Introduction

“ C'est un petit bonheur ” : la phrase par rapport à l’usage d’une voiture particulière qui était prononcée par une propriétaire d’un appartement où l'auteur louais une chambre. “ Je m’en fiche de l’argent quand il s’agit du gain de temps en utilisant ma voiture. La vie est trop courte pour perdre du temps en économisant de l’argent. ” En même temps, elle suivait très attentivement, par exemple, le nombre et la puissance des ampoules éclairées pendant le soir en n’économisant que des centimes et perdant la santé en ayant diminué la qualité d’éclairage (l'auteur ne l’a jamais vue sans lunettes). Si nous regardons plus profondément cette histoire, nous pourrions constater un paradoxe : l’usage de l’automobile a surmonté le bon sens, qui est, quand même, bien exprimé dans les autres domaines de l’activité quotidienne. Quelles sont les explications de ce paradoxe, c’est-à-dire pourquoi l’usage d’une voiture, ainsi que la voiture elle-même, occupe une place avantageuse dans la mentalité humaine par rapport à beaucoup d’autres choses matérielles ou spirituelles de notre vie ? Cette question sera centrale dans notre recherche. Par ailleurs, les paramètres quantitatifs de l’influence des facteurs irrationnels semblent aussi très importants à étudier, puisque seuls, le temps et le coût des déplacements ne peuvent pas décrire, dans certains cas, le comportement des usagers des transports.

Cette recherche est consacrée aux problèmes des déplacements des personnes en milieu urbain. La question est envisagée du point de vue de la politique de la ville, dans les pays développés, exposée au fait que les usagers utilisent leurs voitures particulières dès qu’ils en ont la possibilité. L’usage du transport individuel - automobile - a pris des proportions quasi exclusives des autres moyens de déplacement. En ce qui concerne les pays en développement, cette perspective ne semble pas si loin maintenant, comme on l'a pensé au début des années 1990. Les attitudes des responsables politiques locaux dans ce domaine étaient bien souvent ambiguës, mais, actuellement, elles tendent à être plutôt favorables à l’usage des transports collectifs. Cet usage semble nécessaire pour assurer, en premier lieu, la fluidité du trafic urbain et trouver, en second lieu, des solutions possibles à un grand nombre de problèmes liés à l’utilisation de l’automobile. La nécessité d’une nouvelle orientation politique des transports urbains s’impose tant du strict point économique que de celui des conditions de vie urbaines.

A priori, la possession et l’usage de l’automobile dans une forme quasi exclusive des transports en commun sont souvent conditionnés par les priorités économiques de l’Etat. L’usager d’une voiture dépense plus de moyens, donc il rapporte plus à l’économie nationale que l’usager des transports collectifs. Nombreux sont des milieux industriels ayant des intérêts bien définis dans le développement des ventes et de l’utilisation de l’automobile. Les dépenses excessives relatives à l’énergie, “ c’est trop global ”. D’autre part, l’automobile exprime le désir (et souvent non pas uniquement le besoin) pour un individu d’appartenir à la catégorie du plus haut niveau de consommation (ce qui est plus clairement vu dans les sociétés où il y a une différence importante dans les revenus des ménages, et un peu escamoté dans les pays ayant une moyenne élevée des revenus). Alors, les conditions objectives sont plus que favorables au développement de l’automobile. La prise de mesures de transport dans ces conditions suppose l’application d'efforts considérables au niveau de l'individu comme au niveau des pouvoirs publics.

L'aire géographique sur laquelle porte la recherche est la ville de Kharkov en Ukraine, est l'aire géographique de comparaison est la ville de Lyon en France. Puisque le travail sur cette thèse est effectué en France, où, actuellement, l’on trouve un certain déficit d’information sur l’Ukraine, et, donc, plutôt pour un lecteur français, nous avons pensé qu'il était plus logique de présenter l'Ukraine du point de vue de l'objectif de la recherche.

L’Ukraine - république de l’ex Union Soviétique - est un pays indépendant depuis 1991. Cette période, à partir de 1991, est marquée par une politique de transition de l’économie planifiée vers l'économie de marché.

Actuellement l'Ukraine connaît une crise économique profonde. Les questions centrales sont comment stabiliser la situation économique, quelles sont les méthodes pour normaliser l’inflation, inverser la tendance de chute constante du produit intérieur brut, etc.

Le système de transport se développe aussi sous l’influence des changements structurels dans l’économie ukrainienne. Il est évident que la situation actuelle exerce une influence importante sur l’évolution de ce système faisant apparaître des particularités que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays.

Dans le cas des transports urbains on peut remarquer les particularités suivantes :

Toutes les branches de transport, y compris le transport collectif urbain, sont partagées entre secteur public et secteur privé. Ainsi, les services de transport collectif urbain peuvent être rendus soit par une entreprise publique, soit par une entreprise privée. Cela conduit souvent à doubler des itinéraires. La question d’actualité en ce moment dans les grandes villes de l’Ukraine, en dépit de l’augmentation sensible du nombre d'automobiles au cours de la dernière décennie, est plutôt le partage du marché des déplacements entre des sociétés publiques de transport électrique (tramway, trolleybus et métro) et celles privées d’autobus.

