3.2. Homme – voiture

Nous commencerons par les questions qui sont assez loin des problèmes appliqués des transports mais qui aideront à l’avenir à définir la place du transport dans le mécanisme très compliqué et complètement relié qu'est la société humaine. Ce mécanisme inclut beaucoup de détails et de motifs mentaux, rationnels ou irrationnels dans le comportement prévu (ou imprévu) des acteurs de l’activité quotidienne.

On peut constater, et cela devient de plus en plus évident dans le temps moderne pour un simple individu, qu’il y a des mouvements économiques et sociaux de l’humanité. Mais il est plus difficile à résumer et définir les caractères qualitatifs de ces mouvements et leurs directions : brièvement, c’est le progrès ou la régression. C’est vraiment une question qui touche plutôt le champ de pensée des philosophes et il existe beaucoup de points de vue sur celle-ci. On peut révéler trois grandes tendances ici : le monde humain se développe positivement, négativement ou il n’y a ni progrès ni régression. Nous partageons le point de vue que l’humanité se développe, quand même, qualitativement positivement. Notre planète devient de plus en plus petite et étroite pour l’homme. Il va plus haut dans l’espace, plus profondément dans l’océan, le critère de la valeur du temps occupe souvent la première place dans la hiérarchie des valeurs, le développement des moyens d’information et de communication changent la vision de vie et les pratiques sociales pendant la durée de l’activité d’une génération. Pendant la période qui suit la deuxième guerre mondiale, la population possède et utilise de plus en plus de choses dans la vie quotidienne qui n’existaient même pas en nature dans la vie des générations des grands-parents. Ces choses-là transforment très vite les objets de luxe pour des familles relativement riches en objets de l’utilisation quotidienne pour la majorité de la population et changent radicalement le mode de vie. On peut remarquer plusieurs de ces biens de consommations transformés ou dans le cadre d'un processus de transformation : la radio, le téléphone, l’appareil de photo, le poste de télévision, l’ordinateur personnel, l’automobile…

Nous prendrons en considération le développement de l’automobile, lequel se présente comme un des plus importants phénomènes du XX-ème siècle et nous intéresse le plus au cours de cette recherche. Dans les pays industrialisés l’automobile s'est en réalité transformée d’un bien de consommation de luxe en un moyen pour satisfaire le besoin de se déplacer. La grande majorité de ménages possède actuellement une ou plusieurs voitures particulières. Il y a de plus en plus de familles ou de personnes qui disposent des moyens nécessaires pour l’achat d’une voiture particulière. La tendance à l’augmentation du nombre de voitures pour 1000 (100) habitants (le taux de motorisation) est positive partout dans le monde, mais dans les pays économiquement développés, ce taux a atteint un point tel que l’utilisation hypothétique en même temps, par exemple, de plus de 90 % de voitures particulières des habitants d’une agglomération pourrait bloquer le système de transports de surface avec les conséquences imprévues. Il est évident que l’indice de la croissance du nombre d’automobiles (voir le taux de motorisation) est supérieur à l’indice de la croissance de leur utilisation simultanée, mais puisque ce dernier est fonction du taux de motorisation dont la tendance est positive nous pouvons constater que la tendance à l’utilisation simultanée et absolue des voitures particulières est aussi positive. Dans cette recherche, nous allons faire une tentative pour trouver la corrélation entre le taux de motorisation et la fréquence de l’usage de l'automobile dans la ville. Les différents facteurs, actuellement réels ou imaginaires, influencent positivement ou négativement la courbe de l’utilisation. Bien entendu, l’espace disponible n’est pas égal selon les différentes villes. Les villes modernes de l’Amérique du Nord disposent de plus d’espace avec des rues plus larges que, par exemple, les villes plus anciennes de l’Europe ou celles du Japon, le pays qui possède une densité de la population très considérable. Mais la tendance de la courbe du taux de motorisation même aux Etats Unis ne s’approche pas encore de sa limite (graphique 3.1). “ L’argument est souvent employé, qui consiste à faire observer que l’accroissement du taux de motorisation est très lié à l’acquisition d’une deuxième voiture par les ménages, voire d’une troisième ou d’une quatrième, et qu’une telle tendance devrait buter sur une certaine saturation, liée au nombre de titulaires d’un permis de conduire dans le ménage. Si l’existence théorique d’une telle asymptote est peu contestable, il est relativement délicat de la situer et plus difficile encore d’apprécier si nous en sommes très éloignés en ce début des années 90.
La première remarque qu’inspire le graphique (de la page suivante) est d’ordre subjectif : très peu de courbes suggèrent, par leur forme, qu’elles approchent une limite asymptotique. En tout état de cause, la position de la courbe relative à la situation américaine semble indiquer à celui qu’ont pu atteindre les pays européens. 
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En prenant en considération les conséquences de l’augmentation du taux de motorisation, au niveau de la position du pouvoir de la ville de la société démocratique, il faut trouver les moyens adéquats (préférences aux moyens qui peuvent être utilisés sans recourir aux interdictions) pour répondre à l’influence de cette tendance.

