : non mais attendez Alain Alain Roger

  • 084 T : je vous ai entendu à la radio, vous avez dit

  • 085 R : non je //n’ai pas dit ça [inaudible]

  • 086 T : //je suis pour conserver les paysages sauf s’ils sont obsolètes, je l’ai noté

  • instantanément

  • 087 R : oui oui //[inaudible]

  • 088 F : //attendez, justement là je vais poser la question sous un angle peut-être plus conceptuel. Là là vous avez parlé vous dites le paysage a été inventé c’est un mot qui revient souvent dans votre livre, qui est revenu souvent, dans votre bouche lorsque nous avons évoqué Cézanne, ce mot d’invention me pose problème d’ailleurs de même que celui d’artialisation parce que le mot invention, vous l’avez choisi alors qu’un autre mot aurait pu venir sous votre plume, celui de découverte. C’est-à-dire que la question est de savoir en effet si Cézanne a inventé la Sainte Victoire où s’il a découvert quelque chose que d’autres n’avaient pas vu, ce qui serait peut-être la fonction de l’art de fonction de révélation, fonction de dévoilement de même quand vous utilisez le terme d’artialisation on ne voit pas bien ce qui distingue cette artialisation disons de l’artificialisme moderne cette bon c’est-à-dire cette vision de la réalité comme quelque chose d’indéfiniment machinable, malléable et opérable. Mais dès lors que il n’y a plus de découverte mais une invention, dès lors que l’artialisation n’est qu’une forme d’artificialisme parmi d’autres, alors en effet, tout se passe comme si on n’avait plus aucun critère si vous voulez de jugement et qu’on qu’on ne pouvait plus dire là tel paysage doit être conservé, tel paysage est obsolète, puisque nous vivons dans une sorte de métamorphose continuelle où chacun peut inventer de nouveaux paysages et il suffira d’un nouveau Cézanne pour les gares désaffectées pour les autoroutes etc... et enfin et l’histoire en quelque sorte continuera c’est, c’est là me semble-t-il qu’il y a pour moi problème, c’est-à-dire dans cette espèce de grande métamorphose culturelle incessante il n’y a plus de véritables critères au nom desquels on pourrait distinguer le beau du laid le le vrai paysage de l’agression contre le paysage au fond, dans votre discours et avec votre concept, toute agression contre le paysage est en fait un nouveau paysage

  • 089 R : non, /mais en tout cas non, je vous remercie de placer le débat sur le niveau

  • 090 F : /Alain Roger

  • 091 R : sur le plan du concept, parce que c’est beaucoup plus intéressant, je reconnais et je reprends en compte la distinction fondamentale entre découverte et invention. Et il n’y a pas découverte des paysages, qui dit découverte suppose que ces paysages existeraient ou préexisteraient de façon latente, ça n’est pas le cas. On sait très bien que la montagne je prend cet exemple qui est très pédagogique, la montagne littéralement inventée au XVIIIe siècle. Joutard a d’ailleurs écrit un livre très beau qui s’appelle l’invention du Mont-Blanc bon, tout simplement parce que avant le XVIIe siècle en Occident avant le début de XVIIIe siècle, on ne voit pas la montagne comme paysage. On la voit bien sûr, on la voit comme un pays affreux, on l’appelle un pays affreux bon et elle ne devient un paysage qu’à travers ce que j’ai appelé une sorte d’alpinisme à la fois athlétique et esthétique parce qu’il a fallu un siècle pour monter et ça n’est qu’à la fin du XIXe siècle avec les photographes que la très haute montagne sera conquise esthétiquement. J’emploie donc le mot invention pour bien montrer que la beauté de la montagne qui eut, qui était étrangère complètement aux hommes du XVIIe siècle cette beauté n’est pas tombée du ciel, elle a été le fait l’oeuvre l’opération que j’appelle artialisation de poètes de peintres-graveurs de photographes d’écrivains etc. Bon à partir de ce moment-là, la distinction entre artialisation et artificialisation doit être aussi maintenue je je récuse l’identification si vous voulez de l’une à l’autre, vous ne l’avez d’ailleurs pas faite. Je dis qu’il y a artialisation c’est une opération qui est généralement collective, qui s’effectue au niveau du regard social et il ne s’agit pas de cautionner ou de valider n’importe quoi, il s’agit de constater que ce grand paysage qu’est la montagne comme la mer d’ailleurs qui a été à peu près inventée au même moment ces grands paysages sont le fait d’appropriation collective un point c’est tout ! Alors vous me dites il n’y a plus de critères euh je voudrais bien qu’on m’indique s’il y a la possibilité de mesurer le beau, si on a des unités de mesure alors que pour les valeurs d’environnement, les valeurs écologiques, les nuisances phoniques hein, la pollution des rivières ou le nombre de décibels on mesure en ce qui concerne la beauté vous ne mesurez pas si vous décidez qu’un petit village est très joli c’est votre affaire si quelqu’un vous dit qu’il n’est pas beau vous ne pouvez absolument pas ça on le sait depuis bien longtemps vous ne pouvez pas lui administrer la preuve de votre vérité esthétique

  • 092 F : je je reviendrai sur la question du beau Jean-Louis Trassard... justement vous avez dit,

