Les exigences de l’opérationalité d’un modèle

L’opérationalité d’un modèle a été définie par A. BONNAFOUS, comme nous l'avons déjà mentionné, par les trois conditions nécessaires et suffisantes de cohérence, pertinence et mésurabilité.

De plus, ces trois conditions sont par nature, selon l’auteur, contradictoires ; ceci constitue la problématique des modèles. En effet, l’amélioration de l’une d’entre elles entre nécessairement en conflit avec les deux autres (une grande pertinence risque, par exemple, d’altérer la cohérence du modèle et de poser d’insurmontables problèmes de mésurabilité). Il est évident qu’on ne peut se pencher sur l’un de ces trois critères sans évoquer les deux autres.

Ces trois conditions d’opérationalité suscitent les réflexions suivantes :

  1. Tous les modèles de demande de transport, ainsi que de nombreux autres modèles économiques, se heurtent à un problème important de mesurabilité : certaines causes déterminantes pour un phénomène observé, comme un processus de décision, par exemple, sont souvent non quantifiables (les notions de perception du confort et de la sécurité d’un mode de transport ne semblent pas pouvoir être introduites dans un modèle ; n’en tenir aucun compte altérerait de manière importante la pertinence. Ainsi les modèles qui nous intéressent risquent de fournir de très mauvais résultats pour les deux roues, dont l’usage est lié à des variables non quantifiables, à une certaine “ image ” en particulier. Ce point est d’autant plus crucial que la plupart des formulations économétriques se fonde sur des notions d’utilité et de compensation monétaire ; le champ d’analyse s’en trouve restreint : non seulement il faut appréhender certaines variables non quantifiables, mais il faut les chiffrer monétairement (d’où les importants travaux en transport sur les “ coûts généralisés ”, “ la valeur du temps ”, etc.). Cependant, sauf à se borner à un outil purement théorique d’analyse de comportement Comme les travaux de L.A.M.S.A.D.E., si l’on veut élaborer un modèle statistique utilisable à des fins de planification, il semble qu’on ne puisse faire autrement que quantifier. C’est le sens de la troisième condition ; la mésurabilité pose des problèmes importants, mais “ il faut faire avec… ” L’objectif technique est quasiment évident.
  2. A la condition de cohérence s’oppose celle de clarté et de définition des objectifs que les utilisateurs souhaitent atteindre. Si la cohérence interne de la formalisation du modèle, comme condition de la validation logique et formelle a posteriori de la structure utilisée, ne pose pas trop de problèmes, il en va tout autrement de la cohérence vis-à-vis des objectifs. L’objectif technique de certains utilisateurs ne peut pas être satisfaisant : le fait qu’un modèle désagrégé permette d’apporter des réponses à des problèmes délicats que les modèles classiques ne savaient pas résoudre ne suffit pas à affirmer qu’il est suffisamment cohérent pour être opérationnel. C’est bien au problème d’une bonne représentation des comportements des individus et à la causalité que la condition de cohérence par rapport aux ambitions théoriques renvoie. C’est sur cet objectif ambitieux qu’il faudra se pencher.
  3. Enfin, la pertinence pose tout le problème de la représentation du réel. Simplifiant et formalisant la réalité, le modélisateur la déforme forcement. C’est, donc, en terme de degré de conformité au réel qu’il faudra examiner le modèle. Cette remarque est importante : non seulement la pertinence peut nuire aux autres exigences, mais, même en ne jugeant un modèle que sur ce critère, on ne peut que tenter de jauger le degré d’adéquation à la réalité observée.

La pertinence s’avère relative, le modèle parfaitement pertinent n’étant pas de ce monde…