Graphique 3.1 : Nombre de véhicules pour 100 habitants (sources : Union Routière de France, 1991, INSEE 1995-1996, 1999-2000 – sauf l’Ukraine)
Graphique 3.1 : Nombre de véhicules pour 100 habitants (sources : Union Routière de France, 1991, INSEE 1995-1996, 1999-2000 – sauf l’Ukraine)

L’augmentation du nombre et de la qualité de produits matériels et de services consommés par la population (dans notre cas l’accroissement du taux de motorisation), caractérise le progrès constant de la société de consommation. Mais, premièrement, cela concerne le progrès technique 33 ou économique (qui est plus abstrait puisque avec l’augmentation de certains critères économiques quantitatifs, le niveau des critères qualitatifs et la situation économique en général peut se dégrader). S’il est possible de mesurer le niveau du développement social de la vie humaine par des critères économiques, on peut dire que le progrès social est entraîné par le développement économique et dépend complètement de celui-ci. Mais cela n’est pas évident puisque, de notre point de vue, la liaison n’est pas directe et en plus il existe de plus en plus de facteurs économiques qui exercent une double influence : positive et négative en même temps sur la qualité de vie (y compris le développement du transport). Voilà pourquoi nous voudrions distinguer le progrès technique du progrès économique. Le premier est la catégorie plus concrète et, probablement, la plus objective de tous les facteurs définissant l’évolution de la société humaine.

Nous voudrions distinguer notamment le progrès socio-économique. Il est difficile de le mesurer, et de le représenter en chiffres. C’est plutôt la possibilité pour un individu de satisfaire un certain niveau des besoins matériels quantitatifs, qualitatifs ou non matériels en utilisant les moyens accessibles. Il est intéressant de remarquer dans ce cas l’usage de l’automobile : le besoin de se déplacer pour toutes les personnes est de nos jours un besoin social, et la représentation de l’automobile et de son usage est fortement liée à des valeurs de liberté, de facilité, d’identification et de plaisir, mais souvent l’automobile, normalement aperçu comme un moyen de satisfaire le besoin de se déplacer, devient un besoin lui-même, l’objectif, le désir pour s’exprimer et satisfaire ses ambitions, faire une bonne apparence. Force est de constater que souvent les usagers utilisent leurs voitures particulières dès qu’ils en ont la moindre possibilité. Bien sûr, que les besoins d’un individu peuvent être positifs ou négatifs (par rapport à l’opinion de la majorité) et souvent au détriment des besoins des autres ou des intérêts communs, mais c'est un sujet d'une autre recherche.

Il est évident, qu’avoir essayé une fois quelque chose de plus haut niveau que l’habitude (selon l’opinion d’un individu), l’homme, s’il a le choix, préférera cette chose, souvent même subconsciemment, par sa physiologie. La possession d’une voiture particulière donne toujours la possibilité du choix entre les modes alternatifs de déplacements, et il semble absurde de persuader un usager que l’usage des transports en commun est objectivement meilleur que celui d’une automobile. Un pas en arrière, économiquement ainsi que socialement, peut être considéré comme le retour vers l’utilisation globale des transports collectifs, y compris les déplacements urbains.

Si l’on envisage l’opinion des individus dans leur majorité, il devient encore plus difficile d’effectuer ce pas du point de vue psychologique. Comment se forcer soi-même à refuser volontairement l’usage de l’automobile en faveur de l’usage des transports en commun ? Il faut trouver vraiment des raisons fortes pour le faire. Souvent par exemple, pendant la réparation d’une voiture, c’est-à-dire durant la période d'impossibilité d’utiliser celle-ci, les utilisateurs ne se souviennent pas des moments négatifs, même des accidents, mais ils regrettent le manque d’usage de leur voiture, surtout quand l’offre de transports collectifs n’est pas suffisante d’après eux. En outre, la majorité des usagers de l'automobile ne se rendent pas compte des problèmes communs entraînés par leur usage, bien qu’ils puissent parler, par exemple, des problèmes écologiques, mais quand il ne s’agit pas de leurs voitures particulières. Donc, c’est la tendance lourde, objective et mondiale, selon toute probabilité, s’appuyant sur la mentalité des dernières générations – la préférence de l’utilisation de l’automobile s’il y a le choix entre les modes alternatifs de transports ainsi que le désir d’acheter une voiture pour des individus ou des ménages qui ne la possèdent pas encore (il semble même absurde de poser cette question : voulez-vous avoir une voiture ? – puisque la réponse est plus qu’évidente).