  • vous avez été choqué par cette expression il y a des

  • paysages //obsolètes

  • 093 T : //oui je voudrais //savoir

  • 094 F : //quels sont vos critères,

  • //quels sont vos critères justement, quels sont les critères suivant

  • 095 T : //en vertu de quoi ils sont obsolètes ben

  • 096 F : lesquels vous dites tel paysage n’est pas obsolète la préservation s’impose euh, par dessus tout, est-ce que justement la question de la beauté aussi intervient /dans votre propre

  • 097 T : /oui

  • 098 F : réflexion sur le paysage et sous quelles formes

  • 099 T : mais déjà, vous voyez, vous dites par dessus tout euh, Monsieur Alain Roger dans un passage de son livre j’ai vu a dit à n’importe quel prix non. C’est pas par dessus tout c’est pas n’importe quel prix, avec certaine mesure donc c’est c’est exagérer la position de l’autre, c’est toujours une façon de la détruire hein donc il s’agit seulement d’essayer de protéger, /mais ces paysages ne sont pas des vestiges du passé je vis en

  • 100 F : /hm hm

  • 101 T : Mayenne dans euh, hors d’un village et près d’un petit village, tous les petits villages autour sont à la fois un peu abîmés et en même temps sont encore là /et mon village vu

  • 102 F : /hm hm

  • 103 T : de trois kilomètres représente tout à fait à l’affiche de de en question, /donc vous dites

  • 104 F : /oui

  • 105 T : ces paysages n’existent plus pour la majorité des Français qui effectivement n’habitent pas les villages mais le paysage continue à exister et peut-être que il continue à exister euh euh au niveau du fantasme, du rêve, du plaisir à y penser /à le voir en passant sur la route

  • 106 F : /hm

  • 107 T : donc ces paysages sont encore des paysages actifs, /je dirai //la culture

  • 108 F : /hm hm mais //justement

  • 109 T : traditionnelle en France est /active. Or j’ai l’impression que

  • 110 F : /mais

  • 111 T : décider que ces paysages sont obsolètes c’est avoir une option économique qui est celle de l’agriculture industrielle contre laquelle je m’élève dans la faible mesure de mes moyens, parce que c’est une agriculture destructrice qui ne produit non plus rien d’intéressant sur le plan alimentaire et qui euh produit des quantités excédentaires de denrées agricoles qu’on ne sait pas où mettre. Bon, donc il n’y a pas de raisons de détruire le paysage pour cette production-là et je défends une agriculture traditionnelle euh,

  • vous savez /parce que dans le message européen //euh... euh

  • 112 F : /hm hm //oui vous avez publié un article le saccage du bocage, justement

  • 113 T : euh Alphan et Dupond ont ont montré qu’il y avait des recherches extrêmement

  • avancées /et productives pour une agriculture moins destructrice. Donc je pense que

  • 114 F : /hm hm

  • 115 T : c’est une option économique et donc politique que de dire, que il faut passer à un autre stade sur le plan agricole et donc que le paysage est jeté avec l’eau du bain

  • 116 F : oui alors justement Alain Roger est-ce que vous vous inscrivez volontairement dans une autre option //[inaudible]

  • 117 R : //non non je pas du tout j’ai l’impression /que on me fait

  • 118 F : /oui

  • 119 R : presqu’un mauvais procès mais je comprends que j’aie pu prêter le flanc à ce type de critique. Cet aspect des choses d’ailleurs dans mon livre c’est un /% du texte. /Il se trouve

  • 120 F : /oui /hm hm

  • 121 R : que j’ai peut-être lors de l’émission de mon ami Gilles Lapouge ai peut-être eu un propos qui vous a hérissé je le comprends, je n’ai, ce mot obsolète retirons-le si vous voulez, je ne suis //pas mais non mais...

  • 122 T : //ah il va y en avoir d’autres à retirer

  • 123 R : ce n’est pas oui, ce n’est pas peut-être oui mais ce n’est pas mon propos

  • 124 F : //quel est votre propos alors

  • 125 T : //[inaudible]

  • 126 R : on s’embarque dans un débat sur agriculture traditionnelle ou agriculture industrielle c’est pas du tout //mon problème

  • 127 T : //et bien oui mais quand vous dites obsolète on voudrait savoir

  • à //partir de quoi

  • 128 R : //mais non mais non /c’est une dérive /c’est une dérive technique complètement

  • 129 F : /quand vous dites /oui mais justement

  • 130 R : étrangère à mon livre, je ne me suis pas prononcé un seul instant car je ne suis pas compétent

  • 131 T : et bucolique et archaïque //etc c’est quoi

  • 132 R : //non mais ce n’est pas la même //chose non je dis

  • 133 T : //non c’est bien fait pour les uns les autres

  • 134 R : non je dis, non Jean-Louis Trassard non, Jean-Louis Trassard je dis

  • ceci /je dis que il ne faut pas considérer que le seul paysage c’est la campagne,

