Des dynamiques spatiales multiples

Michael Storper et Bennet Harrison, dans un article déjà mentionné, aboutissent à constater l’impossibilité de passer de manière simple des structures productives aux formes spatiales de la production. Il convient peut-être de rappeler qu’ils commencent par définir différents types de « systèmes input-output » en fonction de l’importance des économies d’échelle ou de variété internes aux unités de production d’une part, et externes d’autre part : aux économies internes importantes correspondent des unités de grande taille, de même, des économies externes élevées sont liées à une structuration des unités en réseau de production. Michael Storper et Bennet Harrison précisent encore ces types théoriques en indiquant que ces réseaux peuvent a priori être spatialement agglomérés ou au contraire éclatés. Les auteurs utilisent ensuite la notion de « gouvernance ». Il s’agit alors de caractériser le « degré de hiérarchie et de direction (ou au contraire de collaboration et de coopération) dans la coordination et la prise de décision au sein du système input-output ». Le noyau, où la hiérarchie est maximale, s’oppose au halo. Deux formes intermédiaires de halo-noyau avec entreprise leader ou seulement coordinatrice complètent encore cette grille de lecture (Storper et Harrison, 1992. Voir plus haut, chapitre 6).

Bien sûr, l’aboutissement de cette construction consiste à tenter de mettre en relation les différents types de réseaux et les structures de gouvernance identifiées. Les auteurs effectuent cette démarche en classant plusieurs systèmes productifs observés de manière empirique au sein d’une grille de lecture constituée par un tableau à double entrée reprenant ces deux dimensions. Ils soulignent alors « ‘qu’il n’existe pas de rapport direct entre les différents types de réseaux et de structures de gouvernance, ni entre la taille des unités et les types de gouvernance ’» (p. 278). Le détail du tableau semble néanmoins indiquer que les organisations spatiales en réseaux dispersés impliquent plutôt une structure de gouvernance à forte hiérarchie. Ce résultat parait cependant pouvoir s’expliquer en partie par les caractéristiques des « systèmes productifs » (au sens de Storper et Harrison) retenus ici : un échantillonnage moins industriel, au sens classique du terme, viendrait vraisemblablement atténuer sa netteté. Par contre, les réseaux agglomérés ne sont l’apanage d’aucune forme de gouvernance.

On pourrait multiplier les exemples montrant qu’une typologie des organisations productives, aussi précise soit-elle, ne concorde pas avec les structures géographiques de la production. L’analyse de Storper et Harrison laisse également entrevoir que les deux dimensions ne sont pas sans relations, mais que ces relations sont vraisemblablement plus complexes à appréhender qu’on l’imaginerait de prime abord. Un autre intérêt de cette approche est d’établir, à travers la notion de « système productif », un lien entre la localisation des entreprises, envisagée à un niveau micro-économique, et la structure spatiale des activités d’une région.

Enfin, ces travaux mettent l’accent sur la caractéristique la plus immédiate des configurations territoriales : sont-elles éclatées ou agglomérées ? Cette problématique de concentration ou de diffusion des activités est évidemment centrale ici. En effet, elle constitue par nature le fondement principal d’une interrogation sur les dynamiques spatiales. Mais dans le cas présent, elle renvoie en outre directement à la question de l’adéquation entre une offre de transport collectif (dont les services, par nature se diffusent mal sur les espaces à faible densité) et le territoire. En ce sens, cette problématique de concentration ou de diffusion voit encore se renforcer le rôle primordial qu’on lui laissera.

Néanmoins, il convient d’ajouter que le degré de concentration n’est pas le seul élément de différenciation de l’inscription dans l’espace des organisations productives. Pour donner une représentation à peu près cohérente du phénomène, il faut aussi considérer que les « systèmes productifs » ne sont pas totalement indépendants les uns des autres du point de vue de leur localisation. Cette dépendance joue en particulier à travers les processus de spécialisation des espaces tels que David Ricardo, en particulier, a pu très tôt les analyser. Cette spécialisation joue d’un point de vue quantitatif et dans cette mesure, elle renvoie aux phénomènes de concentration. Mais elle différencie également les espaces d’un point de vue qualitatif tant il est clair que toutes les activités ne se valent pas. Après concentration et diffusion des activités, la spécialisation des espaces sera donc le troisième point de vue à partir duquel nous tenterons de déchiffrer les dynamiques spatiales.

À la suite des analystes des « systèmes productifs localisés », on peut enfin distinguer les organisations suivant l’intensité de leur ancrage dans le territoire. On isolerait ainsi d’une part les « systèmes productifs » dont l’organisation est largement déterminée par des structures économiques, sociales et politiques spécifiques d’un espace ou d’un milieu local identifiable et d’autre part, ceux qui ne sont constitués qu’en référence aux caractéristiques d’un environnement général, national, voire plus large. Pour les premiers, la localisation est une dimension constitutive. Les seconds sont par nature plus indifférents à cet aspect. Ces réflexions laissent apparaître qu’il n’est pas inutile de préciser, d’un point de vue théorique, les dynamiques qui structurent l’espace productif.