Différenciation sociale renforcée

Le recensement des quatre fonctions métropolitaines a permis de mettre en place quelques aspects du fonctionnement de ces cités. Il est néanmoins un aspect sur lequel il convient de s’arrêter quelques instants, non seulement parce qu’il n’apparaît pas directement lorsque l’on décrit les fonctions, mais aussi parce que de très nombreux auteurs s’accordent sur son constat. À l’analyse de Saskia Sassen en termes de bipolarisation sociale, répond en effet le constat de Pierre Veltz (1996, p. 36 et suiv.) d’une remontée des inégalités ou celui de Manuel Castells d’une polarisation de la main d’oeuvre.

Si l’on reprend le raisonnement de l’auteur de La ville globale, l’évolution de la composition sociale de la population métropolitaine est en effet double. D’un côté, la production des services de haut niveau suppose l’emploi d’une quantité importante de personnels hautement qualifiés, souvent bien, voire très bien rémunérés. Les caricatures de cette tendance sont les golden boys de la finance londonienne ou new-yorkaise des années 80. Cette population, elle-même stratifiée, est porteuse de standards de vie et d’aspirations propres (McDowell, 1997) qui se traduisent par exemple en matière de peuplement différencié des différents quartiers (Petsimeris et Ball, 2000) : développement de quartiers résidentiels très aisés et surtout « gentrification » de quartiers centraux denses auparavant déclassés (Beauregard, 1990). Ce phénomène a aussi été décrit, concernant le quartier des Docklands à Londres, par Alain Tarrius (1992, pp. 25-84). En matière de consommation, Saskia Sassen met aussi en évidence l’augmentation de la demande de services aux particuliers (restauration, services à domicile par exemple) (158).

À l’opposé, le développement métropolitain implique également la croissance des groupes sociaux défavorisés. Le constat est non seulement dressé d’un point de vue statistique mais aussi relié à la tendance précédente. C’est en effet pour répondre à la demande croissante de services aux particuliers, mais aussi pour assurer certains services banals à destination des firmes (coursiers, nettoyage, etc.) que se développe l’emploi métropolitain bas de gamme. Il s’agit d’emplois déqualifiés, précaires et s’adressant généralement aux groupes sociaux les plus fragiles : minorités ethniques, femmes... De la même manière, la « gentrification » de quartiers centraux, loin de favoriser la mixité sociale, accentue en réalité et les difficultés de logement pour les moins aisés et la ségrégation spatiale (159). Dans le même temps, il convient également de souligner que ces nouvelles populations urbaines sont à leur tour porteuses de cultures, d’aspirations et de sociabilités. Dans ce schéma général, et malgré les réserves déjà évoquées (au chapitre 5) à propos d’une lecture trop simpliste de ce phénomène, la paupérisation – au moins relative – d’une part de la population est donc une composante constitutive des processus de métropolisation (voir aussi Sassen, 1997).

Notes
158.

()011Le rôle des femmes dans les processus de “gentrification” est particulièrement débattu. Certains auteurs affirment en effet que leurs stratégies propres d’adaptation au nouveau contexte de l’emploi et de services dans les métropoles constituent le fondement principal de cette nouvelle géographie sociale (Warde, 1991 ; Butler et Hamnett, 1994 ; Bondi, 1999).

159.

()011On peut rappeler ici les analyses proposées par Pierre Beckouche et Félix Damette (1991) concernant, à propos de la région parisienne, le passage d’une « ségrégation associée » à une « ségrégation dissociée ».