On peut remarquer quelques phénomènes qui sont, soit en contradiction avec des logiques reconnues du développement et de l’activité économique et sociale de la société, soit ils ne sont pas retranscrits par les données statistiques officielles en Ukraine. En premier lieu cela concerne la baisse sensible du niveau des revenus réels des ménages, qui se produit en même temps, que l’augmentation du nombre d'automobiles. Notamment à Kharkov, au cours des 8 dernières années (1992 - 1999) le nombre de voitures particulières a doublé et, en 1999 a atteint plus de 200 000, ce qui donne près de 13 voitures par 100 habitants. Il faut dire que le coût minimal d’achat d’une voiture (d'occasion) est de 30 à 40 fois supérieur au salaire moyen officiel, et de 60 à 80 fois supérieur au coût d'utilisation d’une voiture, dans le cadre d'un usage normal (sans réparation quotidienne). Si on ajoute des coûts d’exploitation, on s'aperçoit du paradoxe fourni par les données de la statistique officielle.

L’autre phénomène est le retour d’une grande partie de la population urbaine à l’usage du sol pour subvenir à ses besoins (culture de pommes de terre, de tomates, etc.). Le sol est utilisé hors des villes, ainsi que dans les villes, dès la moindre possibilité (espace disponible).

L’impossibilité du pouvoir d’Etat, d’une part, d’assurer un revenu officiel à un niveau satisfaisant pour la plupart de la population et, d’autre part, la nécessité de maintenir un contrôle de la situation, oblige les organes du pouvoir à utiliser les services publics comme un des moyens pour “ exprimer ” sa politique sociale. Ainsi, concernant le transport collectif public, “ grâce à ” cette politique, la partie des usagers qui se déplacent officiellement gratuitement a été considérablement augmentée. En 1997, 42 catégories des usagers disposaient de ces privilèges. Mais l’absurde apparaît dans cette répartition quand, par exemple, un chômeur est obligé de payer son déplacement en transport collectif alors qu'un député se déplace gratuitement.

L’autre retour à la pratique oubliée depuis 30 ans concerne la réintroduction du service des receveurs dans les transports collectifs urbains, qu'ils soient publics, comme privés. Parallèlement, dans les lignes publiques de tramway et de trolleybus, il existe un contrôle des usagers (des voyageurs qui fraudent) et du travail des receveurs.

Le subjectivisme de l’estimation des données statistiques et le manque de recherches sur le contenu qualitatif de l’activité quotidienne de la population (y compris sa mobilité) ne permet toutefois pas d'avancer des conclusions certaines. C’est pourquoi il faut analyser certains chiffres avec prudence.

En France, le pays caractérisé, en tout cas jusqu’à présent, par une politique du libre choix, en développant parallèlement deux directions. D'un coté, l’achat et l’usage de la voiture favorisés par une importante industrie d'automobile. De l'autre coté, l’usage des transports collectifs urbains est conditionné par la situation actuelle dans les villes. Cela domine l’idéologie du libre choix, basée sur les principes de la démocratie. Donc, ici on peut voir une impasse dont l’issue se trouve dans le changement de la politique bien orientée vers l'amélioration des conditions de vie des habitants des villes.

La problématique : reste banale mais toujours d’actualité. Il est constaté que “ a priori, une rationalité de l’usager en fonction du temps de déplacement est souvent postulée dans le champ des transports… Voici plusieurs décennies que les pouvoirs publics et les exploitants de nombreuses villes européennes tentent de maîtriser la croissance du trafic automobile urbain en améliorant les performances des réseaux de transports publics de façon à les rendre concurrentiels en termes de durées de déplacements. Or, l’expérience démontre que la mise en service de nouvelles offres de transport public n’amène pas de report d’usage significatif de l’automobile vers les transports publics.  1 KAUFMANN donne deux interprétations possibles à ce constat général : “ soit les transports publics restent trop lents par rapport à l’automobile, soit les usagers fondent leur choix modal sur d’autres critères que celui de la rapidité comparée des moyens de transport. ” La mise en évidence de l’influence des facteurs économiquement non rationnels nécessite de développer une approche systématique des facteurs explicatifs du choix modal et des arguments corrects pour des mesures à prendre pour la stimulation directe ou indirecte d’une préférence pour l’utilisation prioritaire des transports collectifs urbains dans les grandes villes et dans les agglomérations.

L'objectif principal de cette recherche est d'élaborer un mécanisme d'étude, sur la base des données de la ville de Kharkov, de la possibilité et de la nécessité de mieux expliquer les facteurs influençant l’évolution du processus d'arbitrage “ voiture particulière - transports collectifs ” dans le domaine de la mobilité urbaine. Dans le système dialectique assez compliqué de l’évolution de la société urbaine, le transport a une place comme moyen nécessaire pour satisfaire ou exprimer, premièrement, certains besoins et désirs (rationnels ou irrationnels, considérés comme normaux ou au-delà des normes etc.) des individus et, deuxièmement, des formes collectives de l’organisation de l’activité des individus dans la communauté urbaine. Dans ce mécanisme nous essaierons de révéler les valeurs de l'influence de deux facteurs principaux sur la préférence (sur le choix) d'usage d’un certain mode de transport : les conditions de circulation, exprimées par l'influence de la valeur du temps (temps et prix d'un déplacement), et la composante psychologique.

