Division spatiale du travail et mondialisation de l’économie

Une première entrée pour tenter de mieux se représenter les limites qui seraient atteintes concerne le mouvement de mondialisation de l’économie. Autre traduction concrète de l’accélération séculaire que vit notre société, cette extension à la planète de notre sphère d’échange, sur laquelle on reviendra spécifiquement au chapitre 5, a longtemps renforcé la structuration fordiste de notre système économique. Elle a par exemple été, et elle demeure encore dans une très large mesure, un facteur important de massification de la production et d’économie d’échelle. Son accentuation n’en induit pas moins des conséquences porteuses de déviances par rapport aux schémas qui ont prévalu pendant la longue période de croissance de l’après-guerre.

Il en va ainsi des dynamiques de localisation des activités en Europe, et de manière plus spécifique sur le territoire français. La logique fordiste présente d’une part des méthodes de standardisation de la production, de parcellisation du travail et d’organisation cloisonnée au sein des entreprises. Elle réussit d’autre part à garantir la cohérence de l’ensemble notamment grâce à l’intégration verticale des firmes. De la sorte, elle permet, ou même appelle, la délocalisation des tâches de simple exécution vers les zones où la main d’oeuvre est la moins onéreuse (58). Le développement des interelations économiques au niveau de la planète n’est parvenu que peu à peu à faire s’interpénétrer les marché de main d’oeuvre des différentes parties du monde. Pendant toute cette période, grossièrement jusqu’aux années 70, les dynamiques spatiales liées à ce régime d’accumulation fordiste ont donc favorisé l’industrialisation de vastes zones encore essentiellement rurales en Europe. En France, c’est l’époque à laquelle l’ouest du pays en particulier a attiré les usines de montage que les grandes firmes évacuaient de Paris. Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour que ces industries de main d’oeuvre soient en mesure de mobiliser, en Afrique du nord, en Asie du sud-est, en Amérique latine, et désormais en Europe de l’est, une force de travail d’un niveau de coût et de productivité qui les satisfasse davantage. La mécanique de diffusion de l’industrie sur l’ensemble du territoire français est alors d’autant plus affaiblie que les inégalités régionales de coûts salariaux se sont fortement atténuées sur la longue période (Mabile, 1983 ; Brutel, 1998).

Traité ainsi, cet exemple illustre une modification importante des conséquences spatiales de la logique fordiste. Il met en lumière l’un des aspects par lesquels les années 80 s’opposent aux années 60. Mais il ne s’attaque pas aux fondements même de cette logique. Celle-ci semble demeurer intacte. Elle ne voit se modifier que l’échelle géographique de ses implications. En revanche, on peut poursuivre le raisonnement en indiquant que cette évolution vers une économie planétaire accompagne et renforce la décroissance de l’importance relative du secteur productif dans les économies occidentales, accentuant l’orientation de ces dernières vers le secteur tertiaire. La porte est ainsi ouverte qui permet d’apercevoir comme contrepartie à la mondialisation, la croissance des besoins de gestion et de contrôle de circuits d’échanges et de réseau d’interactions qui se complexifient. Saskia Sassen (1991) fait de cette évolution l’un des moteurs essentiels du développement actuel des activités de services aux entreprises. Cette extension planétaire des échanges contribue du même coup fortement à la dynamique de métropolisation, comme cela sera détaillé dans le chapitre 9 consacré à l’analyse spatiale. On mesure alors que l’extension des aires de marchés ne conduit pas seulement à un changement d’échelle géographique de l’organisation fordiste, mais aussi à un changement de nature. La mondialisation de l’économie lue comme facteur d’accentuation de la concurrence entre producteurs participe également à cette remise en cause plus radicale.

Notes
58.

()011Cette division spatiale du travail a été analysée par entre autre Philippe Aydalot (1976) autour du schéma classique d’opposition Centre-Périphérie. Par rapport au centre, les modes de vie des populations des régions périphériques induisent des coûts salariaux moins élevés, alors même que les normes de productivité y sont très proches. La localisation dans ces « périphéries » des unités de production employant une main d’oeuvre non qualifiée vise naturellement à récupérer ce différentiel.