Concentration et diffusion des activités métropolitaines

La mise en évidence d’un réseau métropolitain qui s’insinue assez profond dans la trame urbaine s’appuie sur une certaine diffusion des activités qui ont pu être qualifiées de métropolitaines. Pourtant, le fait le plus caractéristique du phénomène de métropolisation reste évidemment que la concentration des activités transactionnelles en quelques lieux est demeurée très forte depuis l’époque des analyses de Jean Gottmann. On retrouve derrière ces tendances l’ensemble des mécanismes économiques qui ont été présentés dans les pages précédentes.

Cette diversité de l’inscription spatiale des activités d’intermédiation peut en effet fort bien s’envisager à l’aide des outils théoriques présentés pour rendre compte des phénomènes de concentration/diffusion, de spécialisation ou d’ancrage territorial. Parmi les éléments explicatifs souvent retenus, les coûts de transports de l’information ne sont par exemple pas les mêmes dans l’industrie financière forte consommatrice de télématique et dans le secteur du droit des affaires viscéralement attaché à la rencontre en face à face. Les modes de mobilisations des réseaux de connivence sont totalement différents suivant que l’on s’intéresse au commerce diamantaire largement dominé par une communauté ethnique ou à la recherche technologique sur les composants électroniques.

Plus précisément, les modèles de Paul Krugman et de Brian Arthur semblent pouvoir rendre compte de la forte concentration des services de pointes. Les rendements croissants sur lesquels ils reposent sont vraisemblables dans un contexte d’hyper-spécialisation des firmes. Les externalités pécuniaires nécessaires à la représentation de Paul Krugman proviennent pour une part de l’accessibilité à une clientèle potentielle suffisante pour permettre à des firmes au marché très étroit de fonctionner. Elles découlent aussi de la très forte complémentarité, que souligne par exemple Saskia Sassen (1991, p. 170), des différentes activités de services. En outre, la description que donne Paul Krugman de la rencontre entre offre et demande de travail s’avère d’autant plus pertinente dans le cas où les compétences échangées sont très spécifiques. Elle permet aussi d’expliquer la spécialisation dans les services de haut niveau par éviction des activités incapable de supporter les coûts induits par le voisinage de salaires élevés. Enfin, conformément au modèle d’Arthur, la spécialisation passées des grandes métropoles contemporaines dans les activités transactionnelles explique en bonne partie qu’elles continuent aujourd’hui à les attirer et rend compte de situations de verrouillage que l’on peut observer.

Pour autant, il semble clair que l’agglomération des activités de services de haut niveau n’est pas affaires que d’externalités pécuniaires. Déjà, la complémentarité, évoquée juste au-dessus, des différentes spécialités met aussi et peut-être d’abord en jeu des interactions de nature technologiques. On peut alors noter avec intérêt que les politiques des responsables territoriaux semblent de plus en plus souvent donner foi à la théorie des pôles de croissance de François Perroux. Les services de pointe constitueraient alors les « unités motrices » que, dans un cadre de concurrence territoriale marquée, il deviendrait stratégique d’attirer pour leur capacité à répandre la croissance autour d’elle. Le dynamisme économique – largement fondé sur des activités de type métropolitain – que connaît l’agglomération montpelliéraine au coeur d’une région qui semble durablement rester étrangère à cette croissance incite pourtant à nuancer cette analyse. Elle n’est cependant pas dépourvue de tout fondement.

Quoi qu’il en soit, les phénomènes de marché permettent de donner une première lecture de la concentration des activités métropolitaines. Évidemment, concernant des activités dont l’essence même est de manipuler des informations non-standardisées, une analyse qui exclurait les interactions sociales et territoriales resterait incomplète. L’accessibilité des marchés, par exemple, n’est pas qu’une question de coût d’accès. Sentir les tendances pour un créateur de mode ou être inséré dans un réseau de confiance mutuelle pour un trader sont des aspects souvent déterminants dans les activités de services de pointe.

On perçoit à travers ces exemples que les relations sociales qui peuvent être mises en oeuvre ne s’envisagent pas comme des ressources passives que l’on mobilise en fonction des besoins. Ces réseaux de connivence, ces viviers de compétences ou autres ressources rares sont d’abord des constructions sociales dont la disposition par un acteur implique qu’il participe lui-même de manière active à leur développement. C’est en ce sens, où ces réseaux hyper-spécialisés ne peuvent être mis à profit que par les hyper-spécialistes qui le forment, que Gabriel Colletis et Bernard Pecqueur avancent la notion de « ressources spécifiques » (1993). Or, ces ressources spécifiques deviennent déterminantes lorsqu’il s’agit de produire les services de haut niveau et les innovations sur lesquels repose l’activité des métropoles.

Cette réalité explique que la compréhension des activités métropolitaines a souvent fait appel aux outils de l’analyse territoriale tels les « milieux innovateurs » ou les Systèmes Productifs Locaux. Pourtant, les processus de construction de ressources territorialisées ne sont pas l’apanage des seules métropoles. Pierre Veltz (1996, p. 242 et suiv.) rappelle que des régions industrieuses semi-rurales possèdent aussi des atouts pour engager avec succès des processus de création de ressources spécifiques rares.

Agnès Arabeyre-Petiot a ainsi étudié la réalité d’un SPL spécialisé dans la sous-traitance aéronautique qui s’est constitué dans le « pays de l’Adour », en Béarn. Ce SPL est aussi soumis aux forces d’attraction de l’agglomération toulousaine où sont situés les principaux donneurs d’ordres. L’équilibre qui se crée ainsi est fragile et pourrait être sensiblement modifié par la mise en service d’une autoroute améliorant fortement l’accessibilité entre les deux zones (Arabeyre-Petiot, 1999). Par-delà la tentative de modélisation de cet équilibre et de ces modifications, cette étude de cas, parmi d’autres, illustre la complexité intrinsèque aux processus de concentration-diffusion. C’est bien l’analyse détaillée du fonctionnement relationnel des ces activités qui permet d’envisager et de comprendre la réalité de ces phénomènes.