1.4. Economie

La question de la dégradation de la situation économique pendant les dix dernières années en Ukraine n'est pas mise en doute par les différentes branches des pouvoirs publics. Mais l’estimation des indices économiques par différents types de “ spécialistes ” n’est pas égale, et de plus, l’écart entre ces indices est très important, même pour les estimations du Ministère de l'Economie et du Parlement (le Conseil Suprême de l’Ukraine). Mais en dépit de cet écart, la chute des indices économiques (publiés officiellement) est impressionnante.

Voici une traduction d’un petit article présentant deux types d’estimation des indices économiques de l’Ukraine, qui a été publié dans le but de comparer l’information émise par deux sources différentes (exprimant plutôt des intérêts différents politiques, celui du Ministère et celui du Conseil Suprême ou Parlement) :

‘“ Le service de presse du Ministère déclare “ l’altération considérable ” des indices économiques du développement de l’Ukraine pendant les années de l’indépendance, publiées dans un appel du Conseil Suprême du 16 juillet (1999) aux organisations internationales, à l’opinion publique de l’Europe et au monde.
Pendant les dernières sept années le volume du produit intérieur brut (PIB) a diminué de 55 % et non de deux tiers, la production industrielle de 49 % et non de trois quarts, la production agricole de 40 % et non plus de la moitié.
Les revenus monétaires réels de la population ont été divisés par 3,4 fois et non par 8 fois. Si on prend en considération le changement du pouvoir monétaire d’achat en 1998 par rapport à 1991 (avec le déficit total), on peut constater que la baisse est bien moindre. Dans l’appel, il est mentionné que 41 % de la population se trouve à un niveau inférieur au seuil de pauvreté.11 En réalité seulement 28,5 % de la population se trouve en deçà de ce niveau.
Dans l’appel il est indiqué que le dépassement de la mortalité sur la natalité a commencé à partir dès le début des réformes, alors que cette tendance a débuté en 1991. La natalité a diminué depuis 1984 et la mortalité a augmenté encore plus tôt - du début des années 70. Il faut remarquer que dans les dernières années on observe une certaine atténuation de la situation. Ainsi, la mortalité de la population pour 1000 habitants est passée de 15,2 en 1996 à 14,9 en 1997 et à 14,3 en 1998. On observe aussi la diminution de la mortalité des enfants : en 1996 - 14,3 pour 1000 nouveau-nés, en 1997 - 14,0, et en 1998 - 12,8, ce qui correspond à un niveau de 1990. ” 12 Les chiffres sont impressionnants !’

En quelques mots une opinion d’auteur sur la situation économique générale en Ukraine. L’Ukraine expérimente encore la déséconomie. Elle souffre en effet de faibles ressources en matières premières et en ressources énergétiques ce qui l’oblige à s’approvisionner à l'extérieur, aux prix du marché mondial. La question des approvisionnements énergétiques constitue un défi fondamental pour l’Ukraine. En effet, l'économie ukrainienne est particulièrement vorace en énergie, à la fois dans le secteur industriel mais aussi dans les foyers où il est habituel de laisser brancher le gaz ou l'eau pour éviter une rupture du flux ! L’Ukraine ne produit en effet que 73 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) par an alors que sa consommation s’élève à 161 millions de tep. La différence, soit 55 % de sa consommation, provient des importations de pétrole (24 millions de tep) et de gaz (64 millions de tep) qui doivent évidemment se payer au prix fort en provenance de la Russie et du Turkménistan (9 milliards de dollars en 1996). Une réforme est en cours. Le choix d'une réorientation vers une régulation "à la britannique", c'est-à-dire vers un marché libre de l’énergie - séparation des fonctions de réglementation, de production, de distribution et de commercialisation - s'est avéré mal adapté à la situation ukrainienne (de Laroussilhe). Cette organisation très libérale a entraîné une hausse des prix qui a débouché sur des impayés généralisés de la part des consommateurs et a compromis l’équilibre du système. Les investissements nécessaires ont ainsi été retardés. Une voie médiane doit ainsi être privilégiée. Au niveau du charbon, une restructuration indispensable est à l’œuvre avec l'aide de l'Union Européenne et de la Banque mondiale.

La transition économique en Ukraine doit emprunter les trois phases : une stabilisation macro-économique (stabilisation prix, monnaie et déficit budgétaire), une libéralisation micro-économique (fin du contrôle des prix, des échanges, suppression des obstacles à l'initiative privée) et enfin une restructuration de l’économie. Sur le premier point, l'Ukraine a plutôt bien réussi avec l'introduction d'une nouvelle monnaie en 1996. Néanmoins, le déficit public a été maintenu grâce au soutien du FMI et au non-paiement des factures publiques et des salaires. La libéralisation micro-économique est à l’œuvre mais elle est encore partielle et l'Ukraine a du mal à désengager l'Etat de l’économie. La taxation reste élevée, les logiques de corruption et de prélèvement de la mafia 13 rendent les conditions de développement du secteur privé très difficile.

