F : Alain Finkielkraut, animateur
T : Denis Tilinac
J : Jacques Juillard
001 F : L’alliance des élites et du peuple était le souci commun du Gaullisme historique et de la gauche dans toutes ses variantes révolutionnaires, républicaines ou social-démocrates. Or cette alliance se casse exemple, pour être populaire Alain Madelin n’hésite pas à déclarer ’l’Irlande à l’IRA, l’Espagne à l’ETA, l’Italie à la MAFIA, la France à l’ENA’. Autre exemple il n’y avait dans le grand défilé organisé contre la loi Debré et sur l’entrée et le séjour des étrangers en France qu’une infime minorité d’ouvriers et d’employés. Très fortement implantés dans les mondes médiatiques artistiques et universitaires, les partisans de la régularisation de tous les travailleurs clandestins ne font pas recette dans les quartiers populaires, ce qui ne leur donne pas nécessairement tort mais ce qui fait problème. Ce problème Denis Tilinac gaulliste authentique et Jacques Juillard homme de gauche qui ne se paye pas de mots le traitent l’un et l’autre - Tilinac dans ’La chronique d’un désenchantement’ publié au lendemain des élections législatives par le journal Le Monde et Juillard dans un essai ’La faute aux élites’ qui vient de paraître chez Gallimard. Avant de désigner les fautifs et de démêler l’écheveau des responsabilités arrêtons-nous aux diagnostic. Vous écrivez Denis Tilinac que pour la première fois depuis la libération les Français ne sont plus captifs de la théologie de la liturgie des références et du langage de la gauche je crains ajoutez-vous qu’on ait oublié de développer devant Jacques Chirac les attendus de cette métamorphose, la gauche post soixante-huitarde tient selon vous le pouvoir politique économique et médiatique. Or la France dans ses profondeurs a déserté ce champ mental je vous cite : ’sur l’acte de divorce entre le peuple et les élites le notaire politique doit consigner que désormais on réagit à gauche, dans les hautes sphères à droite dans le métro’. Alors pouvez-vous étayer cette affirmation Denis Tilinac et en concluez-vous que les hautes sphères doivent de toute urgence se mettre à l’école du métro
002 T : oui il faut rappeler brièvement quand même le contexte d’un article que j’ai écrit le le lundi qui a suivi la la défaite la débandade de l’ancienne majorité aux élections législatives anticipées. Euh et qui ont et qui ont vu le le retour pour combien de temps justement de cette, de ce dualisme gauche droite dont avec d’autres j’espérais qu’il qu’il finirait par laisser place à des clivages plus contemporains puisque je considère toujours, malgré les apparences qu’il est parfaitement obsolète et j’ai essayé de réfléchir donc dans ces articles la raison pour laquelle, deux ans après l’élection de Chirac qui avait eu lieu sur un diagnostic euh que je continue de croire juste et ce diagnostic consistait entre autres à dire que le peuple français récuse ses élites comme il l’a fait à d’autres moments de l’histoire de France, les récuse violemment, les récuse catégoriquement. Qu’il faut prendre en compte ce ce ce fait pour initier un rapport nouveau à la politique et gouverner autrement des des Français en fonction de leurs inspirations. Bon 2 ans après cette prise en considération n’avait n’ayant pas été faite par le gouvernement Juppé et je pèse je pèse mes mots euh on a assisté à la débâcle car j’ai essayé d’en tirer quelques conclusions. Effectivement entre autres il m’apparaît que les élites font appel à la nomenklatura à la technostructure. Politique, économique, haute-administration, système médiatique tous ces gens là étant euh ayant été formé dans le même moule adoptant le même langage s’auto-fréquentant, s’auto-encensant passant leur temps à se tendre des miroirs médiatiques qu’ils contrôlent entièrement, euh ces gens là sont restés marqués par le système des valeurs, les attitudes mentales de ma génération ce qu’on dit en gros le soixante-huitardisme toujours qu’il soit, qu’ils se situent à droite à gauche, qu’ils appartiennent au PS, au RPR, ou à l’UDF c’est les mêmes et les français le perçoivent comme tel à mon avis c’est une des raisons principales de la montée du Front National les mêmes, tous les mêmes sous-entendu tous des pourris comme disait Poujade jadis on y reviendra, euh je je je vous parle du constat du peuple, euh alors que donc donc
003 F : vous dites, vous parlez du constat du peuple /mais ce constat est-ce qu’il est juste
004 T : /oui
005 F : //selon vous
006 T : //oui parfaitement, tout à fait je pense que jamais //très long je pense que jamais
007 F : //est-ce que ça c’est
008 T : depuis longtemps une caste aussi restreinte, aussi arrogante, aussi cynique, aussi vénale, a accaparé tous les leviers de commande dans ce pays et je pense que cela ne durera pas éternellement
009 F : bon écoutez là effectivement [rire] vous avez pu /vous avez pu dire clairement
010 T : /c’est clair voilà
011 F : votre diagnostic, vous n’êtes pas tendre avec les élites dans votre livre Jacques Juillard, à un moment donné d’ailleurs vous parlez de cette super élite que vous définissez ainsi : un firmament de la célébrité où la politique, la banque, l’aristocratie, la spiritualité l’art, la littérature, les affaires, la chanson, les médias, le grand banditisme, l’université, le sport se rencontrent échangent des impressions, des politesse, des idées, des adresses, des services des femmes, des informations et des positions sociales vous n’êtes pas tendre et cela dit est-ce que vous adhérez à ce constat que vient de faire Denis Tilinac
012 J : écoutez c’est vrai qu’il y a il y a un tronc commun entre ce que vient de dire Denis Tilinac et ce que je pense et ce que j’ai écrit dans ce livre à savoir qu’il y a bel et bien un divorce, moi je crois que pour aller euh directement aux différences entre nous parce que c’est plus intéressant que les points communs non simplement, d’un mot hein pour dire qu’effectivement, je crois que les élites françaises sont devenues, il y aura toujours des élites dans un pays et d’ailleurs il faut qu’il y ait des élites, mais je dis que les élites sont devenues élitistes et ça eu pour conséquences que le peuple est devenu populiste. Je m’explique élitiste ça veut dire que précisément les élites c’est à dire les milieux dirigeants fonctionnent comme une caste c’est à dire fermés sur eux-mêmes fermés sur elle-même en échangeant en effet tout une série de signes de reconnaissances ou de positions sociales, euh, bien de telle manière que la coupure avec le peuple est extrè les milieux populaires je préfère dire les milieux populaires est extrêmement profonde, euh la conséquence c’est que le peuple est devenu populiste c’est à dire que lui aussi se recroqueville d’une certaine manière sur lui-même; alors j’ai introduit une première nuance par rapport à ce