De la mondialisation à la globalisation

Malgré ces réserves, il est possible de trouver un ensemble de traits à peu près cohérents mis en avant par les différents analystes s’intéressant à la globalisation, quand bien même les interprétations qu’ils en donnent ensuite resteraient multiples. L’extension géographique du phénomène est ainsi tellement communément avancée que le terme de mondialisation est bien davantage usité. C’est alors l’image d’une extension à la planète entière des jeux concurrentiels des entreprises et des espaces qui s’impose. Les faits divers de l’économie, évoquant le transfert en écosse de telle activité de construction d’électroménager, la délocalisation en Inde de la sous-traitance de saisie informatique ou l’éviction des européens du marché de la construction navale par les faibles coûts des chantiers coréens accréditent fortement cette image. Dans les ouvrages pédagogiques, on qualifie de globales les seules firmes dont l’aire de production est mondiale et qui opèrent sur un marché lui aussi mondial. Les configurations plus étroites, même si elles chevauchent de nombreuses frontières et quel que soit leur mode d’organisation interne, n’auront pas droit à ce qualificatif (Crozet et alii, 1997, p. 110). L’équation globalisation=mondialisation, qui permet en outre d’éviter l’emploi du premier terme – néologisme directement issu de la traduction de l’américain globalization – est donc, en première approche, largement admise.

La mondialisation, parfaitement avérée, n’est cependant pas à considérer sans nuance. On passera aussi rapidement qu’il est généralement suggéré sur la situation de l’Afrique (voir Castells, 1998, pp. 102-152) et d’une large part de l’Asie qui paraissent détachées de ce monde-là. Un autre point important est la présence de trois sous-ensembles particuliers –  la « Triade » Europe, états-Unis, Japon (Keiser et Kenigswald, 1996) – qui structurent la planète économique de deux manières. D’une part, chacun d’eux tend à constituer une « région » économique propre (à l’échelle de la Terre), avec sa monnaie de référence, sa zone d’influence, son autonomie politique (par exemple é. Cohen, 1996, p. 156 et suiv. ; Krugman, 1996, p. 24, souligne quant à lui que les échanges extérieurs ne représentent que 10% du PIB des états-Unis). D’autre part, ces pôles concentrent entre eux la plus grande part du phénomène de mondialisation (flux financiers, flux d’investissements, flux de marchandises, flux de connaissances, il n’y a guère que les mouvements de personnes qui impliquent largement, au moins à l’une de leurs extrémités, le reste du monde, dans le cadre de circuits touristiques ou de migrations plus longues toujours largement déséquilibrés).

Cette réalité permet à élie Cohen (1996, p. 59) de donner de l’entreprise globale une définition géographiquement plus restreinte puisque limitée à une présence dans chacun des trois sous-ensembles de la « Triade ». Olivier Mongin (1996, p. 161) laisse apparaître le consensus, sur ce point, des analystes « sérieux ». Il souligne avec Philippe Engelhard (1996, p. 97) que le mouvement de mondialisation se heurte à une tendance appuyée à la régionalisation. Ces nuances permettent alors d’introduire l’idée que la globalisation, quel que soit le nom dont on l’affuble, n’est pas d’abord affaire d’extension territoriale.

On s’en doutait. Paul Krugman, en affirmant que La mondialisation n’est pas coupable (1996) incline à voir ailleurs que dans le commerce international les clés de l’économie contemporaine. Pierre Veltz le confirme en affirmant que « la globalisation et l’internationalisation sont deux notions analytiquement indépendantes » (1996, p. 111). François Chesnais le précise : « en anglais, le mot global se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant ’l’effet de serre’) qu’à des processus dont le propre est d’être ’global’ uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un ’acteur social’ précis. En l’occurrence, dès qu’il s’agit de processus économiques, le terme doit être compris exclusivement dans cette seconde acception » (1997, p. 29).