Pour les ukrainiens, la question “ qu'est ce que c'est l’automobile pour vous : un produit de luxe ou un moyen de déplacement ? ” ne trouve pas de réponse définitive. Les ménages ayant une automobile en leur possession (on omet ici les types de voitures, bien que ce fait ait aussi une influence importante) sont habituellement considérés comme aisés, même au niveau officiel. Ces ménages, par exemple officiellement, n’ont pas le droit d’avoir des subventions comme une aide publique pour le paiement du logement (il existe, évidement, certaines nuances). Donc, à ce niveau-là, les pouvoirs publics déclarent indirectement que les dépenses d’entretien d’une automobile ne sont pas de première nécessité pour les habitants de la ville. Ce qui est intéressant dans ce contexte-là c’est que notamment la possession de l’automobile, mais non, par exemple, de l’ordinateur personnel ou du téléphone portable est devenue un point d’application. On peut, bien sûr, se référer au manque des moyens publics et au gros déficit budgétaire en Ukraine, mais la méthode pour économiser les dépenses budgétaires ne nous semble pas démocratique. Elle ne montre que, la faiblesse économique des pouvoirs publics.

Mais quand même, la possession et l’usage d’une voiture particulière, bien que, dans la plupart des cas, ces deux concepts soient en corrélation positive, sont les différentes composantes du système de transport. Bien sûr, la possession de l’automobile suppose son usage, mais, surtout dans les zones urbaines, cet usage est limité par les conditions de circulation. Donc, la possession d’une voiture ne donne qu’une alternative supplémentaire pour le choix modal d’un individu. Ceci dit, du point de vue théorique, l’usage de l’automobile est fonction de deux composantes : la possession (taux de motorisation) et les conditions de circulation combinant de nombreux facteurs, mais ayant une sortie finale exprimée par trois paramètres : le temps, le prix et la composante psychologique (souvent associée avec le confort des déplacements). L’exemple de la comparaison des différents pays, notamment de la France et de la Suisse, montre bien que le dépassement du taux de motorisation d'un pays sur l’autre (la Suisse sur la France) ne suppose pas toujours celui de l’usage (la part de marché des voitures particulières dans les villes françaises est supérieure à celle dans les villes suisses). La politique de la ville par rapport à l’usage de l’automobile dans les zones urbaines, définissant les conditions de circulation, limite donc cet usage en faveur de l’augmentation de l’utilisation des transports en commun par des habitants des villes, ainsi que par des étrangers.

Nous pouvons constater que l’usage de l’automobile est influencé aussi par le développement de l’industrie automobile et les industries liées : l'industrie des produits pétroliers, des pneus, etc. Il nous semble qu’il faut appeler ce fait plus correctement l’influence réciproque, puisque cette industrie s’appuie sur le sol abondant des désirs forts de l’homme pour la possession de sa voiture particulière, souvent en contradiction avec un besoin réel. Ce phénomène est bien confirmé par les indices économiques des corporations mondiales automobiles et pétrolières, qui occupent, depuis des années, les premières places dans une hiérarchie des grandes entreprises mondiales. Selon leurs chiffres d’affaires certaines d’entre elles dépassent même les PIB de la majorité des pays du monde (par exemple, en 1997 l’Ukraine, selon son PIB, est arrivée derrière une dizaine d'entreprises automobiles mondiales - INSEE, 1998).

En outre, le développement de l’industrie automobile est toujours stimulé par l’Etat pour des raisons économiques évidentes. En plus, l’existence du lobby ne permet jamais, dans l’immédiat, d’exercer une influence forte, de la part, par exemple des écologistes, sur le contrôle direct ou indirect de la production des automobiles dans sa quantité, ainsi concernant les paramètres qualitatifs. L’augmentation des revenus de la population et d’autres raisons couvrent toutes les tentatives du contrôle de la diminution du trafic automobile dans les zones urbaines (l’accroissement des prix pour des carburants et pour des places de parking, le péage, etc.). La solution de l’offre des transports en commun à un niveau comparable avec l’usage de l’automobile – vitesse, prix, fréquentation, etc. - (par exemple, la construction du métro) ne donne pas souvent des résultats considérables outre la nouvelle répartition des flux des usagers des transports collectifs. Il faut qu'il se passe vraiment des choses “ très négatives ” par rapport à l’usage des automobiles pour que le choix soit effectué en faveur des transports en commun.

Notes
32.

Bonnafous A., "La croissance du transport en question. 12e symposium international sur la théorie et la pratique dans l’économie des transports. Lisbonne, 4-6 mai 1992", Lyon, CEMT, 60 p.

33.

On peut ajouter ici le progrès scientifique ou intellectuel mais il faut dire qu'en dépit de la liaison très étroite et réciproque il existe la petite différence entre les forces motrices du progrès technique et celles du progrès scientifique, bien que la base soit la même, ce qu’on va voir par la suite.