que je crois comprendre de la position de M. Tilinac moi je crois pas qu’on peut, qu’on puisse généraliser parce que il y a une partie du peuple qui reste tout à fait fidèle je dirais par exemple à l’alliance de gauche classique, si ça n’avait pas été le cas Lionel Jospin ne serait pas à l’heure actuelle premier ministre, alors ça plaît ou ça ne plaît pas mais il est de fait que la vieille alliance dont je dis qu’elle est, elle est en voie de dissolution en tout cas qu’elle est malade et il faut reconnaître il faut constater qu’elle fonctionne encore très largement et que une grande partie du peuple réagit si vous voulez au côté des élites de gauche dans le sens du progrès dans le sens traditionnel telle qu’on l’a connu sous la 3è République il n’en reste pas moins et c’est là dessus que je suis d’accord qu’une partie a décroché et il est vrai qu’elle a toujours décroché et que le peuple n’a jamais été unanime mais que le Poujadisme est le prix que nous payons de la rupture entre certaines élites et et un certain peuple juste un mot j’ajouterai, j’ajouterai que, euh, lorsque Denis Tilinac parle de dit que l’idéal de ces élites soixante-huitardes non ça je ne crois pas
ou, //ou alors
013 T : //idéal plutôt
014 J : non mais //vous comprenez
015 F : //le comportement
016 T : le //tout d’esprit
017 J : //non lorsqu’on parle de ça on parle peut être, vous avez le droit d’énoncé des élites poste soixante-huitarde mais entre nous ça n’a pas grand chose à voir avec l’autre partie des élites qui est souvent dénoncée et qui a été en décembre 95 par exemple c’est à dire ce qu’on appelle à tort ou à raison la technocratie, /là c’est quand même, entre
018 F : /hm hm
019 J : l’ENA et puis les barricades il y a quand même un abîme
020 F : hm hm oui mais alors Denis Tilinac moi, je peut être me faire un instant l’avocat des élites ou en tout cas poser le problème, vous avez dit tout à l’heure et confirmé que le diagnostic du peuple était juste jamais les élites n’ont été aussi arrogante ni dites-vous aussi vénale alors, laissons pour le moment tomber l’arrogance, intéressons-nous à la vénalité c’est vrai que aujourd’hui il y a un thème très fort très puissant celui de la corruption des élites, du monde politique et alors ma question c’est peut-on dire que le monde politique est corrompu ou bien ne doit-on pas s’interroger aussi sur l’émergence dans nos démocraties du pouvoir conjugué des juges et de l’opinion. Une démocratie d’opinions allié à un pouvoir des juges qui met constamment la classe politique en accusation et quelque fois n’importe comment, si l’on en juge par la récente affaire Yann Piat. François Léotard qui n’est pas, qui fait partie de l’ancienne majorité mais qui n’est pas sans doute un homme politique tout à fait selon votre coeur a été accusé, a été accusé de meurtre, euh il, par des journalistes qui n’avaient pas le commencement du début d’une preuve tout ça a été et ça a commencé dans le Canard enchaîné parce que maintenant on dit ’Flammarion est dégoûtant’ mais le Canard enchaîné avait formulé exactement les mêmes accusations sans encore une fois en en de façon complètement arbitraire et lorsque j’ai vu euh à deux reprises à la télévision François Léotard se rebeller d’abord et et notamment dans l’émission de Michel Field je voyais un homme politique qui défendait la politique comme telle l’honneur de la politique face à des journalistes qui d’une certaine manière avaient contribué euh à sa dévalorisation je me souviens du geste d’Yves Mourousi qui s’est assis sur le bureau de François Mitterand, lors d’une, d’une interview télévisée c’était une véritable passation des pouvoirs et quand François Léotard s’est rebellé contre Michel Field je me suis dit que c’était la revanche d’un homme politique dix ans après et je me suis dit que c’est pas mal que la démocratie représentative et aussi que les représentants en quelques sortes aient aussi quelques choses à dire, que les juges et les journalistes ne soient pas les seuls si vous voulez à être les directeurs de conscience de nos sociétés, Denis Tilinac
021 T : ou là
022 F : il y a beaucoup de choses //excusez-moi
023 T : //il y a beaucoup de choses à répondre y compris ce qu’a dit M. Juillard moi je veux quand même défendre les journalistes quand euh, quand les
hommes //politiques quand les hommes politique ont besoin du système médiatique
024 J : //merci
025 T : pour les valoriser pour les faire exister puis qu’ils n’existent que par eux ils le sollicitent volontiers alors qu’ils ne viennent pas se plaindre quand ils, quand tout d’un coup ils se sentent agré //agressé
026 F : //enfin c’est pas c’est pas se sentir agressé, c’est une agression
invrai//semblable on met euh
027 T : //dans la dans la dans l’affaire dans l’affaire Yann Piat j’approuve tout à fait ce que vous venez de dire c’était, c’est un acte isolé de journalistes irresponsables qui ont été condamnées y compris par la rédaction auxquels ils appartenaient. On est bien d’accord sur ce qui concerne la corruption du monde politique c’est pas d’abord on peut plus parler d’un nom de politique indépendamment du monde économique politique des affaires du monde de la haute administration. Vous avez les hauts fonctionnaires euh énarques en règle générale qui président par par nomination en conseil des ministres ou par par courtisanerie des de grandes sociétés parapubliques, semi-publiques dont l’Etat pour le moins contrôle un noyau dur de capital et qui gagne des 200 300 400 500000 francs par mois c’est pas de la corruption c’est pire que de la corruption, c’est insupportable pour le peuple, c’est insupportable. Euh la vénalité c’est pour ça que j’utilise le mot vénalité plutôt que corruption la corruption politique cela venait essentiellement du fait que le système politique français n’était pas financé, n’était pas financé je ne sais pas à quoi la cour des comptes a pensé pendant 20 ans avant que les journalistes finissent par s’apercevoir que les partis politiques, que les hommes politiques se finançaient comme ça à la petite semaine avec les combines en faisant raquer un peu les entreprises c’était artisanal c’était comme le rugby amateur marron avant qu’il ne devienne professionnel quelques années à devenir professionnel ça change. Alors là on voit l’argent l’argent //l’argent avant de parler
028 F : //on voit oui
029 T : alors la vénalité c’est qu’on a on a une élite quinquagénaire en gros, hein qui est arrivée au pouvoir avec Mitterand en gros lequel a surfait sur cette génération, c’est pour ça que je disais soixante-huitarde ce n’était pas d’ailleurs polémique, j’en suis et il doit bien y avoir en moi des réflexes qui participent de cette génération on a lu les mêmes livres, on a pas les mêmes choses cette génération à bout de souffle elle ne croit plus rien, écoutez-les parler elle ne croit plus à sa mission vous vous dites bon le monde va plus nous tout ce qu’on fait c’est pas bien reluisant mais enfin on fait du fric, on fait du fric et ils ne parlent
