Des tendances à la « désintégration verticale » et à la « spécialisation flexible », mais...

La voie d’unité et de diversité ainsi esquissée est maintenant parcourue par de nombreux auteurs. En fait, jusqu’à la fin des années 80, les mutations du système productif ont été analysées de manière essentiellement monolithique par une large frange d’économistes. Sans nier que d’autres formes d’organisation puissent exister – mais sans beaucoup s’y intéresser non plus – ces chercheurs ont placé le développement de la « spécialisation flexible » au centre du renouvellement accompagnant la crise du fordisme. De concept théorique, le district industriel était implicitement devenu le (seul) lieu d’innovation économique et sociale, la clé pour sortir de la crise (112). Le débat s’est élargi aujourd’hui à de multiples autres formes d’organisation productive. Il est désormais avéré que les tendances contemporaines du système productif ne peuvent pas être repérées en fermant les yeux sur tout ce qui n’est pas structuré en milieu territorialisé spécifique d’innovation et de spécialisation flexible, en fermant les yeux sur l’essentiel des activités économiques.

Cette démarche univoque est fondée sur un jeu d’apparences trompeuses résultant de la crise du modèle productif dominant. Une caractéristique essentielle du fordisme est d’avoir fonctionné autour de firmes géantes, en position d’oligopole et très fortement intégrées verticalement. Dès lors que cette organisation semblait devoir disparaître, il était d’autant plus naturel de la voir remplacée par une structure de petites entreprises en réseau que les multinationales paraissaient mal armées pour surmonter la crise. L’érosion de leur profitabilité se conjuguait à quelques exemples particulièrement démonstratifs de David-Macintosh terrassant Goliath-IBM. Il a fallu du temps pour affiner ce jugement. Peut-être moins souverain, IBM est toujours là, la production de masse, bien que transformée, aussi.

Les évolutions sont assurément moins simples que Allen Scott (1992) veut bien nous le dire quand il continue à ne considérer la taille d’une entreprise que comme un handicap. Il y a pourtant une part de vérité dans cette représentation. La désintégration verticale ou horizontale, et plus généralement l’accentuation de la division sociale du travail est une tendance de fond des évolutions actuelles (113). De nombreux éléments y concourent parmi lesquels la différenciation intensive des produits, le développement de l’usage de technologies de production au potentiel de flexibilité élevé ou encore la recherche d’un partage des risques liés à l’innovation. Les moteurs de ce mouvement sont donc puissants. Personne ne songe aujourd’hui à les remettre en cause. On constate simplement qu’ils ne se traduisent pas par une disparition des grandes entreprises au profit de plus petites, mais semble-t-il plutôt, par une redistribution des rôles.

On retrouve dans cette religion de la petite entreprise flexible opérant au sein d’un réseau de solidarités fortes certains traits de la « société d’information » dont l’utopie a été dénoncée. Michael Piore et Charles Sabel (1984) en particulier, les chantres de la « désintégration verticale », ont exprimé l’idée qu’il y avait là les prémisses de formes de production nouvelles, éloignées de la production de masse et fondées sur un rapport étroit au local et aux communautés d’individus. Sous une entrée moins directement techniciste, on retrouve clairement, chez ces deux auteurs, la vision d’Alvin Toffler par exemple. Le futurologue oubliait l’économique et le social pour faire des nouvelles technologies le moteur de l’histoire. Michael Piore et Charles Sabel négligent quelques tendances lourdes de l’économie contemporaine – son mouvement de globalisation notamment – pour mieux entraîner le monde où ils le souhaitent.

Notes
112.

()011L’ouvrage collectif de Claude Courlet et Bernard Soulage (1994) est représentatif de cette vision implicitement univoque. Sous le titre Industrie, territoires et politiques publiques, il ne traite que de Systèmes Productifs Localisés – la dernière évolution des districts – comme si industrie, territoires et politiques publiques ne se rencontraient pas quelque soit le type d’organisation productive que l’on considère.

113.

()011« Par division sociale du travail [il faut entendre] le fractionnement des enchaînements de l’activité économique en des unités spécialisées indépendantes... » (Scott, 1992, p.105).