L’espace se rétracte

La carte présentée page suivante traduit de la manière la plus simpliste le fait que la planète se trouve aujourd’hui réduite à la taille de la France d’hier. Même au départ de Lyon, qui pâtit pourtant fortement – comme les autres agglomérations françaises – de la suprématie parisienne pour ses dessertes internationales, l’autre bout du monde est accessible en moins de temps qu’il n’en fallait il y a un peu plus d’un siècle pour joindre les Champs-élysées à la Promenade des Anglais. Il convient toutefois de se méfier des mesures trop précises ou des effets faciles. On aurait pu en effet prouver avec une aisance identique que la terre d’aujourd’hui est à la taille des microbes de Pasteur ; il suffisait par exemple de représenter la vitesse de transmission des informations, et non plus celle du déplacement des hommes.

Carte : La France de 1870 et le monde de 1999
La France en train en 1870 et le monde en avion au départ de la France à la fin du vingtième siècle.
La dimension de la silhouette de la France par rapport aux isochrones a été estimée à partir des temps de parcours par chemin de fer :
- Paris-Dunkerque 7h20
- Paris-Perpignan 27h25
(Source : chiffres déjà mentionnés de Christophe STUDENY)
Les temps des trajets aériens ont été relevés au départ de Lyon sur les serveurs d’Air France et de British Airways pour la date parfaitement arbitraire du 5 Octobre 1999. Ils incluent tous une correspondance à Paris ou Londres

Pourtant, ce télescopage d’époques et d’échelles de représentation illustre bien plusieurs réalités. En premier lieu, celle des facilités de communication, même s’il faut relativiser sa précision. Puis surtout, une réalité économique et sociale que l’on peut brièvement expliciter. On remarquera en effet que 1870 correspond en France à l’achèvement des grandes lignes du réseau ferré, mais cette date marque aussi la fin de l’édification d’un espace économique national, même si celui-ci ne cessera ensuite de se modifier et de se perfectionner. à la fin du second empire, les principales structures industrielles et bancaires sont en place. Le système ferroviaire apparaît alors de manière toute particulière à la fois comme un résultat de cette évolution (pas de rails sans sidérurgie, sans fret à transporter sur de longues distances...) et comme l’un de ses éléments moteurs (que l’on se souvienne du rôle des appels de capitaux des compagnies de chemins de fer dans la formation d’un système monétaire et financier, ou encore de la stimulation essentielle qu’a constitué le développement du réseau ferré pour la production d’acier) (23).

Faut-il dès lors s’étonner de retrouver de nombreux comportements qui se coulent dans le monde d’aujourd’hui comme l’on vivait dans la France d’hier ? Des entreprises évoluent au sein d’aires de marché englobant les cinq continents exactement comme les poêles Godin se vendaient déjà aux quatre coins de l’Hexagone. Certains vacanciers élisent la Thaïlande ou les Seychelles tout comme les touristes anglais sillonnaient la Suisse ou la Côte d’Azur. Même s’il est très loin de résumer à lui seul un siècle d’évolution, le changement d’échelle est manifeste. C’est une banalité que de le constater lorsque, comme dans ces pages, on se réfère aux pratiques économiques et sociales sans analyse très détaillée. Ce phénomène imprime néanmoins fortement sa marque sur la structure des réseaux de transport.

Notes
23.

()011Ce « double effet », mentionné par Paul Bairoch (1984), est cité dans l’ouvrage collectif de l’OEST, L’espace des transports (Chagnaud et alii, 1986).