  • 135 F : /Alain Roger

  • 136 R : cette petite campagne archaïque et bucolique qui a été immortalisée il faut bien le dire par un certain nombre de textes littéraires, par des tableaux qui constituent le patrimoine pictural des grandes écoles françaises de paysages que ce soit Barbison et les impressionnistes et bien d’autres avant moi je suis plus sensible à la diversité à l’extraordinaire richesse des paysages je milite en faveur, on dit mort du paysage, c’était le titre d’un colloque il y a auquel j’ai participé il y a une quinzaine d’années titre d’ailleurs discutable mais il y avait au moins un point d’interrogation le paysage n’est pas seulement en voie de disparition. Mais nous assistons aujourd’hui à une prolifération du paysage. Nous avons acquis depuis qu’il y avait la campagne, la mer, la montagne, le désert, les paysages interplanétaires, les paysages sous-marins. On aura des paysages virtuels, je suis pour cette prolifération. Je ne vois pas un seul signe attestant la mort du paysage, c’est en cela que je vous réponds sauf si précisément on considère que le pays par excellence, c’est le paysage rural tel qu’il a été forgé par quelques siècles de ruralité. Qu’on le conserve si on veut. Mais qu’on ne se batte pas pour la défense inconditionnelle de ce paysage au détriment de l’invention des autres paysages qui sont à mon avis beaucoup plus intéressants pour l’avenir.

  • 137 T : Ah

  • 138 F : alors allons-y, justement, Jean-Louis Trassard

  • 139 T : est-ce que ça relance le débat, est-ce que ça relance le débat

  • 140 F : non ça le continue en tous cas, Jean-Louis Trassard

  • 141 T : bon, parce que vous dites opposition et quand même et d’ailleurs la 4e de couverture le dit, vous avez un engagement vous êtes pour les paysages nouveaux bon,

  • //très bien c’est, il est aisé de démontrer qu’on a conquis le désert au niveau du

  • 142 F : //[inaudible]

  • 143 T : paysage puisque avant c’était une horreur et que maintenant les gens y vont avec

  • plaisir, /bon ça d’accord, du côté du sable tout au moins comme vous l’avez

  • 144 F : /hm hm

  • 145 T : fait marquer et pas du tout du côté de l’erg et de la hamada, de de .. du reg et de la hamada. Donc euh, tout à fait d’accord mais ça n’empêche pas que très souvent ceux qui luttent contre la destruction du paysage c’est leur paysage qu’ils ne veulent pas laisser détruire. Alors quand vous dites il n’y a pas à la surface de la terre ou en France un déficit de paysage, c’est-à-dire on en perd à un certain endroit et on en gagne d’autres jusqu’aux paysages vus de l’espace maintenant, puisque les satellites nous envoient des vues de la terre bon, mais quand on vous détruit votre paysage ça c’est quand même autre chose, nous par exemple nous nous sommes du bocage bon eh ben, on a pas envie qu’on nous détruise le bocage même si on vous dit même si on vous dit mais vous savez maintenant il y a de très beaux paysages dans le désert et vous pouvez aller les voir

  • 146 F : oui la question que l’on peut poser aussi Alain Roger, c’est effectivement vous ne reprenez pas à votre compte le discours classique du progrès c’est, c’est vrai il y a un certain progressisme qui s’est aujourd’hui effondré on ne peut pas dire voilà, il faut en finir avec la campagne pour aller nécessairement vers le mieux. Mais le discours culturaliste qui est le vôtre revient finalement au même autrement dit, vous invoquez la diversité des paysages la pluralité des inventions pour justement euh sinon ridiculiser, du moins déligitimer les attitudes de conservation que l’on peut observer ici ou là et donc d’une certaine manière vous expliquez que, ma foi, il y a une telle diversité dans le monde que il faut faire confiance à notre richesse inventive et ne pas pleurer sur la mort de certains paysages dans la mesure où il y en aura toujours d’autres et ce faisant tout de même, vous vous désarmez si vous voulez ceux qui essaient aujourd’hui de lutter contre un progressisme aveugle un un développement insensé et sans foi ni loi. Donc avec un discours qui n’est plus celui du progressisme mais celui du relativisme, d’une certaine manière vous débouchez sur le même type d’attitude, le même type de conséquence, Alain Roger

  • 147 R : non non mais je comprends tout à fait ce que vous voulez dire. C’est vrai qu’il y a un risque bon et je l’ai vécu quotidiennement en discutant lors d’interventions très précises je vais vous donner des exemples euh il se trouve qu’il y a eu des aménagements fâcheux euh, qui ont été proposés par un certain nombre de ministères, bords de Seine, bords de Marne, bords de l’Oise. J’étais tout à fait favorable au maintien, à la conservation autant qu’il était possible de sites dits naturels, je me suis aperçu que les ligues de défense tout à fait bien intentionnées euh, défendaient l’existence d’un paysage qui n’existait plus, qui était en fait un paysage euh représenté par les impressionnistes à la fin du siècle dernier et repris par une certaine tradition cinématographique dans les années 30, ce paysage n’existe déjà plus. Or c’était frappant de discuter avec eux, on s’apercevait que leurs arguments qu’ils croyaient être naturalistes étaient des arguments culturels et qu’ils défendaient au fond quelque chose dont les, on a eu la même chose à Colioure, bon on s’est aperçu que les arguments présentés étaient en porte-à-faux et qu’évidemment les ingénieurs et les techniciens les bras leur en tombaient disant mais qu’est-ce que vous nous demandez de préserver, mais où voyez-vous cela ça n’existe déjà plus /simplement le regard était

