Chapitre 7 : Grande vitesse et temps sociaux

Il serait bien naïf d’espérer que la description des mutations du système productif et la mise en évidence de leurs deux figures organisationnelles majeures donnent d’emblée une clé de lecture de la mobilité à motif professionnel. Plusieurs arguments s’y opposent. D’un point de vue concret tout d’abord, la massification induite par les moyens de transport modernes tend plutôt à gommer les différences potentielles de comportement de déplacement : le temps de trajet entre Paris et Lyon est de deux heures pour tous les voyageurs ferroviaires. L’offre n’est donc discriminante qu’autour du choix de se déplacer ou non.

Sur un plan méthodologique ensuite, les données résultant de l’observation de la mobilité sont toujours très succinctes sur les aspects touchant à l’organisation des activités professionnelles des personnes enquêtées, que ces dernières soient recrutées au cours d’un de leurs déplacements ou par panel. Elles ne permettent de replacer les déplacements observés ni dans la sociabilité globale des individus enquêtés, ni dans l’économie générale des firmes pour lesquelles, le cas échéant, ils voyagent (Klein, 1998). On peut admettre qu’en cherchant à la relier aux caractéristiques des structures productives, on tend à traiter la mobilité des individus comme un « fait social total ». Willi Dietrich (1989) reformule alors d’un point de vue plus théorique les limites des méthodes d’observation des déplacements en soulignant que « ‘traiter chaque incident de mobilité comme un fait social total implique nécessairement une approche qui fait apparaître l’ancrage des comportements particuliers dans des rapports sociaux plus globaux et qui montre en quoi ces comportements individuels sont révélateurs d’un processus collectif’ » (p. 19).

Plus fondamentalement, la dichotomie « intégration/autonomie » – « taylorisme flexible » n’est pas directement opératoire. La multiplicité des dimensions où le fonctionnement des structures productives peuvent se lire à travers l’une ou l’autre de ces figures (de la structuration des relations inter-firmes au niveau mondial à la micro-organisation d’une équipe de travail) fait que la réalité de chaque cas observé mêlera les deux. Cette multiplicité des dimensions se conjugue à la forte imbrication de ces deux figures à chaque niveau pour rendre illusoire toute tentative de ventilation simple : on ne sait pas classer les « autonomes intégrés » d’un côtés et les « tayloriens flexibles » de l’autres !

Quoi qu’il en soit, une telle construction ne serait pas satisfaisante. Elle entretiendrait une image très mécaniste du fonctionnement de la société contemporaine, comme si chaque domaine sur lequel l’analyse s’exerce – les organisations productives ou la mobilité – ne portait pas en lui une complexité propre à brouiller les constructions les mieux établies du domaine voisin. On proposera ici une analyse de la mobilité professionnelle attachant un caractère de nécessité ou d’opportunité à la vitesse. Cette construction se fondera sur l’évolution des structuration du temps dans les sociétés capitalistes industrielles et contemporaines. C’est ainsi, à travers ce détour par le temps, qu’elle sera reliée de manière souple à la dichotomie organisationnelle précédente.