Chapitre 1 : Plus vite ...

« ‘La véritable mesure de la distance [est] la vitesse de déplacement des hommes’ » a encore écrit Fernand Braudel (1986, tome 1, p. 105) auquel on peut largement se référer lorsqu’il s’agit d’aborder les temps longs. Celle-ci n’a pas augmenté de manière uniforme au cours du temps, loin s’en faut. On peut, semble-t-il, distinguer au moins deux périodes bien différentes. Durant la première, rien ne bouge, entendons que l’on se déplace toujours à la même vitesse. Paul Valéry, repris par Braudel, a dressé paraît-il ce constat : « ‘Napoléon va à la même lenteur que Jules César’ ». Des siècles au pas de l’homme ou, au mieux, du cheval. Les indices sont nombreux qui attestent de cette lenteur. C’est elle, à travers l’immensité du territoire qu’elle engendre, qui explique la conservation de nos particularismes locaux et finalement, que « la France se nomme diversité », selon le titre du premier chapitre de L’identité de la France (Braudel, 1986, tome 1, p.111 et suivantes, « Le morcellement de la France s’explique enfin »). C’est finalement encore la même image qui transparaît lorsque l’on observe au cours des siècles la « formidable inertie » de l’armature urbaine (Pumain, 1989).

Maurice Daumas (1991, p. 1) attribue quant à lui à Raymond Aron cette réflexion sur les délais identiques nécessaires à Napoléon et César pour rallier Paris à Rome (dans la quatrième de ses dix-huit leçons sur la société industrielle de 1955). En revanche, il réfute la pertinence de ce parallèle et récuse l’affirmation de siècles d’immobilisme des techniques avant ce qu’il est convenu d’appeler « la révolution industrielle ». Il défend plutôt l’idée selon laquelle la charnière entre les XVIIIè et XIXè siècles marque une rupture significative du rythme d’évolution au sein de processus de très long terme (pp. 15-16 et 307). On retiendra plutôt cette représentation plus dynamique de la réalité historique.

Ce chapitre tentera de retracer brièvement les caractéristiques générales de l’histoire de la vitesse de déplacement depuis cette rupture. Il décrira d’abord l’accélération des hommes (1.1) qu’il faut entendre comme un phénomène d’augmentation des vitesses de déplacements qui n’est que l’une des multiples dimensions de la mise en mouvement de la société tout entière. L’accélération de la terre (1.2) s’attachera à rappeler quelques représentations spatiales de la croissance des vitesses.