Une réponse à l’accentuation de la concurrence

La globalisation est interprétée dans ce cadre comme une réponse à l’accentuation de la concurrence (é. Cohen, 1996, p. 54). Il s’agit d’une part de systématiser la recherche d’économie d’échelle en opérant chaque étape de la production, de la R&D à la commercialisation, sur de plus grands volumes. Mais il s’agit aussi de systématiser la recherche de l’avantage absolu : produire où cela revient le moins chers, innover où l’on est le plus créatif, s’informer où l’on est le mieux branché, etc. Dans ce contexte, l’engagement territorial des firmes est extrêmement mouvant, très faible pour certaines activités dont le prix de revient sera la variable primordiale, plus intense pour d’autres fonctions pour lesquels les processus de valorisation de ressources spécifiques seront plus importants (Mucchielli, 1998, p. 159).

Enfin, la globalisation résulte d’un effort des plus grandes firmes pour maîtriser la complexité de leur activité. En effet, le marché global n’est pas un marché unique. Jean-Louis Mucchielli souligne encore l’émergence d’habitudes de consommation homogènes dans l’ensemble des pays développés de « la Triade », mais aussi le fait que perdurent de nombreuses spécificités nationales qui obligent les firmes à adapter leurs produits (1998, p. 99). Il serait suicidaire de répondre à la demande par une offre, fut-elle globale, qui n’articulerait pas une grande variété et une forte capacité à évoluer rapidement (Veltz, 1996). Du point de vue de la firme, la réponse à ces exigences contradictoires est passée par l’adoption de formes d’organisation renouvelées, articulant souplesse et intégration renforcée. L’image de « l’entreprise-réseau », reprise tant, entre autres, par élie Cohen que par Gérard Lafay (1999), en est l’archétype. On aura l’occasion de revenir en détail sur ces aspects micro de l’analyse dans le chapitre suivant.

On retiendra ici que la gestion de cette complexité s’opère également à un niveau macro-social. D’une part, les analystes (par exemple Crozet et alii, 1997, p. 197 et suiv., Adda, 1997, tome 2, p. 78 et suiv.) soulignent abondamment la résurgence de tentatives, politiques (les réunions du G7, la création de l’Organisation Mondiale du Commerce pour accompagner le « désarmement douanier ») ou techniques (le rôle renforcé des autorités boursières), de contrôle du fonctionnement de l’économie après une période où la faillite de la régulation fordiste semblait vouer de telles initiatives à l’échec. D’autre part, la globalisation passe aussi par le développement d’un large secteur d’activités de services très spécialisés concernant la finance, les outils de communication ou la gestion, dont la finalité est justement de surmonter cette complexité (Chesnais, 1997, p. 213). Ces activité sont à la base du dynamisme actuel des grandes métropoles, les « villes globales » de Saskia Sassen (1991). On voit alors que l’accentuation de la concurrence entre les firmes, après avoir été un élément de déstabilisation du modèle fordiste, contribue encore fortement à structurer la globalisation économique.

L’intensification de la concurrence à propos de l’accès aux capitaux ne peut que renforcer cette affirmation. La libéralisation des marchés financiers, souvent décomposée autour de la « règle des 3D » (décloisonnement, désintermédiation, dérégulation), tient lieu de figure emblématique du phénomène de globalisation pour deux raisons : d’une part, le marché des capitaux apparaît comme le plus intégré, fonctionnant de manière quasi-continue entre les bourses du monde suivant les heures d’ouverture de Tokyo, New-York et Londres ; d’autre part, à travers la pression croissante de rentabilité rapide qu’il impose aux entreprises, il est vraisemblablement à la source de l’une des dynamiques essentielles de la globalisation.