2.3. Rôle du transport collectif urbain pour les villes ukrainiennes

Le rôle du transport collectif pour les villes ukrainiennes reste très important : le moindre dysfonctionnement, partiel ou non, paralyse la vie urbaine. Si, en France, cela est bien net pendant des grèves, en Ukraine, ce sont plutôt les conditions météorologiques qui paralysent le fonctionnement des transports de surface (le verglas ou une chute de neige importante) ou des coupures d’électricité, touchant parfois le transport électrique de surface. Tout le système de transport à l’époque de l’Union Soviétique était organisé selon les principaux flux de passagers. Actuellement de nouveaux centres d’attraction pour la population (de nouveaux marchés – des “ bazars ” - dans la plupart des cas) se sont construits sur la base du réseau de transport déjà existant. Il est très difficile de constater en fin de compte l’augmentation ou la diminution de la mobilité générale de la population des villes ukrainiennes (absence d'études quantitatives sur cela), ainsi que du nombre réel de personnes transportées par le transport collectif (l’importance des déplacements gratuits). Mais, en ce qui concerne la saturation des moyens de transport, cela dépasse souvent les limites acceptées habituellement pour les français. Il est probable, que ni les conditions économiques et sociales (la hausse du chômage, les semaines incomplètes de travail – 3-4 jours), ni l’âge (à Kharkov plus de 50 % des usagers de certaines lignes ont plus de 60 ans) n’influencent pas la diminution de la mobilité, C'est plutôt le contraire : les lourdes conditions de vie obligent la majorité de la population à se déplacer constamment.

L’alternative de l’automobile aux transports collectifs n’a pas encore pris des dimensions comparables avec la situation des pays de l’Europe de l’Ouest, bien que l’évolution du taux de motorisation des ukrainiens, vu la dégradation économique et démographique 24 de la situation, soit impressionnante. A Kharkov, comme nous l'avons déjà mentionné, à partir de 1991, le nombre de voitures particulières a doublé et a atteint 200 000 en 1999 (ce qui donne près de 13 véhicules pour 100 habitants). Donc, la dépendance entre les trois principales composantes du processus de motorisation – l’accroissement de la population (la perte de 120 000 personnes à partir de 1991), l’évolution des revenus des habitants (la diminution du pouvoir d’achat pour la majorité de la population) et le prix des voitures (l’augmentation sensible pour les voitures neuves issue d'une production nationale ou de la Russie) – est contradictoire. D’autre part, le marché européen des voitures d’occasion est devenu plus accessible pour les ukrainiens. Actuellement, des centaines de milliers d'automobiles européennes, japonaises ou américaines, âgées plus de 10 ans (donc, relativement peu chères), ont comblé le déficit observé dans les années 80. La production nationale des voitures personnelles a reculé devant cette invasion. 25 Ni les mesures prises pour défendre la production de l’automobile ukrainienne (l’adoption de la législation ne permettant pas d’importer des véhicules que de plus de cinq ans d'âge), ni la fusion du producteur principal ukrainien – AutoZAZ – avec la firme sud-coréenne DEWOO n’ont pu rétablir la compétitivité de l’automobile nationale capable d’effectuer la concurrence.

Mais, malgré la vitesse impressionnante de l’augmentation du taux de motorisation des ukrainiens, la voiture particulière n’est pas encore un concurrent réel pour les transports en commun en ce qui concerne la répartition modale des usagers. Le partage d’espace entre l’automobile et les transports collectifs de surface pose néanmoins certains problèmes dans les pôles principaux d’attraction de la population.

Les déplacements par le vélo sont, malheureusement, considérés comme anormaux par la plupart de la population. Pendant des années aucun vélo (comme moyen de déplacement) n’a observé par l'auteur près des établissements d’éducation supérieure, ni même près des écoles secondaires. Parfois le vélo est utilisé par certains habitants des villes, qui sont rurale d’origine et cultivent des cultures agricoles (pommes de terre) dans l’espace urbain. Les déplacements en moto, répandus dans les zones rurales et dans les villes relativement petites (moins de 100 000 habitants), ne touchent presque pas les grandes villes.

La marche à pied reste le mode prépondérant de déplacement dans les quartiers (0-2 km). Elle est souvent utilisée pour atteindre une ligne de transport collectif donnant la possibilité d’effectuer le trajet sans changement de moyen de transport (l'économie du coût de déplacement). Concernant les déplacements plus longs, la marche à pied se substitue par le mode motorisé. De plus, une des particularités de la plupart des villes ukrainiennes consiste dans l'existence de relativement grands espaces non bâtis entre les quartiers ou entre les périphéries et le centre-ville. Donc, le rôle des transports collectifs urbains en Ukraine ne peut pas être sous-estimé, puisqu’il n’existe pas encore d’alternative réelle.