plus //que de ça, ils ne pensent plus qu’a ça //et les gens le sentent
030 J : //euh euh
031 F : //Jacques Juillard
032 J : moi je voudrais préciser les choses à propos //de la co
033 T : //et je je si vous permettez justement pour répondre alors là c’était un peu la réponse à Alain Finkielkraut je m’excuse M. Juillard je vous demande encore deux minutes pour répondre à ce que vous avez dit sur sur ce qui nous oppose et sur ce qui nous unis effectivement j’ai lu votre livre, on partage, on partage le le le constat du divorce, cela va de soi de l’élite vous êtes même par moment plus violent que moi je voudrais revenir sur le mot populiste que vous que vous m’imputez dans votre livre de façon qui est qui est péjorative je ne le ressens pas comme péjorative le populisme est apparu en France notamment à l’occasion d’un mouvement littéraire
parfaitement honorable d’ailleurs, j’ai obtenu il y a quelques
années //le prix populiste j’ai obtenu le prix littéraire populiste
034 J: //je ne crois pas que le mot populiste
035 T : et le premier à l’avoir reçu ayant été Jean Paul Sartre avec la
Nausée non je //sais
036 J : //non mais ce n’est pas Eugène Dabite que je met en cause
037 T : je sais très bien que dans une certaine intelligentsia de gauche quand on, quand on la le malheur de s’intéresser, de se sentir solidaire du peuple contre la grande bourgeoisie mais qu’on ne le fait pas avec le langage traditionnel de la gauche on est catalogué populiste, c’est une façon de nous néantiser bon je je récuse cette
038 J : je vais vous je vais vous //répondre là dessus
039 F : //bon d’accord Jacques Juillard
040 J : sur deux points d’abord moi aussi je réponds à Alain Finkielkraut à propos de la corruption, à propos de la corruption euh peut-on dire que la corruption est en hausse d’une certaine manière oui, d’abord parce que c’est un thème que je développe dans mon livre euh. En décentralisant le pouvoir on a décentralisé la corruption donc on l’a multipliée d’une certaine manière et il suffit de penser à certaines régions où chaque station de chemin de fer du fameux PLM de jadis représente une sorte de d’étape, d’étape kilométrique de la corruption alors c’est devenu quelque chose qui s’apparente à une mafia et il faut bien il faut bien en avoir conscience cela dit il me semble ce qu’il y a de plus grave aujourd’hui c’est peut-être moins cette corruption que je crois en hausse des élites ou des milieux administratifs les plus divers que la complicité entre les honnêtes gens et les coquins, parce que je vais prendre un exemple que la aussi j’ai développé c’est celui de Crédit Lyonnais. Que s’est-il passé ou ne peut pas dire que ce soit un complot de brigands, ça n’est pas vrai les, les représentants de l’Etat qui étaient chargé de contrôler les dirigeants du Crédit Lyonnais, en l’occurrence M. Abrère à l’époque, n’étaient pas des coquins d’ailleurs M. Abrère n’est nullement un coquin mais lorsque M. Habrère a été pris faut bien le dire d’une certaine folie des grandeurs et a fait des opérations de plus en plus risquées, de plus en plus hasardeuses et bien euh personne n’a, personne n’a rempli son rôle, personne n’a tiré la sonnette d’alarme, ces gens savent lire au rapport en Conseil d’administration aucun n’a réagi et lorsque tout de même la la les pertes du Crédit Lyonnais sont devenues telles qu’elles étaient insupportables songez qu’elles font la moitié du budget annuel de l’Education Nationale à l’heure actuelle. Et bien qu’est-ce qu’on a fait le problème n’a pas été de savoir où étaient les responsabilités et qui il fallait tout de même sanctionner c’était de recaser M. Habrère ça veut dire que là ce que je disais tout à l’heure sur le fonctionnement des élites en castes là on a une illustration éclatante mais je pourrais en donner des dizaines d’autres vous n’avez qu’à lire le journal pratiquement tous les matins, alors là-dessus je ne crois pas qu’il y ait tellement de difficultés ou là avec avec M. Tilinac la difficulté vient à partir du moment où l’on parle de, de cette, de ce constat on dresse un bilan que moi j’appelle populiste qui consiste à dire d’une certaine manière tous pourris,
//parce que
041 T : //non non non je n’ai pas dit ça j’ai dit que c’est //ainsi que
042 J : //enfin
043 F : le peuple le vit
044 T : l’opinion //a tendance à le percevoir
045 J : //oui mais je ne vous ai pas, je ne vous ai pas vu combattre cette idée. Or je crois que c’est une idée très dangereuse. Pourquoi parce que d’abord elle ne correspond pas à la vérité, je peux dire pourquoi tout en constatant cette corruption des élites je dis que ça n’est qu’un petit aspect, du mal français à l’heure actuelle je dis même que les milieux populaires ont leur part de responsabilité et de toute marnière, alors là ça nous divise peut-être je ne sais pas mais en tout cas moi ma conviction c’est que ce thème que j’appelle populiste, c’est à dire les élites tous pourris est un thème qui n’a jamais profité qu’à l’extrême droite, moi je vous met au défi de me montrer un exemple ou ce thème de la corruption généralisée et de la responsabilité exclusive j’insiste bien sur le mot exclusif des élites, aboutisse à je dirais à une réforme je ne dis pas de gauche parce que ce n’est pas votre votre paroisse mais je dirais à, à, à une vision novatrice chaque fois qu’on dit ça et bien il y en a un qui se frotte les mains c’est M. Le Pen subsidiairement M. Devilliers c’est à dire, qui d’ailleurs on fait de la critique de l’établissement une sorte de fond de commerce. Alors c’est là que je dis que employé de manière indifférenciée euh à tort et à travers le thème de la corruption des élites est de nature populiste et et agit en fonction des intérêts des populistes de l’extrême droite voilà
046 F : Denis Tilinac
047 T : d’abord ma paroisse c’est pas la droite ou la gauche c’est c’est la France comme
citoyen //c’est l’humanité comme catholique c’est de droite ou quelque chose,
048 J : //oui mais on peut tous dire ça simplifions, simplifions
049 T : je ne sais plus ce que c’est de droite ou de gauche je sais ce que c’était quand j’avais 20 ans et que Brejnev plantait des drapeaux rouges sang un peu de partout dans la planète, là je me sentais le droite comme il n’y a plus
//d’union soviétique je n’ai plus la raison d’être de droite
050 F : //mais disons que sans tous vous ne vous sentez pas de droite //de manière positive
051 T : //non attendez
052 F : mais vous ne vous sentez pas vraiment de gauche non plus, disons que la gauche vous énerve
053 T : enfin oui c’est plutôt de l’ordre //enfin, ça on en reparlera /je voudrais /répondre