En ce moment l’économie interne de l’Ukraine peut être représentée comme un cercle vicieux, dont tous les éléments sont liés et forment un système interne de la “ stabilité négative ”. Ce système est très bien fort puisque sa base s’appuie sur les intérêts à court terme des pouvoirs. Le schéma ci-dessous montre des liaisons entre les éléments principaux de ce système. Ce schéma (page suivante) est simplifié pour des raisons de compréhension, puisque, a priori, on peut ajouter jusqu'à l’inconnu des structures de l’influence des éléments moins principaux.

Proprement dit, selon le point de vue de l’auteur, la dégradation de la situation économique a presque atteint ses limites en l’an 2000. Donc, si l’on n’observe pas de changements structurels, la situation toucherait presque ces limites, qui peuvent avoir, néanmoins, un scénario avec deux directions d’influence considérable.

Schéma 1.1 : Economie de l'Ukraine : principales interdépendances
Schéma 1.1 : Economie de l'Ukraine : principales interdépendances

La première direction, positive, concerne l’amélioration de certains indices économiques provoquée par le refus de la plupart de la population de consommer les produits importés (majoritairement d'origine polonaise, turque et chinoise), dont la grande quantité est apparue à partir de 1990. Le choix sera fait en faveur des produits nationaux, qui tendent à devenir relativement moins chers. A l'heure actuelle, on ne voit pas sur le marché de prédominance des produits importés. En effet, près de 80 % de produits du textile et de l’alimentation sont faits en Ukraine, donc, il est plus avantageux d’organiser la production en intérieur que de recourir à l’importation. Il est évident l’apparence d'une tendance favorable à l’augmentation de la production nationale.

La seconde direction d’influence, négative, concerne l’appauvrissement de la majorité de la population, la limitation de l’assortiment des produits et des services consommés. Plus d’efforts, moins de gains pour des producteurs bornés par le marché national. En gros, l’impossibilité de dépasser un certain taux de croissance de la production, bien plus bas que le taux de la plupart d’autres pays européens.

L’an 2000 est marqué par la détérioration de la situation, surtout en ce qui concerne le niveau de vie de la majorité de la population. La vie quotidienne est caractérisée par :

Nous reprenons la question du niveau des prix. En premier lieu il faut trouver des raisons d'un niveau des prix bien plus élevé que celui du salaire moyen, et ensuite évaluer ce ratio. Nous pouvons trouver les réponses dans le mécanisme de formation des prix. Deux éléments principaux, à notre avis, font considérablement augmenter les prix et souvent sans possibilité de les baisser. Le premier est la formation, sur la base des privilèges sociaux, des tarifs pour les services publics (l’approvisionnement en eau potable, gaz, énergie électrique, etc.) dont le volume du chiffre d’affaire est estimé, par l'auteur, à près de 15 % du PIB. Le second élément est le système fiscal. L’existence des privilèges sociaux, comme “ expression ” de la politique sociale, y compris dans le domaine des transports collectifs urbains, traduit plutôt un moyen des pouvoirs pour se tenir à leurs places, les conséquences économiques restent souvent hors des intérêts plus proches – ceux du carriérisme.

En suite de conclusion sur l’analyse de la petite histoire économique de l’indépendance de l’Ukraine, nous allons présenter des tableaux synthétiques des gains et des pertes généraux des ukrainiens au début de l’année 2000 issus de la période de l’indépendance, premièrement du point de vue de l’Etat et ensuite de celui d’un ukrainien. Il est évident que ces tableaux ne sont pas complets, donc pour le lecteur est laissée la possibilité de les continuer selon un point de vue propre.

Tableau 1.5 : Dix ans d'indépendance : gains et pertes pour l'Ukraine
Gains pour l’Etat Pertes pour l’Etat
L’indépendance politique.
Les élections démocratiques alternatives.
L’égalité des formes différentes de la propriété.
L’écartement du déficit matériel total.
Un certain degré de la liberté de la presse, de l’information, etc.
La chute de la production (du PIB).
Le surplus de la mortalité sur la natalité. Le solde négatif de la migration.
L’opposition constante entre l’est et l’ouest, exprimée par la confrontation entre le Parlement et le président.
L’augmentation des affaires criminelles, surtout dans le domaine économique.
L’installation des douanes à la frontière avec les pays de la CEI.
La corruption généralisée.
Le marché noir estimé parfois davantage en terme de chiffre d’affaire que l’économie officielle.
L’augmentation de l’appareil bureaucratique.
La diminution de la qualité de l’éducation comme dans les écoles secondaires, et supérieures.
Le chômage.
L’inflation élevée et son potentiel important.
La dette publique composant la plus grosse partie des dépenses du budget d’Etat.
L’insolvabilité généralisée et l’endettement.
L’instabilité de la législation.