Revenons à Kharkov. En 1998 à Kharkov le nombre total de déplaçants utilisant les moyens de transport collectif urbain s'élève à 713,7 millions d’usagers payant le déplacement. La tendance générale relative au nombre d’usagers payant dépend de la politique des pouvoirs publics par rapport aux transports collectifs. Un coefficient du rapport entre des usagers non payant et payant dans le transport collectif urbain, a été établi selon la lettre du service officiel de statistique dans la région de Kharkov du 27 octobre 1998 : “ Sur sanctionnement du coefficient du rapport entre des usagers non payant et payant pour les transports collectifs ” 2,37 - pour le transport urbain, 3,95 - pour le transport suburbain.

Selon le type des transports en commun le nombre d’usagers est réparti de la façon suivante (le tableau et le graphique ci-dessous). Ces données sont collectées par la Municipalité de Kharkov et, d’après l’auteur, s'écartent de la réalité pour des raisons qui seront envisagées par la suite.

Tableau 2.1 : Répartition du nombre quotidien moyen d’usagers des transports collectifs urbains (payant les déplacements)
  Nombre quotidien moyen d’usagers des transports collectifs urbains  
Ans Métro Tramways et trolleybus Autobus Transport commercial Total, en milliers
  En milliers % En milliers % En milliers % En milliers %  
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
641,3
674,7
721,4
735,0
744,7
776,6
683,0
693,6
694,3
697,5
587,6
682,8
621,5
605,7
26,1
26,5
25,8
25,5
25,0
24,8
27,6
32,4
32,0
37,3
37,1
48,4
44,2
31,0
1285,0
1332,0
1505,0
1604,0
1646,0
1706,0
1285,0
1030,0
1033,0
756,0
619,0
470,0
575,0
1042,0
52,3
52,2
53,9
55,6
55,2
54,5
51,9
48,1
47,5
40,4
39,1
33,4
40,8
53,3
529,7
543,2
566,9
547,0
589,9
647,4
507,2
417,3
445,2
417,7
365,6
217,8
101,9
110,4
21,6
21,3
20,3
18,9
19,8
20,7
20,5
19,5
20,5
22,3
23,1
15,4
7,2
5,6
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
11,0
40,0
110,0
197,2
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
0,7
2,8
7,8
10,1
2456,0
2549,9
2793,3
2886,0
2980,6
3130,0
2475,2
2140,9
2172,5
1871,2
1583,2
1410,6
1408,4
1955,3

Le graphique suivant illustre les tendances de l’évolution du nombre quotidien de passagers des transports collectifs.

Graphique 2.1 : Evolution du nombre d'usagers des transports collectifs, payant les déplacements, en milliers
Graphique 2.1 : Evolution du nombre d'usagers des transports collectifs, payant les déplacements, en milliers

Tout d’abord, il faut constater qu’il ne s’agit ici que des usagers payant le déplacement. De plus, un déplacement observé en Ukraine ne correspond souvent pas à celui observé en France. Notamment, les chiffres figurant dans ce tableau ne reflètent qu’une somme de nombre d’usagers déplacés par tous les modes de transports collectifs confondus. Ainsi, souvent, un déplacement réel (par exemple, un trajet “ domicile – travail ” nécessitant l’usage d’une ligne de trolleybus et d'une ligne de métro : deux déplacements seront enregistrés) est enregistré comme deux ou trois déplacements. Mais la statistique officielle en Ukraine ne s’appuie que sur ces chiffres, ce qui explique les changements considérables de tendance, ainsi que les différences entre les valeurs observées.

Une première baisse du nombre de passagers dans les transports en commun est remarquée en 1991. Le fait expliquant cette diminution fut l’augmentation des tarifs du transport collectif le 2 avril 1991 (il faut noter que ce fut la première hausse officielle, “ hausse de Pavlov ” pour quasiment tous les produits et services pour la population de l’URSS). Concernant les transports collectifs, le tarif pour un déplacement a triplé (de 5 à 15 kopecks). Pour cette période, on n’a pas encore commencé à introduire de privilège pour certaines catégories d'usagers pour se déplacer gratuitement. L’influence de ces privilèges sur le nombre d’usagers payant un déplacement sera sensible seulement plut tard. La perte plus de 600 000 de passagers quotidiennement en 1991 par rapport à 1990 peut être expliquée par l’augmentation des fraudes pour des raisons de hausse des tarifs. Les symptômes du “ chaos ” économique à la veille de la désagrégation de l’Union Soviétique ont aussi bien stimulé le manque de la responsabilité et, donc, l'opportunité des fraudes.