054 F : //voilà /oui /allez-y allez-y
055 T : tout de suite à la question de M. Juillard deux exemples concrets. Euh 1848 il me semble que si on relit Balzac et quelques écrivains de la, de la monarchie de Juillet on se rend compte qu’on avait des élites qui ressemblaient beaucoup à celle d’aujourd’hui ça a donné la 2è République c’était pas si mal je me sens à la place aussi fait solidaire de ceux qui ont foutu Louis-Philippe dehors, première réponse. /Deuxième réponse vous dites
056 J : /oui
057 T : il n’y a pas d’exemples vous avez un exemple 1958. Alors Poujade en 56, il avait le diagnostic le diagnostic état très bon ce qui était absurde ridicule c’était ses réponses à lui ses, ses //remèdes
058 F : //le poisson pourri par la classe
059 T : voilà grâce au ciel il a été chassé dans les poubelles de l’histoire, comme le dit Lénine et ben le général de Gaulle est revenu au pouvoir et a sauté la République il a refondé un système de valeurs qui a permis au pays de tenir pendant une bonne, une bonne vingtaine d’années //voilà ma réponse
060 F : //alors là je voudrais, je voudrais intervenir dans, dans ce
//[inaudible]
061 T : //et dernière réponse oui je m’excuse //je reprend les assertions donc de M. les
062 F : //allez-y allez-y
063 T : assertions qui concernent Abrère d’accord à ce-ci prés qu’il fut major de l’ENA, directeur du trésor, la gabegie qu’il a généré au Crédit Lyonnais mériterait de poser qu’on se pose la question de la formation de nos hauts fonctionnaires
064 F : //bien
065 J : //vous dites la même chose que moi
066 F : oui alors justement
067 T : moi je ne suis pas d’accord faut supprimer l’ENA ou la réformer /profondément
068 F : /alors
069 J : là c’est pas la //même chose
070 T : //faut supprimer les grandes écoles, /faut casser
071 F : /ou là
072 T : les //grands corps
073 J : //quand vous dites vous supprimez l’ENA vous //supprimez là vous êtes
074 T : //alors on m’en parlait
075 J : véritablement dans la démagogie, lorsque vous dites il faut les réformer de manière rigoureuse je crois que vous êtes dans la réforme, mais enfin on peut y revenir
076 F : oui mais enfin est-ce que, alors il faudra absolument y revenir un dernier mot quand même sur ce problème de la corruption d’ailleurs vous en parlez dans votre livre Jacques Juillard il y a des phénomènes terrifiants comme le Crédit Lyonnais mais il y a eu aussi d’autres choses tout de même il y a eu la mise en examen de Gérard Longuet hein et la presse a accordé à cette mise en examen pour cette histoire de travaux dans cette villa une importance énorme et la jurisprudence de Balladur a fait qu’il a dû démissionner du gouvernement; il a obtenu un non-lieu il y a eu l’affaire Juppé c’est à dire ce logement, rue Jacob voilà un premier ministre qui occupe un appartement rue Jacob qu’il paye quand même 15000F c’est un appartement de la ville de Paris mais il y va de sa poche et ces appartements de la ville de Paris on sait qu’ils sont distribués à des journalistes de toutes tendances et même à des députés communistes. Or il a été très embêté là dessus et ce, et ça a nourri le discours sur la corruption des hommes politiques et il y a eu aussi bien le Canard enchaîné que le Monde qui se sont un peu euh si vous voulez qui ont critiqué l’attitude de Juppé à ce moment là et puis j’ai l’impression aussi que c’est un problème plus général regardez sur quoi est tombé Vaclav Klaus en République //de Bohème en Tcheki
077 J : //en Tcheki
078 F : il y a un problème politique en Tcheki c’est à dire qu’il y a une gauche social-démocrate et puis la droite libérale il est pas tombé politiquement il est il est tombé pour une affaire de financement des partis politiques et on assiste si vous voulez avec ce thème de la corruption à une dépolitisation de la politique, à un niveau mondial comme si au fond la politique était vouée à la gestion des contraintes, à la gestion des conséquences dans un monde qui lui échappe et bien euh on ne pouvait plus que décerner des prix de vertu aux hommes politiques classer les politiques en fonction de la vertu supposée ou des vices qu’il qu’il pourrait avoir des pêchés qu’il pourrait commettre et est-ce est-ce que c’est un thème qu’il ne faudrait pas lui même critiquer aujourd’hui Jacques Juillard
079 J : j’ai, je trouve que votre question est éclairante parce que euh et les comparaisons que vous avez faite sont tout à fait excellente lorsque vous avez parlé aussi bien de M. Klaus en République tchèque que d’Alain Juppé. Je disais tout à l’heure il faut sans faiblesse, critiquer, dénoncer la corruption ou les faiblesses ou le copinage encore plus le copinage des élites et en même temps et c’est là que je me retournais vers M. Tilinac et je lui disais si on s’en tient à ce texte, si on, si on donne dans cette dénonciation que j’appelle populiste si vous voulez, des élites alors on joue un jeu très dangereux je vais prendre, je vais reprendre un exemple que vous avez pris moi je suis de ceux qui on dit sans insister énormément d’ailleurs mais qui on dit que euh l’attitude d’Alain Juppé dans cette affaire d’appartement n’était pas convenable, bon et une fois qu’on a dit ça s’en tenir à ça alors en effet c’est faire de la politique de délation et il y a aujourd’hui dans notre démocratie où il n’y a plus d’idées, où il n’y a plus d’idéal si vous permettez ce grand mot un peu ronflant il y a une tentation chez les politiques, chez les journalistes, chez les intellectuels d’une espèce de politique de la délation de, de, l’envie de la jalousie, de de la mise au pilori, non seulement qui me dégoûte personnellement mais je crois extrêmement dangereux
080 F : oui c’est vrai que le Canard enchaîné ne doit pas être l’horizon de la démocratie
081 J : non et le Canard enchaîné n’est pas le pire dans cette affaire, bon. Il y a donc il y a donc cette première chose et puis il y a ensuite la politique et je crois qu’il faut toujours passer la politique, euh, je dirais que après avoir critiqué Alain Juppé sur son appartement j’ai à, en me faisant très critiquer à gauche, approuvé le plan Juppé sur la Sécurité Sociale pourquoi parce que si on n’arrive pas à passer du plan précisément de cette politique au ras des pâquerettes à comment dire, une définition des grands objectifs de la société en l’occurrence voulons-nous défendre ou pas le système français de sécurité sociale, alors effectivement alors je crois qu’on est dans une spirale descendante extrêmement dangereuse et moi je sais que cela ne sera jamais la mienne
082 F : Denis Tilinac
083 T : oui il est bien évident que, j’éprouve pas une volupté particulière à défendre Longuet ou Léotard, un peu plus Juppé ou Xavière et Jean Tibéri c’est évident que ce sont des boucs émissaires euh pourquoi des choses insignifiantes pour ce qui concerne Juppé, je dirais simplement mal à droite plutôt qu’inconvenante font, font-elles l’objet je veux dire affectivement d’une telle, d’une telle délation comme ça, un peu basse //je suis