  • 148 F : /hm hm

  • 149 R : tellement imprégné d’une certaine vision bucolique des bords de Marne, des bords de l’Oise, des bords de Seine, paysage qui a existé et qui a été représenté immortalisé par les impressionnistes que, on s’apercevait que les arguments étaient complètement en porte-à-faux parce que c’est pas de cette façon-là qu’il fallait se battre, /il fallait dire, il

  • 150 F : /hm hm

  • 151 R : faut se battre pour la préservation de certains sites parce que il faut éviter les nuisances phoniques, il faut éviter les pollutions etc. installer des usines bon, bon, mais il ne fallait pas du tout invoquer un paysage qui n’existait plus, c’est uniquement cela que je voulais dire par obsolète, j’ai dit que bien souvent ce paysage n’est plus là ça n’a rien à voir avec le bocage, je n’ai jamais dit qu’il fallait, je suis pour la défense du bocage je me suis battu pour, je ne suis pas du tout pour la destruction du bocage vendéen, du bocage normand ou du bocage tel qu’il existait dans le sud du Berry, pas du tout

  • 152 F : Jean-Louis Trassard

  • 153 T : votre propos est quand même très ambigu parce que voyez je je relève dans votre livre je ne ferai que de vous citer mais ’le ministère de l’environnement n’est que trop enclin à défendre une conception conservatrice et patrimoniale du paysage’ page 128 ’préservation des paysages par le ministère. Préserver quoi ? Pourquoi ? Au nom de quoi faut-il figurer la France figer la France en musée du paysage, pourquoi faudrait-il à tort et à tout prix préserver les paysages lesquels et selon quels critères’, évidemment ces critères sont à discuter. Mais néanmoins, vous montrez que vous n’êtes pas du tout tout en faisant des déclarations et des pétitions de principes selon lesquelles vous êtes écologiste en fait d’une part vous ridiculisez ceux qui veulent les garder et d’autre part vous posez sans arrêt la question en vous gardant bien d’y répondre, sur, pourquoi faudrait-il protéger ?

  • 154 F : oui alors justement, cette question peut-être faut-il revenir à ce critère que vous avez balayé d’un revers de main et sur d’ailleurs sur lequel Jean-Louis Trassard ne s’est pas directement prononcé. Ce mot qui tente à devenir obscène aujourd’hui et notamment, disons, parmi ceux qui réfléchissent à l’esthétique parmi les spécialistes d’esthétique, le mot de beauté. On ne peut plus avancer le mot de beauté parce que l’esthétique nous a appris, nous aurait appris que disons tous nos jugements de goût sont absolument subjectifs (....) bercés aux destinataires et chacun a son propre jugement votre argument culturaliste vous dites en fait : ’les artistes inventent des paysages qu’ils proposent à notre vision et puis notre vision se transforme sans arrêt’ et donc vous concluez en quelque sorte à la malléabilité extraordinaire de, de l’esprit humain et donc le concept de beauté se dissout

  • 155 R : non pas du tout, //pas du tout

  • 156 F : //alors alors justement, s’il ne se dissout pas ma question elle est celle-ci, est-ce qu’il n’y a pas un lien entre la disparition de la préoccupation de la beauté dans la réflexion esthétique et l’enlaidissement du monde ? Parce que quand même le monde devient laid ce cet immeuble dans lequel nous travaillons il est incroyablement laid, là où j’enseigne à Polytechnique c’est d’une laideur absolue les, les sorties les,

  • les sorties de ville //alors et je ne suis pas un spécialiste des paysages urbains,

  • 157 R : //nous somme d’accord

  • 158 F : mais alors on va prendre justement Jean-Louis Trassard, on va prendre un paysage entre les deux, si vous voulez les sorties de ville ou les entrées de ville ces, ces espaces de placards publicitaires abominables, on n’entre plus dans une ville comme on y entrait autrefois et c’est vrai qu’il y a une nostalgie chez les gens c’est-à-dire on va en Italie quand on va voir les villes italiennes, on va voir certaines villes françaises avec une espèce de sentiment poignant. Pourquoi ne sait-on plus faire ça, pourquoi l’architecture qu’est-ce qui est arrivé à l’architecture, quand elle était fonctionnelle elle est post-moderne mais dans les deux cas elle est totalement délocalisée, elle n’est, elle n’est, elle n’est, le génie du lieu ne nous parle plus donc nous voyons si vous voulez le monde s’enlaidir et nous voyons euh une pensée esthétique qui dit que la beauté n’existe pas, moi je pense qu’il y a un lien

  • 159 R : mais non /revenons, revenons en arrière vous avez tout à fait raison.

