Définir l’information ?

Il ne s’agit pas de refaire un long exposé sur les différentes conceptions théoriques de l’information. Non pas qu’une telle démarche n’ait aucun d’intérêt. Les apports des approches quantitatives de la question (« théorie de l’information » de Shannon, cybernétique,...), de la biologie (Henry Atlan), de la psychologie cognitiviste (Francisco Varela) ou encore de la sociologie des organisations, permettent de préciser utilement un objet passablement « fourre-tout ». Mais, d’une part, de nombreuses présentations détaillées ont déjà été rédigées sans qu’il paraisse nécessaire d’en ajouter une qui n’apporterait rien. D’autre part et surtout, il apparaît que la démarche n’est guère transposable à une réflexion dont l’objet d’investigation n’est pas l’information en tant que telle.

En effet, si l’on se réfère, par exemple, à l’ouvrage d’Anne Mayère (1990), on assiste entre la première partie – de positionnement théorique – et la seconde – qui traite effectivement de l’« ‘information et [de la] mutation du système productif’ » – à un jeu de conceptualisation puis de reconstruction du réel dont le bilan est ambigu. L’effort d’abstraction mené au début permet effectivement de formaliser différentes dimensions de l’objet en question. Il aboutit finalement à une définition qui rend bien compte des interrelations entre ces différentes dimensions, définition théorique qui semble exhaustive, mais schématique par essence. Le retour aux observations réelles, par le foisonnement des formes et des situations qu’il implique de prendre en compte, empêche de fait l’utilisation de cette définition. L’objet de cette observation – l’information dans le système productif – ne semble pas, par sa nature même, réductible à un nombre fini de dimensions.

Les conclusions obtenues à partir des considérations théoriques par lesquelles débute l’ouvrage constituent alors davantage un fond de culture générale dans lequel sont puisées différentes représentations de l’objet à mesure des besoins plutôt qu’un cadre d’analyse précis. Ce constat des difficultés d’Anne Mayère à articuler théorie et observations rejoint en grande partie la conclusion que tire Pascal Petit (1998b, p. 381) d’un séminaire du Commissariat Général au Plan intitulé « économie et information » qui rassemblait pourtant quelques grands noms de la question. Il souligne en effet, en synthèse des actes du séminaire, que l’on est loin, en la matière, de disposer d’un modèle, c’est à dire d’une représentation simple et exhaustive des « ‘spécificités éventuelles d’une économie de l’information’ ».

Pour évoquer la place de l’information dans les évolutions du système productif, on s’autorisera néanmoins le raccourci consistant à aller directement aux conclusions théoriques de Anne Mayère. En définissant l’information comme « ce qui forme ou transforme une représentation dans la relation qui lie un système à son environnement », elle attribue à son objet trois caractéristiques (Mayère, 1990, p. 57 et suiv.). L’information est tout d’abord un processus. « Produite dans une interaction entre le système étudié et son environnement », elle ne peut être considérée isolément du système qui l’acquiert. Elle est donc, dans sa signification et dans son usage, relative à ce système, à son action et à sa temporalité. Enfin, elle est par essence incertaine. Poursuivant son investigation, l’auteur distingue ensuite « ‘trois natures fondamentales de l’information mobilisée dans les organisations’ ». Les informations-ressources « jouent le rôle d’input, de matière première ou de consommation intermédiaire ». « ‘L’information-méthode est un ensemble de démarches raisonnées pour produire une information’ ». En dernier lieu, l’information-structure donne un cadre à l’organisation observée et désigne ses finalités. Enfin, l’information remplit en particulier et selon des modalités différentes une double fonction : régulatrice d’une part, et de mise en forme des processus de production de l’autre.

Une telle analyse présente l’avantage de couvrir largement le champ concerné par la notion d’information sans pour autant tout mélanger. Elle permet en particulier d’apercevoir le contenu « informationnel » des innovations organisationnelles. Dans le même mouvement, elle permet surtout de souligner la variété des modalités de rencontre entre l’information, ses producteurs et ses utilisateurs. Tantôt objet, tantôt produit, tantôt marchandise, tantôt service, c’est selon. La place de l’information dans l’économie n’est pas unique, d’où les difficultés de retour aux observations concrètes déjà signalées.

Enfin, ni la question du sens, du contenu de l’information, ni celle de sa transmission ne sont exclues de cette caractérisation générale. Elles sont au contraire au centre des réflexions sur la manière dont les organisations sont façonnées par l’information et ses processus de traitement, autant qu’elles les façonnent. De ce point de vue, mais de manière très implicite, Anne Mayère paraît pouvoir suivre Jean-Louis Lemoigne (1998) lorsqu’il expose la représentation, de plus en plus classique, de l’information à travers un schéma ternaire articulant trois dimensions : syntaxique (la forme physique ou le signe), sémantique (le contenu, la signification) et contextuelle (l’organisation et la traduction pragmatique de la réception).