084 J : //mais
085 T : d’accord avec Jacques pourquoi parce que, parce que les élites dans leur ensemble et ça arrive à plusieurs moments ça arrive à plusieurs moments dans l’histoire de France nos élites dans leur ensemble ne sont plus respectées. Alors comme des élites sont plus respectées vous avez raison il s’agit pas de les clouer au piloris et il ne s’agit pas de de de prôner je ne sais quelle table rase euh démagogique, il s’agit de se demander pourquoi et puis de les changer en proposant effectivement euh, vous dites un idéal, oui, un certain nombre de principes politiques refondateurs, à partir desquels on peut rebâtir reformer l’état re régénérez la vie intellectuelle pour qu’elle suscite de l’utopie politique, on peut pas vivre sans utopie on en a plus depuis la fin du Communisme on a pas fini d’en payer les conséquences morales les peuples de la terre
et //les gens pauvres de
086 F : //vous voyez qu’on a besoin d’utopie //est-ce qu’on a pas besoin juste au
087 T : //bien entendu
088 F : contraire //simplement de direction,
089 T : //bien entendu
090 T : non parce que /l’homme l’homme animal politique est un être à la fois de raison
091 F : /pourquoi utopie
092 T : et de passion il a besoin de directives et effectivement d’élites de, de responsables, il a besoin d’utopie, il a besoin d’horizon, il a besoin d’étoiles dans
le ciel //il a besoin de il a besoin de croire
093 J : //est-ce qu’on peut est-ce qu’on peut interrompre monsieur
094 F : allez-y
095 J : sur l’utopie /moi je trouve que vous avez eu tort et raison ou plutôt raison et tort
096 T : /oui
097 J : vous avez raison que la politique ne peut jamais et c’est d’ailleurs une partie de ce que l’on reproche à une bonne partie de la classe dirigeante ne peut jamais se définir en terme exclusif de possibilités immédiates, si on dit, si on, on montre les contraintes à tel point que ce soient des obstacles insurmontables, alors en effet on fait le pire des possibilismes; c’est-à-dire on se prive de toute volonté de changer les choses en profondeur. En revanche je ne pense pas après ce qu’il a dit il y a un instant que Denis Tilinac me contredira sur ce point, l’utopie est en même temps la chose la plus meurtrière qui existe en politique, vous disiez, vous parliez tout à l’heure de des pays de l’Est euh euh du communisme stalinien précisément, c’est sur des utopies que on a
098 F : oui c’est-à-dire, on est pas forcément //on est pas condamné, on est pas condamné à
099 J : //des politiques
100 F : l’alternative //si la gestion des contraintes et de l’utopie tout est possible
101 J : //voilà alors moi
102 J : et là dessus c’est pas pour nous opposer //c’est plutôt pour faire avancer la discussion
103 T : //oui je comprends bien et l’évasion dans le ciel
104 J : je dirais, je dirais que, quelqu’un que j’ai beaucoup lu et que j’admire d’ailleurs Georges Sorel il opposait aux utopies qui, qui dès son époque, il considérait comme meurtrières c’est-à-dire avant 1914 n’est-ce pas, il disait les utopies sont meurtrières. Il opposait ce qu’il appelait des mythes, c’est-à-dire des espèces d’idées génératrices d’action. /Or l’idée
105 F : /hm hm
106 J : de progrès en est une, l’idée de justice sociale en est une, à condition chaque fois de lui donner un contenu mais je crois que c’est très important de, de considérer que la politique désormais a besoin d’être rechargée, que les accus ont besoin d’être rechargés et en même temps de ne pas substituer à la volonté du peuple, la volonté des utopistes
107 F : Alors peut-être justement discuter de ces idées, quelles sont les idées qui peuvent
recharger //les accus aujourd’hui
108 T : //je crois qu’on rentre un petit peu dans le coeur du débat, effectivement je crois que le fond du problème c’est que, de, de par l’implosion euh du système soviétique et la fin de l’illusion marxiste, l’illusion christique d’un paradis sur terre qui était qui fut meurtrière et qui était intrinsèquement absurde, sinon intrinsèquement perverse vous voyez à quoi je fais attention et ben pour le il n’y a plus d’autres horizons euh mental pour pour les habitants, de cette planète pour les citoyens de cette planète que de subir la loi de la jungle du capitalisme international, de dire sans freins illimités que la, la classe dirigeante gauche et droite confondue lui vend sous cette espèce de mot nier mais qui est comme ce paravent de toutes les lâchetés la mondialisation faire quelque chose pour nous M. le député vous pouvez le ministre non je ne peux rien les contraintes de la mondialisation, bon et ben les gens en France et ailleurs vous parliez de ce qui se passe en bohème et le phénomène est international la récusation du politique, la perte de confiance des citoyens en leurs dirigeants partout, elle vient du fait que les gens ont l’impression qu’il n’y a aucune, il n’y a aucune autre perspective que de subir ce qui leur est présenté comme une vérité incontournable et c’est là que j’en viens à la, au concept qui me semble moteur dans la pensée et puis même peut-être l’engagement au sens noble du terme de Jacques Juillard, c’est le concept de progrès il a effectivement je dirais, structuré les consciences occidentales pendant 2 siècles en gros. Et ben je crois que c’est fini là je suis un peu un disciple d’Elule je crois, je crois que le progrès, à l’idée de progrès a comme un robinet comme ça qui s’étrangle a délivrer ses dernières gouttes, que les gens n’y croient plus, parce que le progrès c’est le saccage écologique de la planète le progrès c’est une minorité de plus en plus restreinte de rapaces qui sont en train d’asservir et d’abrutir une majorité, d’abrutir économiquement, physiquement
109 F : c’est ultra-gauche là on dirait //un peu Viviane Forrester vos propos (Face B),
110 T : //[rire]médiatiquement une majeure
111 F : au tour de cette idée de progrès, cette idée est en crise, est-ce que on peut, est-ce qu’il faut la relancer en quelque sorte la soigner ou est-ce qu’il faut trouver un autre idée autour de laquelle organiser la communication des élites et du peuple
112 J : alors il y a 2, il y a 2 manières de voir les progrès ou bien c’est en effet cette marche triomphale de l’humanité vers des lendemain qui
chantent
113 T : prométhéenne
114 J : voilà prométhéenne et //et en même temps eschatologique
115 T : //la science, la raison
116 T : eschatologique //ouais
117 F : //oui