  • 160 F : /Alain Roger

  • 161 R : Je ne prends pas en compte l’idée de malléabilité sur le coup on ne fait pas n’importe quoi j’ai dit tout à l’heure, je reviens à cet exemple car je crois qu’il faut parler de choses sérieuses sinon on tombe dans la polémique à court terme euh, lorsque l’Occident est incapable pendant des siècles d’émettre un jugement esthétique sur le paysage, y a pas de paysage en Occident jusqu’au XVe. Vous pouvez prendre tous les textes de la littérature médiévale vous ne verrez pas le problème du paysage il n’existe pas hein, vous savez qu’il est forgé, inventé à la fin du XVe. Bon, il n’y en a pas, il n’y en pas. Bon et puis on voit apparaître des paysages lentement, ce qu’on trouve beau la campagne ou belle la campagne, on trouve belle la montagne à travers des opérations qui ne mobilisent pas simplement un ou deux artistes de façon capricieuse euh, ces paysages et donc cette beauté paysagère, elle est le fruit du, d’un consensus ça implique si vous voulez des décennies, des générations d’artistes. Alors je ne dis pas qu’on peut faire tout et n’importe quoi et qu’on peut rendre tout et n’importe quoi et qu’on peut rendre beau tout et n’importe quoi. Vous me parlez des entrées de villes alors Alain Finkielkraut je, je suis comme tout le monde euh, euh nous sommes tous d’accord sur le fait que c’est parfaitement

  • hideux, /que c’est parfaitement hideux. Lorsque tout à l’heure

  • 162 F : /hm hm

  • 163 R : Jean-Louis Trassard a lu il visiblement puise ses citations dans toujours les mêmes pages puisque je les ai écrites je ne les récuse pas il cite, euh, euh des déclarations à propos de la loi du paysage. Je ne vais pas me fâcher avec Mme Voynet, laquelle j’ai la plus grande admiration, il s’agissait d’ailleurs de Mme Royal qui avait proposé une loi du paysage que je considère personnellement comme une loi inapplicable, c’est tout ce que j’ai voulu

  • dire //j’ai dit au nom de quoi elle est inapplicable parce qu’on a introduit bon, on a

  • 164 F : //pourquoi est-elle inapplicable expliquez-vous de quoi s’agit-il le paysage

  • 165 R : introduit ce qu’on appelait un volet paysage dans le permis de construire. En disant aux constructeurs hein, aussi bien les particuliers que les collectivités, avant de construire il faudra demander un permis un permis paysager. Bon au nom de quelles valeurs qui va le délivrer et quelles sont les valeurs, alors on sait très bien que les valeurs c’est l’intégration, c’est-à-dire qu’on va demander à ceux qui construisent de surtout pas porter atteinte à un paysage existant c’est-à-dire d’essayer de dissimuler de ne pas trop se montrer dans le paysage. C’est une conception comme une autre, c’est une conception qui ne s’appuie sur aucun fondement scientifique et j’ai simplement voulu dire que avec l’application qui d’ailleurs n’est pas réelle on l’applique pas. Comme je l’avais prévu il y a trois ou quatre ans, on applique pas parce que personne ne sait l’appliquer, parce que personne ne sait comment quelles sont les valeurs objectives je dirais mesurables, quantifiables

  • qui permettent de dire il y a atteinte au paysage ou pas ou alors c’est la

  • conservation //conservant

  • 166 T : //je suis je suis bien d’accord avec vous, /néanmoins euh, comme vous

  • 167 F : /Jean-Louis Trassard

  • 168 T : continuez dans la polémique au tout au long du livre passé le volet sur la peinture

  • euh, vous attaquez le conseil général d’Auvergne euh,

  • dont vous //le notez le bon sens auvergnat et la naïveté écologique parce que

  • 169 R : //ne me fâchez pas avec mes collègues auvergnats [rire]

  • 170 T : il y avait des conseils qui étaient donnés à propos des plantes et vous me reprochez presque de citer votre livre mais entre la page 138 et la page 139 ’nous passons agréablement de conservateur à réactionnaire et de réactionnaire à nazi’

  • 171 R : absolument mais là, //je ne conteste pas

  • 172 T: //mais je trouve que c’est beaucoup

  • 173 R : je vais, je vais

  • 174 F : alors allez y oui, //parce que là ...

  • 175 R : //je vais l’expliquer, je vais l’expliquer parce que c’est un ah, mais ça je

  • 176 T : c’est un exemple, //c’est pas

  • 177 R : //je vais vous montrer, je vais vous montrer et je montrerai aux auditeurs le danger qu’il y a, à vouloir à tout prix recommander ce que faisait le conseil d’Auvergne et il n’est pas le seul, à recommander l’utilisation systématique des plantes indigènes et à proscrire car c’est eux qui sont dans cette affaire exigeants et arrogants à certaines égards, à proscrire les plantes exotiques et j’ai dit faut faire très attention parce que c’était exactement la doctrine des grands peintres paysagistes

  • du 3ième Reich exotenrass(?) /ah ben //c’est ce ah ben, c’est ce qu’ils ont dit,

  • 178 T : /ah bon //aller chercher oui mais aller chercher cet

  • 179 R : c’est exactement la même chose, c’est la même chose

  • 180 T : argument c’est bien quand même c’est bien quand même pour assassiner ceux qui veulent protéger //le paysage

  • 181 R : //mais, mais protéger mais pourquoi y a-t-il protection du paysage quand on dit aux gens je ne veux pas que vous plantiez des prunus

  • 182 T : non c’est c’est un exemple //que vous donnez pour pouvoir écraser //la thèse de ceux

