Tourner la page du fordisme ?

Comme toujours lorsque les fissures de l’ordre ancien provoquent un enthousiasme qui incite peu à la prudence, on peut être tenté, ici, de tourner sans précaution la page essentielle du fordisme et de se tourner franchement vers l’analyse de « l’après fordisme ». On a peut-être trop tendance, dans un souci de clarté, à présenter l’épuisement du mode d’accumulation ancien comme un phénomène bien net et parfaitement daté. La réalité, ou du moins ce que l’on peut en observer après trente ans de « crise du fordisme », est beaucoup moins tranchée. On ne reviendra pas sur la précision des dates, il ne s’agit pas de cela. L’important est de souligner que, d’une part, ni tous les secteurs d’activité, ni toutes les entreprises n’atteignent les limites du développement fordiste énoncées plus haut. Il va de soi que cela dépend de leur métier, de leur environnement, de leur cheminement... D’autre part, l’émergence de nouveaux modèles d’organisation, et a fortiori d’un nouveau régime d’accumulation, ne peut résulter que d’un long processus de maturation. Depuis trente ans, les innovations en matière de gestion des entreprises se sont succédées, les tentatives pour mettre sur pied de nouveaux modes de régulation du système économique aussi. Quelques directions semblent se dessiner, mais personne n’entrevoit encore la stabilisation de ces évolutions qui permettra de tourner définitivement la page du fordisme. Ainsi, malgré des signes évidents d’affaiblissement, celui-ci est encore bien présent. Nos structures économiques portent encore sa marque, les dynamiques contemporaines qui les affectent aussi.

Une question de cette importance ne peut pourtant guère être éludée de la sorte. Non pas qu’il faille à tout crin voir – ou ne pas voir – dans la période actuelle une rupture – ou une continuité. Les deux coexistent à propos de la crise du fordisme, comme partout, comme toujours. On ne connaît certes pas la destination des évolutions actuelles, mais cela ne saurait bien sûr signifier qu’il ne se passe rien. La question de savoir si un nouvel ordre productif est en gestation n’est pas qu’une querelle sémantique entre deux termes, rupture et continuité. C’est une interrogation sur la profondeur et la nature des transformations en cours. à ce titre, la recherche d’une réponse s’inscrit dans un effort visant à accroître la lisibilité des évolutions contemporaines.