118 J : bon cette idée j’ai dit qu’elle était meurtrière et là dessus nous sommes pas en désaccord loin de là. Et j’ai dit que effectivement le grand idéal du 19ème siècles ne peut plus être celui du 21ème siècles parce que entre les deux, s’excuser la tautologie il y a eu le 20ème siècles qui nous a appris qu’un pays qui était fondé sur la science enfin qui était aux avant-gardes de la science comme l’Allemagne, a pu donner le Nazisme bien donc là dessus tout à fait d’accord. En revanche je crois que, la politique implique une certaine idée sinon du progrès, je trouve un autre mot, enfin de l’amélioration si vous voulez des conditions matérielles; mais je voudrais si vous le permettez dire un mot à propos de la mondialisation parce que je trouve que les choses ne sont pas si simples que vous le dites Denis Tilinac. Bien sûr que la mondialisation c’est tout ce que vous dites, c’est, une concurrence notamment pour les travailleurs non qualifiés en France c’est cela, mais premièrement n’en faisons pas un bouc-émissaire et surtout une sorte d’épouvantail à moineaux ou en tout cas un épouvantail à l’ensemble de la population. La mondialisation est d’après les économistes que j’ai consulté de toutes tendances elle est responsable de 3% du chômage français et je dirais que sans la mondialisation nous aurions un chômage
supplémentaire //[inaudible]
119 F : //alors attendez, une petite question Jacques Juillard /quand même,
120 J : /oui
121 F : sur la mondialisation sur la mondialisation d’ailleurs elle peut s’adresser à tous
les deux /enfin oui non //toute petite parenthèse ce qui vient de se passer au tour
122 J : /oui je vous//allez-y
123 F : de l’implantation d’une usine Toyota en France il y a quelques années
//les français tenaient beaucoup à l’indépendance de leur système
124 J : //absolument absolument
125 F : productif /et on montrait du doigt Tatcher qui vendait l’Angleterre aux
126 J : /oui
127 F : Japonais /aujourd’hui le Japon s’installe les pauvres gens du valenciennois pleurent
128 J : /ouais
129 F : de joie mais il y a quelque chose de pathétique dans cette, dans ces bouteilles de champagne et puis le gouvernement socialiste si vous voulez devient l’agent publicitaire de Toyota qui ainsi peut pénétrer sur le marché français avec le soutien de toute la classe //politique, mais
130 J : //oui
131 F : surtout d’une gauche vraiment donc qu’on attendait pas dans ce rôle communicationnel là, alors ça c’est une des conséquences d’une mondialisation un peu
folle //ou peut-être je sais pas
132 J : //euh moi moi je dis quel de chemin parcouru, il y a un certain temps lorsqu’une usine étrangère s’installait en France on criait à l’invasion. On disait que les multinationales étaient partout n’est-ce pas j’entendais ça à l’extrême gauche, j’entendais ça à l’extrême droite et aujourd’hui tout le monde pleure de joie à l’idée que nous allons accueillir un concurrent directe de Renault et de Peugeot, il faut quand même appeler
les choses par leur //nom
133 F : //accueillir et subventionner partiellement
134 J : et on et les subventionne, alors je me réjouis que cela fasse des emplois dans le Valenciennois je crains que cela fasse du chômage dans la région de Sochaux, hein, il faut ce il faut quand même quand même se poser la question au delà. Je ne pense pas, je ne vais pas dire la contrainte, la contrainte. Je dis simplement que la mondialisation elle est, elle est de toutes les époques et je crois que depuis que le capitalisme existe, il a tendance à élargir son marché c’est, c’est le B-A-B-A d’Adam Smith l’élargissement du marché est constitutif d’un, d’un espace et même d’un espace politique, c’est ça le fondement même de l’économie politique libérale bien. Moi je ne suis pas hostile à cela euh il y a quelques années j’entendais aussi dire les tiers-mondistes euh, les plus patentés me dire ’mais l’aide au tiers-monde ça sert à rien ce qu’il faut faire pour eux c’est les aider à accéder au marché mondial’, l’idée est très juste. Et lorsque le tiers monde accède au marché mondial on entend ce discours anti-tiers-mondiste ah pardon anti-mondialiste qui me choque profondément, /que je, quand on me dit que cela fait des problèmes pour les ouvrières
135 F : /hm hm
136 J : du textile je dis d’accord, quand on me dit que cela fait du mal à la France je dis c’est pas sûr du tout, mais quand on me dit que c’est un terme réactionnaire je dis où allons nous, est-ce que la France est Lénine ou est-ce que c’est méline faudrait quand même savoir
137 F : [rire] alors Denis Tilinac /sur cette mondialisation et puis nous reparlerons du progrès
138 T : /oui
139 F : et de la formation des élites
140 T : j’ai l’impression que Jacques Juillard est obsédé par le fait de, quand il développe des arguments que ça soit surtout pas d’extrême gauche ou d’extrême
droite //je crois je me fiche de savoir si ça peut être perçu comme tel ou tel
141 J : //non non je ne pense pas
142 T : et je me souviens de la formule de Paul Valéry : ’le monde vaut par les extrêmes et dure par les moyens’ //alors alors on a sûrement besoin des deux, vous avez
143 J : //oui c’est une formule qui
144 T : raison quand je parle de la mondialisation le, le, son impact sur le chômage en France est reste marginal vous avez raison c’est pas, mais la mondialisation c’est quand même, elle est quand même responsable de quelques choses comme 250 millions d’enfants au travail à peu près autant de prosti prostituées sur la surface de la terre, à un saccage écologique de la planète qui semble commencer à alerter quand même, la plupart il y a il y a pensons à
la réunion de Kyoto de nos gouvernances //et c’est récent
145 J : //quoi vous vous associez à l’industrialisation
//des pays du tiers-monde
146 T : //absolument je suis, je suis, bien sûr pour qu’ils pour qu’ils vivent l’enfer du
prolétariat //occidental tel qu’on l’a connu en //occident
147 J : //non mais //quoi vous préférez le Mozambique à la Corée du sud
148 T : je préfère de, je, je, non
149 J : faudrait savoir
150 T : //non non non
151 F : //est-ce que vous pensez qu’on est réduit à ce choix ↑
152 T : on n’est pas //réduit à //on est pas réduit à ce choix du tout
153 J : //oui mais //écoutez
154 J : ah mais si vous avez inventé une 3ème voie //moi j’en serai ravi
155 T : //on est pas réduit à ce choix. En définitive le capitalisme c’est les le libéralisme que vous invoquez vous êtes un libéral ça
consiste à dire bon à marcher, on laisse les hommes librement
fabriquer //la camelote de la marche de la marchandise et puis comme ça c’est, finalement,
156 J : //moi je suis pas un libéral
157 T : l’un dans l’autre ça génère un espace d’équilibre Adam Smith pensait ça moi je ne le pense pas ça génère ça génère un regain d’équilibre sur le dos de l’humanité, je ne dis pas qu’il faille pas une dose de libéralisme à l’intérieur d’un espace économique donné pour que, qu’on puisse produire le meilleur marché le plus de bien à condition qu’un, qu’un pouvoir de référence politique dise d’abord qu’elle est où est le bien et le mal, définisse
des normes le //(...)