  • 183 F : //Jean-Louis Trassard //alors

  • 184 T : qui protègent le paysage

  • 185 F : y a //y a un autre

  • 186 R : //c’est pas du tout, //il y a une confusion, y a une confusion

  • 187 T : //ah ben écoutez j’ai lu votre livre de A à Z

  • 188 F : Alain Roger, justement, mais il y a un autre, il y a un auteur puisque nous parlons de ces glissements idéologiques de ces problèmes idéologiques, un auteur qui passe un très mauvais quart d’heure je dirais pas que c’est quart d’heure, c’est plutôt une minute dans votre livre, c’est Heidegger dont vous dites au fond que son millénarisme écologique est un peu ridicule et vous en faites un idéologue rétrograde qui en plus n’a rien, n’a rien inventé en même //temps

  • 189 R : //c’est pas moi qui ai dit cela, /c’est surtout, c’est François /Guiri non,

  • 190 F : /oui François Guiri /oui

  • 191 R : non moi j’ai cité Guiri /non moi je ne suis pas hostile à Heidegger celui que j’ai

  • 192 F : /oui oui

  • 193 R : pris en écharpe /je ne m’en cache pas c’est Michel Serre, /on montre du contre-naturel

  • 194 F : /oui oui /oui oui

  • 195 R : je ne m’en cache pas je lui ai consacré un article parce que l’idée de contre-naturel me paraissait une billevesée philosophique, je l’ai dit ça je /ne le retire pas Heidegger

  • 196 F : /oui mais

  • 197 R : je n’ai pas //polémiqué

  • 198 F : //non, non, la polémique la polémique me semble intéressante dans la mesure où précisément quand Heidegger parle du monde de la technique il dit, la technique c’est pas simplement un ensemble de machines et d’engins c’est pas un moyen à notre disposition c’est au fond un état d’esprit, la manière dont le monde se dévoile à nous, hein, c’est pour ça quand il dit le sens de la technique n’est rien de technique il dit au fond et, et mais vous étiez Heideggerien sans le savoir comme Mr. Jourdain

  • faisant //le la...

  • 199 R : //je suis Heideggerien en le sachant...

  • 200 F : oui le savoir dans la mesure où vous disiez ça, ça, on ne peut pas le mesurer et évidemment Hiedegger dit dans notre monde n’est réel que ce qui est mesurable et là j’en, j’en, j’en viens si vous voulez à ce qui me paraît disons l’un des contentieux les plus intéressants de la modernité, le différend originel et dans lequel je trouve l’oeuvre de Jean-Louis Trassard trouve sa place, entre certains poètes pas tous les poètes et euh, le monde de la technique humaine et le monde du progrès, entre cette artialisation et cet artificialisme que me semble-t-il sans les confondre vous rapprochez un peu le le quand par exemple Francis Ponge dit ceci : ’la fonction de l’artiste est fort claire il doit ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde par fragments comme il lui vient non pour autant qu’il se vienne pour un mage seulement un horloger réparatif euh pardon réparateur attentif du homard du citron, de la cruche ou du compotier tel est bien l’artiste moderne, irremplaçable dans la fonction, son rôle est modeste on le voit mais l’on ne saurait s’en passer’ et je pourrais trouver d’autres citations dans les élégies de de de Rielke quand il se demande qu’est-ce que c’est que, être humain et et qu’il dit sommes-nous peut-être sommes-nous ici pour dire maison, fontaine, pont, cruche, porte, verger, fenêtre, tout au plus, colonne, clocher mais les dire comprend le au les dire telle sorte que jamais au fond d’elles-mêmes ’ces choses ne puissent douter d’être cela et plus loin ces choses périssables elles cherchent secours au-près de nous, nous plus périssables encore’. Il y a ici me semble-t-il une vision de l’art très intéressante parce qu’elle prend l’art au sérieux, l’art ainsi défini par Rielke ou par Ponge n’est pas un divertissement c’est un défi, un défi à la technique, pour la technique n’existe que ce qui est mesurable, que ce qui est quantifiable et ce faisant la technique oublie la réalité du monde dans sa concrètude et l’art ce serait l’incessante réparation de cette sorte d’oubli ou de cette cécité originelle et c’est comme ça que moi je comprends la si belle phrase de Cézanne en ce sens non pas réactionnaire mais réparateur on doit se hâter si on veut encore voir quelque chose, tout disparaît, oui tout disparaît en quelque sorte, au profit d’un autre regard qui ne voit que ce qui est mesurable et on peut aussi prendre aussi cette phrase, dans sur la disparition dans un sens plus immédiat, la disparition de certains paysages dans l’agriculture parce que l’agriculture change de nature. Elle n’est plus le commerce, le soin du sol, elle devient une sorte d’exploitation industrielle uniforme et homogène et totalement indifférente à la diversité des traditions et à la diversité des lieux et il me semble que c’est dans ces deux perspectives poétique et agricole que doit être pensée la la fragilité des paysages contemporains, Jean-Louis Trassard

  • 201 T : oui c’est là que je je je m’étonne d’une autre thèse d’Alain Roger qui est de vouloir à tout prix séparer écologie et paysage, parce que je pense que c’est complètement artificiel, c’est bien pratique quand on s’occupe de concept parce que c’est aussi la technique de d’Horace avec les Curiaces et on va les séparer et on pourra leur casser la figure tour à tour. En fait sur le terrain, c’est complètement faux. Moi je ne suis pas du tout persuadé que ce soit une amélioration de la pensée de séparer ces deux notions car aussi bien sur le bocage, sur le marais salant, sur le marais poitevin, sur euh, les alpages du Queyras et sur n’importe, on ne peut pas penser le paysage sans penser à toutes les implications végétales, climatiques, animales, le régime des eaux, le mode de vie des habitants, c’est, c’est lié au paysage indissolublement /et vous voulez artificiellement