La méthode : la base de l’information s’appuie sur l’élaboration d’une enquête (les détails sont présentés dans l'annexe IX) et la réalisation d’un sondage, permettant d’effectuer les études qualitatives – mais uniquement pour l’objectif de cette recherche - sur les déplacements urbains à Kharkov. Le questionnaire est construit d’une manière très simple, sans aucune lettre à écrire (anonyme), puisque certains sujets concernent les thèmes “ tabou ” pour la population de l’Ukraine, notamment les revenus officiels, ainsi que non officiels des habitants de Kharkov. Ce problème est observé non pas seulement en Ukraine, mais aussi dans tous les pays de l’ex bloc soviétique : une indignation et une très mauvaise volonté de répondre sincèrement à certaines questions posées. La délicatesse des questions et le besoin d’obtenir les données authentiques ne nécessitent pas un sondage direct, c’est-à-dire avec un contact entre l’agent et un répondeur. Les questionnaires étaient distribués parmi quelques groupes d’étudiants jouant les rôles intermédiaires entre l’agent et des répondeurs, et, ensuite, collectés dans leur ensemble, donc une manière, plus ou moins anonyme, était respectée. Les données de la statistique officielle, concernant le problème qui nous intéresse, ne comprennent pas souvent des critères qualitatifs, et en plus, ceux-ci peuvent être mis en doute. Ceci est confirmé, par exemple, par le phénomène mentionné plus haut, celui du paradoxe pendant la période à partir de 1991, entre la baisse des revenus de la population de Kharkov (division par quatre selon les données les plus optimistes), et la diminution du nombre d’habitants de la ville d'un coté, et l’augmentation des prix sur le marché de l'automobile ainsi que le doublement du nombre de voitures particulières à Kharkov, de l'autre coté. Ou l’autre fait, exposé devant toute l’Europe - le taux officiel d’inflation en Ukraine (que le lecteur nous excuse pour cette longue digression, mais il est important de lui expliquer pourquoi les chiffres officiels sont souvent loin de la réalité) : il faut noter que des intérêts du MinStat de l’Ukraine sont dans la diminution du taux d’inflation officiellement publié. Deux possibilités de calcul de ce taux sont utilisées en Ukraine : soit par rapport à l’évolution des prix, soit par rapport au cours d’échange hryvna/US dollar. Il n’est pas difficile de voir que MinStat de l’Ukraine choisit toujours, selon la période, la moindre variation de l’évaluation. Un exemple clair peut confirmer cette conclusion : selon MinStat de l’Ukraine le taux d’inflation évaluait comme il est présenté dans le tableau suivant.

Tableau 1 : Taux officiel d'inflation en Ukraine
1992 1993 1994 1995 1996 1997
2100 % 10255 % 401 % 182 % 40 % 10 %

Or, si nous calculons l’indice de l’inflation pendant toute la période 31.12.1992 – 31.12.1997 nous accepterons indice suivant : I = 22,0  103,55  5,01  2,82  1,4  1,1 = 49566. Donc, si l’on prend même 50 000 fois de l’augmentation des prix selon la statistique officielle, il sera très difficile de trouver même un seul produit (sauf de l’alcool forte – notamment la vodka, dont le prix était très élevé vers 1991 pour des raisons de politique de lutte contre l’alcoolisme dans la seconde moitié des années 80) ou service, dont les prix ont augmenté moins ou au même rythme que cet indice pendant cette période. L’écart peut être très significatif (notamment pour l’eau potable des consommateurs domestiques– plus de 12 fois, pour le transport urbain – 4 fois, le pain – plus de 2 fois, la viande – en moyenne 2 fois, les œufs – plus de 2 fois, les fruits et légumes– 2-3 fois, les vêtements – à partir de 1,5 fois, etc.) mais jamais en faveur des chiffres officiels. De plus, si l’on envisage la période comprenant des années 1991, 1998 et 1999, c’est-à-dire plus longue, cet écart devient encore plus considérable. Dans ce cas la statistique officielle est, donc, vraiment fragile. Mais, malgré la fragilité des chiffres officiels, nous sommes obligés de les utiliser, en premier lieu pour la comparaison et, en outre, puisque les données ne sont pas souvent couvertes que par la statistique officielle.

Nous revenons au questionnaire. Les conditions de l’inflation en Ukraine limitent souvent le temps de réalisation du sondage – la valeur absolue du hryvna peut changer très rapidement, selon les périodes. La durée du sondage a alors été réduite à huit mois : du mois d’avril 2000 jusqu’au mois de janvier 2001. Les paramètres quantitatifs du sondage (le nombre représentatif de répondeurs, leur structure selon l’âge, le statut social, etc.) seront envisagés dans les chapitres suivants.

Notes
1.

KAUFMANN V. "Mobilité quotidienne : le plus court est-il le mieux ?" 8th WCTR, Anvers, Belgique, 1998.