158 J : //on prend le bien ou le mal, excusez-moi lorsque
les //politiques lorsque les //politiques définissent le bien et la mal
159 F : //des normes politiques/
160 T : //non non il n’y a pas de normes politiques Alain Finkielkraut s’il n’y a pas des référents moraux, vous le savez bien
161 F : non mais justement il y a un référent //moral
162 T : //y a pas d’autres normes //politiques à la
163 F : //il y a un terme
164 T : conservation de leur pouvoir s’il n’y a pas //quelques choses au dessus d’eux
165 F : //non peut-être peut-il peut-être peut-il y avoir une une référence à laquelle nous avons fait allusion /sans la nommer,
166 T : /[inaudible]
167 F : un mot simplement puisque vous avez parlé de l’utopie mais ce qui est gênant dans l’utopie c’est qu’on a l’impression que c’est justement le progrès à son paroxysme et ça me et ça me rappelle ce thème si beau de Hans Yonas qui dit : ’aujourd’hui il faudrait pouvoir renverser le traditionnel enthousiasme pour l’utopie, en enthousiasme pour la modération et peut-être que c’est ça aussi un objectif comment modérer est-ce que la modération qui n’est pas une valeur moderne devient une nécessité post-moderne et, et on voit que très peu d’hommes politiques sont capables précisément de penser l’avenir dans les termes de la modération et notamment de l’avenir du tiers-monde et peut-être que ça serait ça un objectif politique
168 T : //je crois pas
169 J : //je peux pas expliquer //non mais
170 T : j’avais pas tout à fait fini mon //raisonnement je n’avais pas //tout à fait fini mon
171 F : //allez-y
172 T : raisonnement le, le, si vous voulez ce qui me paraît catastrophique et de voir amener pratiquement la fin de l’histoire humaine telle quelle s’est initiée il y a quelques 20,000 ans avant JC c’est de livrer l’humanité entière à à à un marché à un marché conçu comme une organisation politique en soi, je veux bien qu’il soit un mode de production supérieure à toute forme de collectivisme, je ne veux pas, je ne veux pas que l’humanité soit privée de, de, de, la possibilité d’invoquer des valeurs autre que cette espèce /de mystique
173 J : /évidemment
174 T : du quantitatif parce que vous ne demandiez est-ce que je suis contre l’industrialisation, oui la forme d’industrialisation que l’humanité a adopté en occident à partir de la fin du 18ème siècles bien sûr que je suis contre, vous avez vu les dégâts vous savez ce qui était un ouvrier à Manchester ou à Roubaix au siècle dernier même //au début du notre s’ils peuvent
175 J : //vous voulez
176 T : éviter ça vous voulez leur infliger ça //au Mozambique ou à la Corée
177 F : //alors Jacques Juillard Jacques Juillard Jacques Juillard
178 J : moi je pense que la l’industrie et la bourgeoisie ont été des éléments révolutionnaires de la planète //et que
179 F : //là vous êtes marxiste
180 J : oui bien sûr, de nos sociétés, et que avoir comme l’implique votre position, une nostalgie //d’un monde préindus//triel
181 T : //aucune //non pas du tout
182 J : ah écoutez //laissez-moi
183 F : //attendez laissez finir //Juillard
184 J : //vous dites vous êtes contre l’industrialisation moi je dis que avec le bien et le mal qu’elle a charrié l’industrialisation a été je dis pas un progrès, a été un //évolution
185 F : //vous ne diriez pas que dans certains pays du Tiers-Monde c’est aujourd’hui déjà une catastrophe la forme qu’elle prend ces mégalopoles des 22, //23 millions d’habitants
186 J : //bien sûr que si bien sûr
187 F : la dispersion de l’agriculture par exemple
188 J : qui si bien sûr
189 J : bien sûr mais encore une fois la solution n’est pas dans un retour à un monde rural préindustriel précapitaliste il est dans l’aménagement du capitalisme alors euh, donc je trouve que excusez-moi, sur ce plan dire que je suis contre l’industrialisation c’est pas très sérieux en //revanche, en revanche
190 T : //j’ai pas dit
191 J : bon ben si vous ne l’avez pas dit tant mieux, en revanche, quand vous dites il faut une régulation, politique, des phénomènes économiques c’est pas un socialiste comme moi qui je dirais le contraire
192 T : oui mais les socialistes français ont accepté ce marché //mondial (?)
193 J : //écoutez oui mais bien sûr
194 T : //ils disent que c’est incontournable (?) c’est pour ça que les gens votent Le Pen
195 J : //qu’on a accepté attendez attendez je dis je dis que le problème c’est pas le problème
196 T : //ils voient bien quand les choses aucune différence aucune
197 J : //n’est pas l’acceptation, mais Le Pen n’a pas refusé, même Le Pen n’a pas refusé
198 F : Le Pen Le Pen au contraire il est très libéral
199T : //de tout façon je ne représente pas M. Le Pen ici
200 J : //je dis que le problème n’est pas, le problème n’est pas, d’accepter ou de refuser l’industrialisation /ou le marché bon il est de savoir ce que l’on fait dans une
201 F : /ou le marché
202 J : société de marché. Bon, je ne connais pas actuellement d’alternative au marché
203 T : moi je dirais alors
204 J : alors attendez non, non, non
205 F : Jacques Juillard
206 J : à partir de là, que disent les socialistes que dit aussi Adam Smith et c’est ça qui est amusant, c’est qu’Adam Smith fait exactement la même chose c’est que le l’univers économique est une exception, et que lorsque les autres sphères, la sphère politique, la sphère morale, la sphère religieuse, la sphère artistique sont dominées par les critères du marché alors on est dans la régression on est dans une menace des barbaries, on oublie toujours que les grands libéraux du 18ème on dit ces choses là
207 F : et c’est l’homme et c’est c’est les libéraux //étaient obsédés par les limites
208 J : //absolument absolument
209 F : et il y a des murs il y a des //murs dans les sociétés libérales
210 J : //mais et ils ont tous et alors, et alors le problème est de savoir comment le seul problème sérieux, c’est de savoir comment on peut maîtriser les lois du marché à l’heure actuelle et comment euh un état, comment et je dirais plus qu’un état, une collectivité est capable de, enfin de faire du marché son instrument au lieu d’être, son son esclave ou son serviteur
211 F : alors est-ce est-ce que //vous seriez d’accord là dessus Denis Tilinac
212 T : //ce que voulais dire Jacques Juillard concernant les autres sphères nous rapprochent, nous rapprochent un un peu c’est, c’est effectivement ce que je veux dire, mais à l’époque d’Adam Smith la sphère politique, la sphère religieuse, la sphère mentale, la sphère esthétique qui, qui, qui sont liées c’est pour la commodité
de de //étaient moins étaient étaient moins dominées par la sphère
213 J : //étaient moins cachées qu’aujourd’hui
214 T : économique /tandis que maintenant la sphère économique non seulement elle est
215 J : /absolument
216 T : dominante mais elle comme Elule l’a très bien montré avec cette espèce de credo en la technique et puis l’innovation qu’on subit qui se fait par elle-même, elle, elle sécrète elle-même ses propres valeurs, alors ce qui nous sépare alors je crois que c’est très clair Jacques Juillard l’a dit tout à l’heure moi je souhaite un aménagement du Capitalisme moi je crois que, je crois que le 19ème siècle a avait conçu sur des bases chrétiennes dévoyé une mauvaise sortie du capitalisme ça a été le Socialisme qui a cumulé les inconvénients du Capitalisme et qui en a généré des particuliers ça a donné le Marxisme, Léninisme je crois qu’au 21ème siècle il faut et quand je parlais d’utopie que peu à peu patiemment, pacifiquement, on invente une sortie du capitalisme et elle ne peut être faite qu’à l’échelle planétaire puisque ça y est maintenant l’unité de la nature humaine est, est acquise