  • 202 F : /hm hm

  • 203 T : intellectuellement, les séparer parce que ça vous permettra de mieux les exécuter

  • l’une après //l’autre

  • 204 F : //attendez //artificiellement

  • 205 R : //[inaudible] mais je m’excuse

  • 206 F : oui Alain Roger //allez-y

  • 207 R : //exécuter, exécuter l’un après l’autre /comme si je voulais exécuter

  • 208 T : /oui

  • 209 R : le paysage euh, je ne veux exécuter ni l’environnement ni le paysage je dis que le travail sérieux et c’est une //expérience...

  • 210 T : //sérieux mais, pourquoi //les autres ne seraient pas sérieux

  • 211 R : //laissez-moi finir, laissez-moi finir

  • 212 F : Alain Roger allez-y allez-y

  • 213 R : je pense que le travail sérieux et si vous ne le prenez pas vous en avez parfaitement le droit, le travail sérieux consiste à procéder à une dissociation des deux ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de corrélation, je n’ai jamais dit qu’il fallait mettre entre parenthèses les éco-systèmes ou les géo-systèmes, je dis que ça relève de la science je respecte les géographes et les écologues et je dis que le paysage c’est autre chose je ne crois pas à la possibilité d’une écologie du paysage. Nous ferraillons actuellement avec les anglo-saxons qui proposent une landscape-ecology, je m’aperçois avec beaucoup de satisfaction mais il faut croire que je ne suis pas prophète dans mon pays que ce qui est accepté maintenant de plus en plus dans les pays d’Europe occidentale, aux Etats-Unis et dans le monde entier,

  • paraît faire difficulté /auprès de Mr. Trassard /c’est

  • 214 F : /oui

  • 215 T : /moi je

  • 216 R : son droit, //c’est son droit

  • 217 F : //pourquoi, cette pourquoi cette distinction nous paraît-elle si fondamentale

  • 218 R : c’est fondamental /parce qu’aujourd’hui je pense que les valeurs écologiques sont des

  • 219 F : /Alain Roger

  • 220 R : valeurs scientifiques, euh, que l’étude sérieuse approfondie bien entendu vous avez raison des végétaux, du socle bon, vous avez parlé des rivières, tout cela passe évidemment est indispensable

  • 221 T : c’est ça qui //fait le paysage

  • 222 R : //mais vous n’avez pas, je m’excuse, vous n’avez pas encore avancé dans l’enquête paysagère lorsque vous vous êtes contenté de recenser les éléments de l’environnement. Vous pouvez avoir un environnement je le dis souvent reprenant un mot de mon ami Bernard Lassus, vous pouvez avoir une eau parfaitement propre qui ne donne pas un paysage vous pouvez avoir une eau polluée qui fait partie d’un beau paysage. Ce sont des valeurs ce sont des valeurs qu’il faut précisément dissocier vous mesurez la pollution de l’eau, vous ne pouvez pas mesurer la beauté d’un paysage

  • 223 F : alors justement une oui euh, c’est toujours //cette question

  • 224 T : //est-ce qu’on doit respecter que ce

  • qu’on peut mesurer, /j’insiste sur ce

  • 225 F : /voilà

  • 226 T : problème //quand même

  • 227 R : //je n’ai jamais dit qu’il fallait respecter que ce qu’on pourrait mesurer

  • 228 F : ça, c’est la vraie question justement, est-ce que ce qui n’est pas mesurable n’est pas aussi objectif mais d’une autre manière et justement vous Jean-Louis Trassard, comment, qu’est-ce que ça veut dire pour vous, qu’est-ce que ça évoque pour vous vous l’expression beau paysage, qu’est-ce que c’est qu’un beau paysage vous êtes, vous êtes quand même aussi amené à réfléchir à la beauté

  • 229 T : bien sûr, mais je crois que ça, c’est une notion extrêmement euh culturelle bien sûr, ça c’est une évidence et puis une notion relative /aussi parce que j’admets très bien que

  • 230 F : /hm

  • 231 T : quelqu’un puisse trouver belle une autoroute, /cela ne me gène en rien pourvu qu’on me

  • 232 F : /hum hum

  • 233 T : me laisse trouver beau et conserver par la même occasion les paysages ruraux que que je préfère, /je crois que la notion de beau elle est tellement personnelle qu’on ose à

  • 234 F : /hm hm

  • 235 T : peine la mettre en avant, parce qu’on sait bien que c’est d’une part contingent à la culture, à l’époque et d’autre part à des goûts personnels dus à la vie de chacun

  • 236 F : hm hm, oui enfin en même temps c’est toujours pareil oui enfin en même temps si c’est contingent comme cela la beauté devient elle-même extraordinairement

  • exposée et fragile /une chose belle là, là si vous voulez c’est moi quand

  • 237 T : /certainement, certainement

  • 238 F : une chose est belle et bien elle nous paraît précieuse et périssable, c’est, c’est, c’est lié au concept de beauté mais dès lors effectivement que l’on dit la beauté est contingente alors à ce moment là elle elle n’a rien en quelque sorte pour la prémunir contre la brutalisation l’agression les mutations etc.

