La flexibilité au coeur des enjeux

Liée aux formes sociales du travail, voici donc qu’une nouvelle limite au développement fordiste serait atteinte. Prudence ! Cet élément, comme ceux qui ont déjà été avancés, ne constitue pas une explication en soi de l’épuisement d’un paradigme socio-économique. Il ne vient que renforcer un faisceau de présomptions largement entremêlées. Mais présomptions de quoi, au juste ? Les différents aspects envisagés révèlent tout au plus certaines difficultés d’un mode d’accumulation particulier du capital. Celui-ci va-t-il évoluer pour se restaurer ou au contraire pour disparaître ? Rien n’est encore dit sur ces perspectives.

Il convient cependant de s’arrêter un instant sur la lecture qui a été donnée de ce phénomène d’épuisement du fordisme. Elle peut être schématisée par le graphique présenté ci-dessous. Trois points d’entrée sont successivement développés. Le mouvement de mondialisation de l’économie permet d’une part d’apercevoir le changement d’échelle et de nature du processus de division spatiale du travail. D’autre part, il renvoie, tout comme le relatif épuisement des moteurs de la croissance, à un phénomène d’intensification de la concurrence. Enfin, la montée des contradictions sociales appelle de nouvelles formes de mobilisation de la main d’oeuvre. L’enchaînement des différents facteurs met en évidence le rôle fondamental joué par la recherche de capacités d’adaptation, de flexibilité, dans les évolutions actuelles.

Placer ainsi la notion de flexibilité au coeur des mutations actuelles du système productif implique d’en préciser, même rapidement, la nature. Pierre Veltz propose ainsi de la rapporter aux ‘« principaux modes de compétition hors-coût’ ». Compétition de variété, compétition par le temps (réactivité) et compétition par la nouveauté permettent chacune de donner un contenu à cette notion (Veltz, 1993b). De même il propose de « ‘séparer les propriétés de la flexibilité à court/moyen terme, liée à la conduite des opérations, et les propriétés de flexibilité à long terme, flexibilité stratégique et flexibilité organisationnelle combinées, exprimant l’aptitude des stratégies et des organisations à gérer les incertitudes majeures, à maintenir ouvertes les options essentielles sur les produits, les procédés, les marchés, à limiter les irréversibilités, et reposant sur la double capacité (interne et externe) à se reconfigurer et à modeler l’environnement’ » (p. 681).

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Schéma : des limites du fordisme à la flexibilité

L’intérêt des distinctions introduites par Pierre Veltz est aussi de mettre le doigt sur un point sensible de l’analyse. L’objectif avoué de mettre en lumière les limites du développement fordiste a poussé à évoquer en premier lieu les évolutions qui marquent une rupture par rapport au mode d’accumulation qui a prévalu jusqu’ici. Rapporter ainsi la flexibilité qui en résulte aux « principaux modes de compétition hors-coût » donne maintenant l’occasion de souligner en contrepoint l’actualité de la compétition par les coûts dans la période contemporaine. La concurrence par les prix demeure une réalité essentielle du fonctionnement économique et il est clair que la « crise du fordisme », loin de l’atténuer, la renforce. Il fallait que cette réalité soit soulignée ici, même si, par bien des aspects, elle tend à faire perdurer des concepts aussi symboliquement rattachés au fordisme que celui d’économie d’échelle par exemple. On notera, pour se convaincre de la cohérence des évolutions actuelles, que la recherche de flexibilité repose elle-même fondamentalement sur une stratégie de maîtrise des coûts, au sens où elle n’est rien d’autre que la recherche par les entreprises de souplesse, de qualités d’adaptation et d’innovation au moindre coût.