et si, si, ça ça in//combe
217 J : //je vous félicite de vous entendre parler //d’une chaîne planétaire
218 F : //Jacques Juillard
219 J : alors //qu’il y a 5 minutes vous dénonciez /à la mondialisation /en réalité
220 T : //mais /oui oui
221 F : /à la mondialisation
222 J : non mais /c’est pas pour le plaisir de vous mettre en //contradiction
223 F : /tout à fait Jacques Juillard
224 T : //oui confondons pas
225 J : excusez-moi c’est pas du tout pour le plaisir de vous mettre en contradiction, je veux dire que l’issue aux catastrophes actuelles n’est pas dans un retour en arrière, elle est que la politique prenne des instruments à la même échelle que l’économie voilà
226 F : oui mais alors quand même un petit mot, un petit mot sur,
227 T : sous sous réserve que du sens ait été
retrouvé //par l’humanité entre-temps le politique sans sens, ça n’est le politique
228 F : //alors du sens alors du sens alors
229 T : ne pense qu’à garder son pouvoir. En soi c’est aussi //mécanique c’est aussi
230 F : //non non
231 T : mécanique qu’un faiseur de frites
232 F : je ne suis pas alors là justement je pense que vous allez trop loin, je ne suis pas sûr que les politiques ne pensent qu’à garder leur pouvoir je pense simplement
que
233 T : votre candeur me
234 F : non non ce n’est pas de //la candeur ce n’est pas de la candeur parce que
235 T : //me fait plaisir Alain Finkielkraut
236 F : je pense que ma critique est peut-être plus radicale que la votre à partir de ce que vous considérez comme ma candeur, vous avez l’un et l’autre dit que on ne pouvait pas garder intacte l’idée de progrès telle qu’elle a pu s’épanouir au 19ème siècles. Or qu’est-ce qu’on constate avec l’arrivée dans le 21ème on voit l’émergence à droite à gauche et dans une grande partie de la presse d’un fétichisme technique inimaginable. Tous les hebdomadaires aujourd’hui nous racontent les joies incroyables du multimédia. Et nous nous disent que de toute façon si nous n’avons pas notre ordi, c’est pas notre ordinateur notre ordi, nous sommes ringards nous sommes nuls Claude Allègre a décidé que l’amélioration de l’école passait par l’installation des ordinateurs que les enfants devant les écrans et bien euh, résoudraient, réussiraient à apprendre alors qu’ils ne le peuvent pas devant les professeurs on, on je vois des articles titres ’l’ordinateur prof’ etc. et je suis sidéré précisément par le fétichisme technique dans lequel nous vivons avec lequel nous quittons ce 20ème siècles comme s’il n’avait servi à rien et je constate tout de même que là toutes les élites encore une fois, gauche, droite et médiatique confondues disons, communient dans cette incroyable célébration fétichiste. Alors qu’est-ce que vous en pensez Jacques Juillard
237 J : écoutez là aussi il s’agit de, y a pas de il ne faut pas diaboliser les objets il faut pas diaboliser la technique, il ne faut pas non plus la diviniser, /la diaboliser ou ça a
238 F : /oui
239 J : commencé avec l’imprimerie, ça a continué avec avec la radio, le cinéma, la télévision etc. Autrement dit les objets, les objets sont, sont relativement neutre c’est l’usage qui en est fait. Et il en est fait un usage totalitaire aujourd’hui et c’est ça qui est moi je, moi qui n’utilise pas le Net et qui suis pas très moderne dans mes moyens de, de, de d’expression de ou d’écriture hein qui suis resté à des normes très anciennes je ne crains pas cela. En revanche je crains beaucoup lorsque l’on me donne comme un idéal ce qui n’est qu’un moyen. Alors qu’est-ce que c’est que l’idéal moi je pense toujours au mot de Bernanos parce que euh il m’avait beaucoup frappé qui dit que l’idéal beaucoup de gens, il l’écrit dans un article au lendemain de la guerre ’beaucoup de gens m’ont écrit pour me demander un idéal’ c’est un article que nous ne tenons pas ici, moi je me méfie beaucoup comme je me méfie des utopies je me méfie des idéals, des idéaux pardon distribués par les politiques, en revanche je souhaite que la société soit en état de se donner un sens des idéaux ou des objectifs et ça cela suppose en effet moi c’est ce que je dis à la fin de mon livre trop rapidement probablement mais un nouveau partage du pouvoir entre ce qu’on appelle les élites et ce qu’on appelle le peuple. Autrement dit la solution elle est pas dans l’invention d’une 3ème voie ça j’y crois pas elle est pas l’invention d’un nouvel idéal par je ne sais quel penseur elle est dans la capacité de la démocratie de passer d’une démocratie gouvernée à une démocratie plus gouvernante, c’est-à-dire d’un partage du pouvoir différent
240 F : bien alors votre idéal une fois que, une fois que je pense que vous serez d’accord sur l’idée que ce n’est pas la technique qui fournit le sens et donc qu’il ne peut pas tabler comme cela sur le multimédia mais
241 T : le sens d’abord le sens ne //se décrète pas le sens ne se décrète pas, le sens comme ça
242 F : //Denis Tilinac
243 T : s’empare des esprits il lui faut parfois des prophètes parfois malheureusement des, des catastrophes je pense que la technique fut longtemps un outil comme Jacques Elulle je pense et contrairement à Jacques Juillard je pense qu’elle n’est plus neutre puisqu’elle est elle-même elle est devenue elle-même un système de valeurs autour de cette espèce de concept d’innovation ou de modernité qui valorise dans l’ordre qualitatif un espèce de plus qui n’est que quantitatif, aller à New York en 3 heures au lieu de 7 c’est c’est considéré comme mieux Ben c’est pas mieux je préfère passer 7 heures à New York avec Claudia Schiffer à mes côtés que 3 heures avec un avec
un raseur //c’est
244 F : //très, très moderne //avec Claudia Schiffer
245 T : //il y a une espèce de divinisation ou il y une espèce une autre il y a une espèce de //divinisation
246 J : //l’alternative est telle qu’on ne peut que vous donner raison
247 F : je suis pas sûr
248 T : il y a une divinisation Alain Finkielkraut, il y a une divinisation du du quantitatif qui tient lieu de système de valeur, je suis d’accord avec Jacques Juillard c’est pas aux politiques à générer des valeurs, elles viendront elles viendront pas à mon avis elles viendront de la sphère religieuse
249 F : ah ben la sphère //religieuse
250 T : //je l’ose espérer
251 F : ah la sphère religieuse pour l’un, la régénération politique pour l’autre, je crois qu’on peut conclure sur ce diagnostic et sur ce désaccord. Alors je voudrais rappeler Jacques Juillard que vous avez publié un livre important chez Gallimard ’la faute aux élites’ livre à lire ainsi peut-être pour ceux que ce thème passionne, le livre que de Christopher Lash paru il y a 2 ans aux éditions climat ’la révolte des élites’,
252 J : très suggestif en effet
253 F : J’ai dit, j’ai dit euh en cours d’émission que j’aurai aimé que nous parlions de la formation des élites nous n’avons pas eu le temps, nous y avons fait simplement allusion mais j’espère que ce sera l’un des sujets de la semaine prochaine puisque l’émission aura pour titre : ’à quoi sert l’école’ et que mes deux invités seront Daniel Sannave et Alain Touraine