Hiérarchie sociale et performances des déplacements

Peu importe, dans ce cadre, que l’écart entre la mobilité des « riches » et celle des « pauvres » se soit atténué. En est-on d’ailleurs si sûr ? L’important est en premier lieu qu’un écart significatif ait perduré. Cet écart se vérifie d’abord à propos de la disponibilité d’un moyen de transport. Monter un cheval était ainsi l’apanage de la noblesse jusqu’au XVIIIè siècle rappelle Christophe Studeny en notant bien qu’il s’agissait alors autant d’un moyen de domination – y compris au sens physique – que d’un moyen de déplacement. Aujourd’hui, dans notre pays, le nombre moyen de voitures particulières dont disposent les ménages croît régulièrement en fonction du revenu : d’une valeur inférieure à 0,6véh./ménage (soit 0,38 véh. par adulte) pour les 18% de ménages dont le revenu annuel ne dépasse pas 85.000 F, à plus de 1,6 (0,73 véh. par adulte) pour les 21% de ménages au revenu dépassant 200.000 F (42).

Cet écart entre les taux d’équipement des ménages par catégories socioprofessionnelles se retrouve évidemment en ce qui concerne l’intensité d’utilisation des véhicules. Mais des nuances importantes doivent être apportées, liées à la marge de liberté de chaque type d’unité familiale en matière de mobilité : plus encore que par le kilométrage moyen parcouru, les ménages aisés se distinguent surtout par l’importance de leurs déplacements les moins contraints (Lefol et Orfeuil, 1989, pp. 56-57, p. 124 et p. 170).

On rappellera brièvement que ce constat – une mobilité qui devient plus forte et plus libre à mesure que le revenu est élevé – n’est pas spécifique à la période actuelle. à grand renfort de témoignages, Christophe Studeny emporte sans difficulté la conviction. François Caron, reprenant les arguments de l’époque, en fait un élément essentiel pour expliquer la stratégie tarifaire des compagnies. Dès le milieu du XIXè siècle, celles-ci ont observé que la sensibilité du volume de trafic aux réductions tarifaires était très faible pour les longs trajets, à la différence des trajets courts. La clientèle des premiers se recrutait en effet exclusivement dans les classes aisées. Elle était donc peu sensible aux incitations tarifaires. En revanche, la demande pour les voyages de proximité, socialement beaucoup moins sélective, a pu être encouragée par des mesures de réduction de prix (Caron, 1997, pp. 373-378). Il s’agit bien là du constat d’une mobilité fortement différenciée.

Notes
42.

()011Ces chiffres sont issus de la vague de fin d’année 1998 de l’enquête “Parc Auto” SOFRES, (Hivert, 2000)