Trafic métropolitain entre métropoles ?

Dans un premier temps, il s’agit de vérifier si la répartition du travail métropolitain dans les trafics est spatialement différenciée. Cette recherche de différenciations spatiales, ne s’appuiera que sur les seuls résultats de l’enquête de 1993, obtenus après la mise en service du TGV-A. La principale motivation de ce choix, outre la simplification des résultats, est la volonté de concentrer l’analyse sur la demande qui s’exprime sur les moyens de déplacement à grande vitesse. Il est clair que la situation de l’offre ferroviaire en 1989, donc avant la mise en service de la ligne nouvelle, ne permettait pas de répondre à ce souhait.

Afin de répondre à la question posée, on observe le pourcentage représenté par les « travailleurs métropolitains » dans l’ensemble du trafic d’affaires observé pour plusieurs relations joignant la façade ouest de la France à Paris. Les liaisons représentants les distances les plus longues, concernant les trois départements de la péninsule bretonne d’une part et ceux situés au sud-ouest au-delà de Bordeaux d’autre part ne figurent pas dans ces résultats. Il s’agit d’abord de ne conserver que des trajets effectués pour l’essentiel en moins de 3h15, et ensuite de sauvegarder des zones relativement homogènes (la diminution des flux avec la distance et la nécessité de ne travailler qu’avec des sous-ensembles conservant un effectif raisonnable impliqueraient en effet la constitution de zones très disparates pour représenter les départements les plus éloignés de Paris). Toulouse, qui est un gros émetteur de trafic et dont les relations d’affaires sont assurées à 90% par avion, peut en revanche continuer à figurer. Le tableau suivant distingue d’un côté les plus grandes agglomérations auxquelles Félix Damette a attribué un caractère métropolitain, et de l’autre les espaces a priori plus ordinaires. Il faut encore préciser que les informations spatiales ont été recueillies à l’échelle départementale. Chaque département est ensuite assimilé à sa préfecture.

Tableau : Part du travail métropolitain dans le trafic d’affaires tout mode selon la liaison avec Paris dans l’enquête TGV-A de 1993
Bordeaux 74 % Le Mans 56 %
Nantes 64 % Tours 67 %
Rennes 80 % Poitiers 63 %
Toulouse 73 % Angers et Laval 54 %
Angoulême et La Rochelle 55 %
Niort et La Roche-s/Yon 75 %

Sur toutes les relations, les activités métropolitaines génèrent plus de la moitié, et même souvent plus de 60 %, du trafic d’affaires. Cette part élevée, qui avait été mesurée sur les trafics globaux (chapitre cinq), se trouve ici confirmée sans souffrir d’exception spatiale. Plus précisément, il apparaît que les trafics concernant les agglomérations les plus importantes montrent plutôt des taux de travail métropolitain plus importants que ceux touchant les zones dépourvues de très grandes villes. Deux chiffres semblent contredire cette observation : le taux plutôt faible obtenu par Nantes, celui, très élevé, affiché par Niort et La Roche-s/Yon. Il semble qu’ils puissent s’expliquer par des particularités locales sans pour autant remettre en cause la conclusion générale.

Les données disponibles permettent en effet de décomposer les chiffres présentés de manière à ventiler travail métropolitain et travail non- métropolitain par secteur d’activité. Cette décomposition est rapidement délicate en raison d’effectifs qui deviennent insuffisants. Néanmoins, elle permet de mieux comprendre les deux résultats particuliers qui font exception ici.

Le score de Nantes par exemple, s’explique ainsi par la faible représentation (par rapport aux trois autres métropoles observées) des branches industrielles techniciennes selon la terminologie du laboratoire Strates, c’est-à-dire essentiellement les industries de pointe. Ces branches, qui contribuent à hauteur d’environ 20% au travail métropolitain à Bordeaux, Toulouse ou Rennes, pèsent près de deux fois moins à Nantes. En revanche, les branches du travail non-métropolitain des industries qualifiées ou spécialisées, qui regroupent les industries traditionnelles, ainsi que la branche agro-alimentaire, apparaissent plus présentes dans les trafics nantais.

Cette image de Nantes comme ville d’industrie traditionnelle n’est pas totalement corroborée par les données que présente l’analyse exhaustive de Félix Damette (1994). Pourtant, elle correspond à une part de réalité : Toulouse, mais aussi Bordeaux sont davantage connue pour leurs activités aéronautiques que l’estuaire de la Loire qui bénéficie dans ce secteur d’implantations moins importantes et moins diversifiées (165) ; Rennes peut se prévaloir de la présence d’une activité orientée vers les télécoms et l’informatique repérable dans les statistiques et le marketing de l’agglomération ne s’en prive pas ; toujours selon les données de l’Inséé en revanche, les industries dominantes en Loire-Atlantique sont, outre la construction navale, l’agro-alimentaire et la pétrochimie (166).

Cela dit, cette petite discussion met surtout en exergue le caractère forcément arbitraire et discutable de tout classement sur base statistique, qui ici, aboutit à chercher du travail métropolitain dans certaines branches et pas dans d’autres. Deux faits essentiels sont à souligner concernant le trafic nantais. Le plus important tient à la vigueur des flux générés par les activités d’intermédiation. Le second est la diversité du tissu économique. Ce constat rejoint cette fois celui de Félix Damette (1994, p. 48) et montre que, malgré ses spécificités industrielles, l’agglomération nantaise ne déroge pas à son rang de métropole de Province.

L’autre chiffre « gênant » est encore plus simple à interpréter. Le taux important de travail métropolitain de l’ensemble Niort + La-Roche-s/Yon est entièrement dû à la préfecture des Deux-Sèvres. Observée à travers les trafics de et vers Paris, l’activité de Niort possède en effet toutes les apparences d’une mono-activité dans le secteur des assurances. La circulation des cadres des sociétés d’assurance génère à elle seule près de 80 % des flux. Elle résulte de la nécessité de gérer et de coordonner des fonctions intensives en emplois qui ont été déconcentrées dans une zone où les salaires sont moins élevés qu’en Île-de-France.

Au total, il semble bien que l’on puisse considérer les résultats constatés sur Nantes et Niort comme des cas particuliers qui ne remettent pas en cause le schéma général d’une différenciation spatiale légère mais réelle (de l’ordre de 10%) de la répartition du travail métropolitain dans les trafics. Cette image obtenue à partir des flux de voyageurs apparaît alors cohérente avec celle reflétant la concentration spécifique du travail métropolitain dans les grandes agglomérations.

Notes
165.

()011Les tableaux économiques régionaux de l’Inséé indiquent des volumes d’emplois comparables dans le secteur “construction navale, aéronautique, armement” (poste 17 de la NAP 40) : 11800 emplois en 1993 en Loire-Atlantique, 8300 en Gironde et 12900 en Haute-Garonne (Inséé Pays-de-la-Loire, 1993 ; Inséé Aquitaine, 1994, Inséé Midi-Pyrénées, 1993). Mais l’activité de construction navale, qui ne donne pas lieu à du travail métropolitain, pèse d’un poids important dans le seul le département de la Loire-Atlantique

166.

()011Le premier secteur d’activité industrielle de l’agglomération nantaise stricto sensu est, en termes d’emploi, celui de la construction électrique et électronique qui pèse pour 19 % dans l’emploi industriel total (Cete de l’Ouest, 1997)