La poursuite de la diminution du nombre d’usagers jusqu’à 1997 (le point le plus bas de la période observée) est bien expliquée par l’introduction des privilèges (avec un sommet – 42 catégories de privilèges - observé vers 1997), ainsi que par la poursuite de l’influence de facteur comme la fraude : la falsification des tickets, le manque du contrôle régulier. Pour un contrôleur (et un receveur plut tard) il fallait être dynamique, intelligent et, en plus, courageux pour déchiffrer un grand nombre de certificats (valables et non ou probablement falsifiés) donnant le droit de se déplacer gratuitement. Mais cette année (1997) était marquée par l’introduction complète du service des receveurs, dont le travail permettait de renverser la tendance dans la seconde moitié des années 90. De plus, les autorités des villes ont réduit graduellement le nombre de catégories possédant des privilèges (1998 – 28, 1999 – 24). A partir de 1996 les tickets deviennent plus sophistiqués et, petit à petit, on s'est opposé à la réalisation des tickets par le réseau des commerces (maintenant, on ne peut les acheter que dans un moyen de transport - tramway, trolleybus ou bus – soit chez un receveur soit conducteur. Comme facteur de l’augmentation du nombre d’usagers payant, il faut ajouter la stabilité des tarifs pour le transport électrique de surface à partir de1997 – 30 kopecks, donc, dans les conditions d’inflation, ces 30 kopecks avaient plus de valeur réelle en 1997 qu’en 1999.

La répartition quotidienne des passagers entre les différents modes de transport collectif pendant la période 1985-1998 est présentée sur le graphique ci-dessous.

Graphique 2.2 : Répartition modale des usagers des transports collectifs à Kharkov, en milliers
Graphique 2.2 : Répartition modale des usagers des transports collectifs à Kharkov, en milliers

Ce graphique reflète la situation des usagers des transports collectifs payant les déplacements. Les variations les plus fortes par rapport aux changements structurels dans l’économie et la politique de l’Ukraine pendant la période de l’indépendance concerne le transport électrique de surface (tramways et trolleybus). A partir de 1990 jusqu'en 1996-1997, le nombre d’usagers (payant) de ces services de tramways et trolleybus a été diminué plus que divisé par trois. Si l’on regarde les autres modes de transport collectif, on peut constater une stabilité relative du nombre d’usagers du métro. Cette stabilité par rapport aux changements importants du nombre de passagers des transports électriques de surface peut être expliquée par le mécanisme du paiement des déplacements. Dans le métro l'on n'a pas besoin de tickets pour effectuer un déplacement, il n’y pas de contrôle dans les rames, le paiement se fait à l’entrée dans la station de métro. Cela simplifie les efforts pour lutter contre la fraude. Ces efforts sont concentrés sur le point d'entrée dans le métro ; ainsi, dans le métro, le mécanisme de paiement est plus difficile à contourner par rapport à celui des transports électriques de surface. Cela minimise la possibilité des fraudes, ainsi les fraudes comme les recettes versées directement dans la poche du conducteur ou du receveur des transports de surface. La liste des catégories de citadins ayant le droit de se déplacer gratuitement est la même, comme pour le métro et les transports électriques de surface (sauf quelques détails qui n’ont pas l’influence significative). De plus, toutes les entrées dans les stations de métro sont équipées de postes de la police. Il existe un autre facteur important : l’usage des transports collectifs urbains à Kharkov suppose souvent des déplacements en métro après ceux effectués en transports de surface. Cela signifie que les lignes du réseau de transport de surface sont souvent les lignes terminales après les stations de métro. Au fur et mesure que les lignes de métro se prolongent, les connexions terminales des transports de surface changent de lieu et se concentrent autour des stations terminales du métro (mais il n’y a toujours pas d’intégration entre les sociétés de transport, même entre celles qui sont publiques).

La diminution du nombre d’usagers des autobus à la fin de la période observée s’explique par la privatisation des entreprises exploitant les lignes de bus. Ainsi, les données de nombre d’usagers des bus deviennent peu à peu celles du transport commercial. Il faut dire qu’entre les bus commerciaux, comme entre les sociétés différentes, de même qu’entre les bus de la même société et de la même ligne, on observe une lutte pour l’usager, qui est considéré souvent comme une source de revenu non officiel pour les conducteurs et les receveurs (les recettes allant dans leurs poches). Une bagarre entre deux conducteurs de bus desservant la même ligne, observée par l’auteur, confirme bien ce fait. La raison de cette bagarre était le non-respect de l’horaire de départ de la gare terminale (pour trois minutes seulement), ce qui entraînait un gain en terme de nombre de passagers d’un bus et, en conséquence, de recettes et une perte de passagers pour l’autre bus et, évidemment, une perte de recettes potentielles.

Notes
24.

La situation démographique en Ukraine est marquée si fort par ce phénomène négatif qu’on peut voir ce pays parmi ceux figurant dans la dernière issue de l’INSEE (1999-2000), où l’Ukraine occupe, selon l’écart entre le taux de natalité et celui de mortalité, la dernière place.

25.

Selon “ Kievskie Vedomosti ” (30 mais 2000), les pertes sur le budget de l’Ukraine, dues à l’importation illégale de voitures s'élève à plus de $20 millions, depuis 1998.

26.

Source : Rapports annuels de la société des transports électriques de surface de Kharkov, 1987 - 1999.