1. C. Freinet et l’idéal communiste.

Célestin Freinet plaide pour la reconnaissance et le développement de l’humanité en l’homme. En son époque, l’école lui semble agir à contre-courant de cette visée, car elle satisfait des intérêts privés, notamment ceux de la culture bourgeoise, qui est au service d’une société capitaliste. Or, l’idéal de société que personnellement il extrapole est résolument socialiste ’(..) d’où sera bannie l’exploitation de l’homme par l’homme. 3 et garantira-t-il au mieux l’épanouissement de l’individu. Il nourrit ainsi l’idée d’une école participant à la liberation de la classe populaire. Dès lors, il s’agit de former des camarades qui seront aptes à assumer des fonctions politiques, syndicales, ou coopératives, au service du peuple, de sa mission sociale et humaine. La pensée qu’il emprunte alors aux analyses marxistes est celle du travail libérateur : ‘’(..) Le travail ainsi compris, régénéré à son origine, dès l’école, ne pourrait-il pas devenir en effet comme l’élément actif d’un nouvel humanisme, qui serait susceptible d’atteindre et d’animer (..) le corps social tout entier, il apporterait des raisons encore de lutter, de vivre et de croire’ . 4 . Il déclare préparer une pédagogie de l’harmonie individuelle et sociale par la vertu souveraine du travail.

En cette époque, C. Freinet se sent en filiation avec l’idéal communiste et adhère au parti vers 19255. Il se rend d’ailleurs en U.R.S.S et y observe avec intérêt les pratiques révolutionnaires. Il écrit : ‘Travaillons pratiquement à introduire dans nos classes des techniques nouvelles qui, dans le régime actuel, ne prétendent pas réprimer tous les abus, mais qui montrerons du moins aux éducateurs, aux élèves et aux parents d’élèves quelle est la voie sûre de la libération sociale, à l’opposé justement des théories traditionnelles des défenseurs du capitalisme(..).’ 6 .

C’est alors, en 1935, qu’il fonde, non sans difficultés - après avoir démissionné de l’Instruction publique, à la suite de nombreux épisodes d’attaques calomnieuses et de controverses - l’ école privée de Vence, une école, dit-il, qui sera au service du peuple, où il pourra librement pratiquer ses techniques et sa méthode. D’ailleurs, il veut profiter d’un gouvernement de gauche pour lui demander de voter des lois favorables au peuple, à son instruction, à son éducation, et à sa libération.

Au Congrès de la Ligue Internationale de l’Education Nouvelle de 1935, il fait part du projet de créer un Front de l’enfance (..). La charte de ce front est de lutter en particulier ‘pour l’activité communautaire, pour une discipline libératrice, pour une école liée à la vie et aux destinées des masses populaires.’ 7 . Au coeur de ce mouvement, les instituteurs sont conviés à l’action, au militantisme pédagogique et au militantisme socio-politique, notamment par un engagement dans la Coopérative de l’Enseignement Laïc, dont C. Freinet fut le créateur et un ardent et inlassable animateur. C’est la grande époque du militantisme pédagogique et du militantisme social, qui se veulent l’un et l’autre d’avant-garde et à l’origine de profondes réformes.

Précisons cependant que, si C. Feinet formalise le lien necessaire entre action éducative et action politique, il se défend néanmoins d’inféoder sa pédagogie à un versant politique extrémiste, marquant ainsi l’indépendance de ses vues. Il souligne en ce sens :

‘’8Notre pédagogie telle que nous l’avons définie et telle que nous la pratiquons, est-elle une pédagogie révolutionnaire et dans quelle mesure ? Telle est la question que, depuis des années, on agite autour de nos efforts ; les uns nous accusant d’ être dangereux extrémistes, les autres doutant au contraire que nos travaux aient une portée appréciable sur les efforts de libération prolétarienne. Précisons d’abord un fait : nous sommes des pédagogues, et non des politiciens. Dans nos recherches, nous ne sommes jamais partis d’un point de vue politique, ce qui, à notre avis serait une hérésie ! Nous nous sommes engagés sur la voie nouvelle sans aucun a priorisme, mais aussi sans aucune considération conformiste, sans égards pour les idoles auxquelles nous refusons de sacrifier, bousculant sans pitié les conceptions d’une pédagogie traditionnelle et routinière, renversant les barrières qu’on n’ a cessé de dresser entre l’école et la vie, entre l’école et le milieu social.9’.’

Notes
3.

Cité par J. Houssaye. Freinet pédagogue socialiste, p. 35.

4.

Ibid.,

5.

Mais il faut souligner les difficultés de relations entre C. Freinet et le parti communiste. Avec le recul, M. Faës, (voir : l’école en bataille, 1999) le perçoit plus libertaire que communiste.

6.

Cité par M. Barré. Célestin Freinet. Un éducateur pour notre temps, 1896-1936. p. 107.

7.

Ibid.,

8.

Lorsque la citation est un peu longue nous la détachons du corps du texte.

9.

Ibid.,