La gare TGV : plutôt noeud de réseaux que monument

Depuis cette époque, les projets d’aménagement et les réalisations se sont multipliées. De nouvelles gares desservant le centre de grandes agglomérations ont été édifiées à Lyon-Part-Dieu et à Lille-Europe, de multiples autres gares anciennes ont été rénovées et des projets d’urbanisme parfois importants ont affecté le quartier de la gare dans de nombreuses villes. Enfin, des « gares-bis » ont été créées dans des configurations très diverses. Elles ont parfois vocation à desservir des villes, pas toujours modestes, dont le tracé des lignes nouvelles tangente le territoire (Le Creusot, Mâcon, Vendôme, mais aussi Aix-en-Provence avec la gare du plateau de l’Arbois), parfois à compléter la desserte de grandes agglomérations par des arrêts en périphérie, en particulier en région parisienne (Massy, Chessy). Elles servent souvent de contrepartie politique à des choix de tracé discutés (Picardie). Deux d’entre elles enfin, sont situées dans l’enceinte d’un aéroport (Roissy-CdG et Lyon-Saint-Exupéry).

Si l’image qui se dégage de ces réalisations est significative de la représentation collective de la grande vitesse ferroviaire, il semble de prime abord que celle-ci véhicule une modernité que la société peut assumer, et donc montrer et s’approprier. Les aménageurs de la SNCF insistent sur le fait que la gare doit être visible, repérable depuis la ville (Vincent, 1992). Quelques bâtiments, tels les ailes de la gare de Lyon-Saint-Exupéry peuvent même faire penser que l’on est revenu au temps de la monumentalité qu’affichaient les compagnies de chemin de fer du temps de leur splendeur. L’autre image communément admise est que le quartier de la gare a vocation à être un quartier d’affaires. Sans doute le modèle lyonnais de la Part-Dieu et le quartier d’Euralille ne sont-ils pas pour rien dans cette association, mais le phénomène ne relève pas que du simple mimétisme.

Derrière ces deux images, on retrouve ce que Jean Ollivro (1996) dénomme « deux perceptions antagonistes de l’urbanisme ». La monumentalité évoque le bâti, l’immobilité. La circulation des trains à grande vitesse d’une part, le quartier d’affaires d’autre part, évoquent la ville-mouvement, « la cité des réseaux » de Gabriel Dupuy (167). Et Jean Ollivro de poser l’ambiguïté comme étant l’essence de la gare.

Pourtant, il y a lieu de se demander si, au sein d’un quartier d’affaires dédié à la fluidité, la gare conserve vraiment son ambiguïté. Il semble bien qu’elle puisse s’envisager comme un noeud permettant aux réseaux économiques de fonctionner, comme un point de commutation entre les réseaux d’affaires et le réseau à grande vitesse. Elle appartient de ce point de vue à un espace résiliaire qui privilégie fortement la ville-mouvement par rapport à la ville-monument.

Ces considérations semblent bien confirmées par l’observation des architectures mises en oeuvre sur les gares TGV. Malgré deux exceptions au dessin ambitieux (Lyon-Saint-Exupéry), voire cliquant (Chessy-Disneyland), les gares-bis sont généralement d’une conception très discrète. Les plus simples consistent en un bâtiment parallélépipèdique posé le long des voies, devant un parking (Le Creusot, Mâcon, TGV-Picardie). Les plus complexes sont enterrées (Roissy), noyées dans un autre équipement (Roissy encore et Massy) ou s’étalent en surface de parking et d’échangeurs routiers sans vraiment afficher de monumentalité (Aix-en-Prce-Plateau de l’Arbois). Mais monumentales ou pas, ces réalisations sont toujours conçues comme des espaces de « fluidité fonctionnelle » (Edwards, 1999).

Pour les gares urbaines, la tendance est un peu moins discrète. Il faut que les gares soient visibles de l’extérieur, que leurs accès soient lisibles et l’exercice est forcément plus difficile en ville. On ne doit plus « trouver son entrée derrière un centre commercial, un peu par hasard, à côté de celle d’un commerce de vêtements » (Vincent, 1992, évoquant la gare Montparnasse des années 70). En ville, la gare s’affiche donc, mais qu’affiche-t-elle ? Ses accès, ses cheminements et souvent, la transparence de ses parois vitrées. Il n’y a plus que les bâtiments anciens pour recevoir le privilège d’un aspect réellement monumental valorisé (et encore, combien d’usagers de la gare de Lyon n’ont plus l’occasion d’un point de vue sur le célèbre beffrois ?). De ce dessin très fonctionnaliste, il résulte effectivement que « dans la gare, l’homme fait partie intégrante d’un environnement circulatoire, et a souvent pour finalité d’échapper au statut de piéton pour la quête d’un mode plus performant » (Jean Ollivro, 1999). En revanche, la monumentalité ne s’oppose pas à la circulation, au contraire, elle la sert. La gare et derrière elle, le TGV, s’inscrivent ainsi dans cette société en réseaux. Elle rejoint en particulier le camp des équipements du réseau métropolitain.

Notes
167.

()011Gabriel Dupuy, 1991, L’urbanisme des réseaux, Armand Colin, Paris, p. 24. Cité par Ollivro