  • 239 T : elle peut être réduite par évolution des //mentalités, je vois dans ma campagne par

  • 240 F : //hm hm

  • 241 T : exemple, pour prendre le le le sujet des ruisseaux très souvent le ruisseau est abîmé par le piétinement du bétail, il est envahit par les mauvaises herbes, il fait des méandres, il s’effondre un peu sur le bord et il demande beaucoup de soins. Et j’ai vu l’évolution se faire dans le bocage mayennais, ce que les cultivateurs appelaient un ruisseau beau entre guillemets, c’était un ruisseau retracé /par une machine et bordé de deux rangs de

  • 242 F : /hm hm

  • 243 T : barbelés ou de clôture électrique pour que le bétail ne puisse plus y descendre qu’est-ce que qui représentait pour eux la beauté, c’était /le le l’efficacité, le bon état des

  • 244 F : /l’efficacité

  • 245 T : lieux et le fait qu’il n’y aurait plus de travail pour s’en

  • occuper, //c’est ce qu’ils appelaient beau

  • 246 F : //oui mais alors justement. mais là c’est une dernière question que je vous poserai à tous les deux, si préservation du paysage il doit y avoir, est-ce que les agriculteurs sont prêts à, si vous voulez, y participer, ils ils n’aiment pas se concevoir eux-mêmes comme, comme des jardiniers de la nature, ils sont blessés souvent par une telle définition de leur métier, ils ont cédé très longtemps aux sirènes du modernisme pour toutes sortes de raisons que vous exposez vous-même, donc vous parlez de l’existence d’une agriculture traditionnelle mais n’est-ce pas les agriculteurs justement qui ont été les premiers à la trahir avec cette, ce modernisme et puis cette conception disons très étroite du beau non (↑)

  • 247 T : toute une //part des agriculteurs a effectivement trahi le paysage rural traditionnel

  • 248 F : //Jean-Louis Trassard

  • 249 T : ça c’est évident /ils ils un bon nombre d’entre eux continuent encore mais heureusement

  • 250 F : /hm hm

  • 251 T : parmi ceux qui prennent conscience de la nécessité de protéger le paysage un bon nombre de jeunes agriculteurs en font partie maintenant

  • 252 F : alors Alain Roger //on est, pour conclure

  • 253 R : //je pense qu’on va terminer sur un accord total

  • parce que //sur le point je [rire] oui parce que nous avons eu des échanges

  • 254 F : //très bien

  • 255 R : un peu vifs mais très courtois malgré tout, le, les agriculteurs vous avez raison ce sont souvent de jeunes agriculteurs et souvent des néo-ruraux on l’a constaté j’ai eu un certain nombre d’étudiants qui ont fait des enquêtes, on constate vous l’avez rappelé à propos de certains agriculteurs qui confondent d’ailleurs mais c’est normal, la rentabilité la propreté surtout du paysage, avec sa beauté le mot beau ne leur est pas familier. Ils auraient pu d’ailleurs souvent l’employer aujourd’hui on constate des réticences à devenir des gardiens de paysage comme il y a des gardes forestiers et ils ont bien raison, on leur a demandé de faire du rendement pendant des décennies et oui il ne reste plus grand monde pour défendre ce paysage auquel vous tenez tant je vous comprends c’est que si les agriculteurs eux-mêmes trahissent, si je puis dire, le mot est peut-être excessif, mais pour des raisons que je comprends il n’y a plus que précisément

  • quelques nostalgiques au meilleur sens du terme pour

  • défendre /ce paysage

  • 256 T : /non non...pas //nostalgiques

  • 257 F : //tous ne trahissent pas, tous ne trahissent pas

  • 258 R : c’est au bon sens du terme

  • 259 T : non non

  • 260 F : pas nostalgique, vous récusez ce terme et on peut dire que vous les agriculteurs ne trahissent pas, la confédération paysanne justement veut remettre à l’ordre du jour une autre idée de l’agriculture et puis la question se pose si tout le monde trahit est-ce que ce n’est pas la réflexion esthétique justement, que d’inclure cette dimension. En tout cas j’ai été très heureux de cette discussion Alain Roger et Jean-Louis Trassard alors je voudrais rappeler le titre de votre livre Alain Roger, ’Court Traité du Paysage’, il est publié dans la Bibliothèque des Sciences Humaines aux éditions Gallimard et puis rappeler aussi, qu’aux mêmes éditions Gallimard Jean-Louis Trassard a publié il y a peu de temps une suite très belle de récits, ’Nous sommes le sang de cette génisse’ et je voudrais citer aussi un autre livre de Jean-Louis Trassard aux éditions Le Temps qu’il fait qui a rapport très étroit avec le sujet que nous avons discuté aujourd’hui, son titre un peu si vous voulez énigmatique, parce que nous avons, nous n’avons plus de liens réels avec les paysages, parce que nous vivons hors sol sans doute son titre énigmatique, donc c’est ’traquer mote’ la semaine prochaine, il n’y aura pas d’émission pour le premier novembre donc nous nous reverrons nous nous réentendrons dans quinze jours avec une émission qui aura pour titre les femmes les hommes et la représentation politique et mes invités seront Evelyne Pisier et Francine Demichel