Et ensuite les gains et les pertes au niveau d’un individu.

Tableau 1.6 : Dix ans d'indépendance : gains et pertes pour les ukrainiens
Gains pour un individu Pertes pour un individu
Une moindre pression en terme d’idéologie dominante.
Accroissement d'accession à la propriété (la plupart des ménages ont en possession leurs logements - ils sont privatisés).
Une forte hausse de l'offre de biens et de services (y compris de technologie moderne), dont la diversité est à un niveau satisfaisant pour tous.
L'accès à l’information politique, économique, etc. à partir de sources alternatives.
Une plus grande facilité pour voyager à l’étranger (sauf dans les pays de la CEI – après l’instauration de douanes aux frontières).
La possibilité (pour la partie dynamique de la population : 5 – 10 %) de monter sa propre affaire, avec plus ou moins d'efficacité.
L’absence d’idée forte sur un objectif global : incertitude dans l'avenir, méfiance de la politique dominante, manque d’optimisme.
La diminution des revenus monétaires réels, selon différentes sources de 3,4 à 8,0 fois.
De 28,5 % à 41,0 % de la population n’ont plus que 74 hryvnas par mois – le seuil officiel de pauvreté en Ukraine.
L’impossibilité, dans la plupart des cas, d’effectuer une activité sociale et économique à un niveau financier satisfaisant en utilisant les voies officielles (y compris les domaines de l’éducation et de la santé publique).
La nécessité, pour la majorité de la population, de recourir à des travaux complémentaires pour se pourvoir en produits alimentaires.
L’absence de certitude de ne pas se trouver au chômage, surtout pour la jeunesse.

Malheureusement, les gains dans leur majorité ne sont que des possibilités offertes, alors que les pertes reflètent des faits réels. Quels peuvent être les conseils pour inverser les tendances et améliorer la situation ? Ils peuvent être très différents, sur la base des exemples des pays développés ou bien spécifiques, mais, à notre avis, l’importance du moment consiste dans la manifestation d'une sagesse et d'un courage politique plus marqués pour interrompre le cercle vicieux de l’économie intérieure ukrainienne.

L’Ukraine à une position neutre, du point de vue de la politique extérieure, mais présentée une économie sagace par rapport à ses partenaires stratégiques. Une des solutions pour l'Ukraine consiste dans un partenariat accru avec la Russie, en partie pour lever cette dépendance énergétique, sans abandonner pour autant son indépendance.

Le passage rapide de l’état de la domination d’une idéologie à l’état individuel libre exprimé par la phrase d’un ancien philosophe chinois : “ Ne pense pas à tout le monde, pense à toi-même, et cela rapporte plus de bénéfice au monde ”, mais dans une acception vulgaire, - a changé les fondements de la perception de réalité et le mode de penser des ukrainiens. Les changements sont, évidemment, réversibles mais, dans le sens inverse cela nécessite de doubler, voir tripler les efforts. La mentalité est une chose très fine, s’appuyant, entre autre, sur les relations familiales, l’éducation, la religion, etc. donc sur la culture générale spécifique à son entourage. Les directions positives, semble-t-il, sont à rechercher dans les puissances de ces éléments, commençant de la plus jeune génération.

Notes
11.

La limite officielle de pauvreté en Ukraine correspond à 74 hryvnas par mois (1999).

12.

Le journal “ Kharkov de soir ”, no 83 du 29 juillet 1999.

13.

- les prélèvements de la mafia sont ainsi élevés à 11 % des bénéfices selon une institution internationale (de Laroussilhe, 1998, p. 107).

14.

L’endettement total pour les frais de personnel (l’annuaire statistique de la région de Kharkov, 1999) vers 10 janvier 1999 était égal à 416 720 000 hryvnas, ce qui correspond à 642,8 hryvnas par un employé. L’exemple de l’auteur est impressionnant : il n’a touché son salaire pour 4 mois de 1996 qu’en 1999 (avant les élections présidentielles). Le salaire réel, donc, était diminué en 3 fois.

15.

A la fin de 1999 les manifestations et l’embouteillage des autoroutes par la population de la région de Kherson contre les coupures constantes de l’énergie électrique durant souvent plus de 12 heures par jour ont entraîné la démission du premier-ministre de l’Ukraine. A Kharkov les coupures régulières d’électricité pendant l’hiver 1999-2000 duraient en moyenne 6 heures par jour.

16.

C’est-à-dire, dès qu’il arrive la moindre possibilité d’émergence d’une queue (ce qui est souvent provoqué par le système de bureaucratie), cette possibilité crée le sol pour la corruption.